« Enfants de cuba », ou encore « Enfants de Sankara », les diplômés burkinabè formés à Cuba ne cessent d’interpeller les autorités burkinabè sur leurs difficultés d’intégration professionnelle depuis leurs retours au bercail. Au lendemain de la signature de l’accord sur la reconnaissance réciproque des études, des titres et diplômes de l’enseignement supérieur entre Cuba et le Burkina Faso, nous avons rencontré Boureima Kabré, un ancien étudiant formé au pays de Fidel Castro. Professeur en fabrication mécanique dans un lycée technique de la capitale, M. Kabré nous raconte l’histoire du contingent des 600 élèves envoyés en république de Cuba en 1986. Il nous livre aussi sa lecture de cette reconnaissance longtemps attendue des diplômes.
Lefaso.net : Présentez –vous à nos lecteurs
Boureima Kabré : Je suis ingénieur de conception mécanique formé à Cuba. Professeur en fabrication mécanique au lycée professionnel régional du Centre depuis 2001. Je fais partie du contingent des 600 élèves Burkinabè formés à Cuba et secrétaire à la communication et à l’information de l’Association de solidarité et d’amitié Burkina Faso-Cuba /América Latina (ASAC-BF /AL).
Lefaso.net : Justement en 1986, un contingent de 600 élèves burkinabè a été envoyé à Cuba pour être formé dans différentes disciplines dans le cadre de la coopération. Comment vous vous êtes retrouvé à Cuba et quel souvenir gardez-vous de votre séjour ?
B .k : A l’époque, j’étais en classe de CM2. Notre maître nous a informés qu’il y avait une bourse d’études pour Cuba. La sélection était faite sur concours mais le président Thomas Sankara a préféré annuler le concours qui avait eu lieu en son temps pour privilégier les orphelins ou les enfants issus de familles défavorisées.
C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce lot. Nous avons été envoyés par groupes de 150 élèves au cours du mois de septembre de l’année 1986. Nous nous sommes retrouvés sur une île où nous avons d’abord appris la langue pendant 6 mois, avant de poursuivre les études en classe de 6ème jusqu’en classe de 3ème pour le Brevet d’études du premier cycle (BEPC).
Après l’obtention du BEPC en 1990, nous avons été orientés, les profils étant imposés par le Burkina selon les besoins du pays. L’objectif était de développer les techniques industrielles du pays.
Je me rappelle que ceux qui avaient opté pour le cycle moyen avaient 4 ans de formation. Pour ceux qui devaient aller à l’université, Cuba avait offert 127 places pré-université. C’est -à dire que vous êtes formés en enseignement général, option université. Mais le Burkina a décidé de garder 33 places alors qu’on avait la possibilité d’avoir plus de cadres supérieurs. Les plus jeunes ont été désignés pour l’enseignement général et je faisais partie du groupe des 33 élèves.
En 1990, le grand groupe a débuté sa formation pour le cycle court et nous, nous avons poursuivi pour l’enseignement général. J’ai réussi au baccalauréat en 1993 et pour la formation à l’université, on nous a encore imposé les filières de formation. En effet, sur les 33 étudiants, 16 avaient demandé à continuer en médecine mais finalement, 9 étudiants ont pu être formés en médecine et le reste, dans les filières industrielles. Moi, j’ai suivi une formation en génie mécanique. J’ai fini ma formation en 1998 et je suis rentré au pays une année après. Je garde de bons souvenirs de Cuba. Le cubain est comme le Burkinabè, il aime l’étranger.
Lefaso.net : Dix-huit ans après votre retour au bercail, nombreux sont ceux d’entre vous qui continuent d’interpeller les autorités sur les difficiles conditions de votre insertion socio-professionnelle. Qu’est- ce qui explique cela et comment avez-vous vécu cette situation.
B .K : C’est une question politique. Après la mort du président Thomas Sankara, on a voulu nous rapatrier mais le président Fidel Castro a refusé à l’époque. Et lorsque nous sommes rentrés, il y a eu un problème d’équivalence de nos diplômes. Ceux qui avaient suivi une formation technique étaient contraints de travailler dans le privé alors que nous avions été formés pour répondre aux besoins du public.
Nous avons été laissés à nous-mêmes et il fallait se débattre. Pour nous qui avons eu l’opportunité de rentrer avec un diplôme universitaire, nous avons pu rentrer au pays avec les documents nécessaires après avoir eu écho des difficultés de nos devanciers.
Par exemple, pour ceux qui ont suivi une formation en électricité industrielle, l’Etat burkinabè n’a pas pu trouver d’équivalence à ce niveau et quand ils allaient pour les concours de la fonction publique, leurs dossiers étaient rejetés.
C’est d’ailleurs ce problème d’équivalence qui fait que beaucoup d’entre nous sont toujours sans emploi. L’Etat devait reconvertir les gens parce que les formations nous ont été imposées. Nous sommes rentrés trouver que la plupart des usines industrielles étaient fermées et les profils ne répondaient plus au marché de l’emploi, sauf ceux qui ont fait la médecine, les eaux et forêts, qui ont eu moins de difficultés. Après le Service national de développement (SND), ils ont été employés. A ce jour, ce sont environ 280 personnes du contingent qui ne travaillent pas.
Lefaso.net : Les gouvernements Burkinabè et Cubain ont signé le mardi 7 févriers 2017, un accord sur la reconnaissance réciproque des études, des titres et diplômes de l’enseignement supérieur. En tant qu’ancien étudiant burkinabè formé à Cuba, quelle appréciation faites-vous de cet accord ?
B. K : Je me réjouis de cet accord. C’est un vieux dossier et cela montre la bonne volonté de l’Etat. On espère qu’ils feront de même pour le niveau secondaire afin que ceux qui sont au chômage puissent en bénéficier.
C’est vrai que beaucoup d’entre nous ne peuvent plus intégrer la fonction publique mais il faudra songer à mettre à leur disposition, un projet ou un programme spécial d’emploi. Cet accord va également soulager ceux qui étaient intégrés dans la fonction publique et qui ne pouvaient pas avancer, vu que leur titre n’était pas reconnu.
Lefaso.net : Cet accord intervient de nombreuses années après votre formation. N’est-on pas dans la situation du médecin après la mort ?
B .K : Oui, je crois, le problème a été posé depuis 1992 mais ça n’a jamais été résolu. Il y avait un problème politique parce qu’on se demandait qu’est-ce que les « enfants de Sankara » vont revenir faire au pays ?
Lefaso.net : Si c’était à reprendre, est-ce que vous seriez allé à Cuba ?
B.k : Je ne regrette pas. Ce que j’ai appris là-bas m’a beaucoup ouvert l’esprit .Nous avons bénéficié d’une bonne formation même si nous avons eu des difficultés.
Entretien réalisé par Nicole Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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