Ancien responsable de l’Association nationale des étudiants du Burkina (ANEB) et victime de la répression des luttes estudiantines, Ali T. Mana, dans cette tribune, appelle les magistrats du Burkina à assumer pleinement leur indépendance et leurs responsabilités dans les dossiers pendants.

Mesdames et Messieurs les Magistrats du Faso,

Qu’il vous plaise de dire le droit, rien que le droit, en toute indépendance. La cohésion sociale, la paix et l’unité nationale dépendent désormais de vous !!!

Je m’adresse aujourd’hui à vous, convaincu que vous êtes, en cette période cruciale de la vie du Burkina Faso, un maillon essentiel, sinon le principal, dans la dure quête de la Réconciliation indispensable à la paix et au développement de notre pays.

Je vous interpelle aujourd’hui, convaincu que sans Justice, point de Paix.

Je vous interpelle, parce que j’ai lu et relu cette mise en garde, venant d’un homme, apparemment bien introduit dans le système, monsieur Hervé Ouattara, Président du CAR, dans l’Observateur Paalga : « Tant que Salif Diallo ne s’expliquera pas et tant qu’il ne va pas cesser les manipulations, ce pays ne va jamais se construire. Et je peux vous assurer que le pire n’est pas loin ».

Avez-vous lu et bien lu comme moi ? « … le pire n’est pas loin ».

Que personne ne prenne ces propos de monsieur Hervé Ouattara à la légère, lui qui semble en savoir davantage. Il est du système, par conséquent, il sait de quoi il parle.

Et pourtant, nous ne voulons pas d’une deuxième insurrection au Faso. Elle risque d’être fatale à la République : la Paix, la Cohésion Sociale et l’Unité Nationale ne seront plus que des souvenirs.

Mesdames et Messieurs les Magistrats du Faso,

Monsieur Hervé Ouattara s’est aussi interrogé en des termes qui n’interpellent personne d’autre que vous, les Magistrats du Faso, hommes et femmes, investis de la mission de DIRE LE DROIT : « Pourquoi les gens ont-ils peur de demander à Salif Diallo de s’expliquer ? « .

En effet, qui sont ces gens, autres que vous, les Magistrats, qui peuvent : « … demander à Salif Diallo de s’expliquer ? « .

Et cette interrogation-interpellation de monsieur Ouattara suscite d’autres questions, non moins pertinentes :
- Avons-nous donc donné l’Indépendance de la justice à des magistrats poltrons ?
- Salif Diallo sait-il donc de quoi il parle, lorsqu’il affirme que nos juges sont des « affairistes » ?
- En d’autres termes, Salif Diallo tient-il donc tous les magistrats du Faso, dans des liens de corruption ?
- Sinon, pourquoi nos Magistrats auraient-ils peur de « … demander à Salif Diallo de s’expliquer ? « .

Le 31 octobre 2014, le peuple du Burkina Faso, mû par une soif inextinguible de Justice, a décidé de prendre son destin en main, en mettant fin au régime de Blaise Compaoré, vieux de 27 ans et 16 jours. Mais ce régime était-il seulement celui de Blaise ? Que NON ! Il était celui de toute une Galaxie, dans laquelle certains ont bâti leur fortune, leur carrière, leur nom tout court.

Depuis le 15 octobre 1987, le Burkina Faso a été marqué par une gouvernance faite d’assassinats, avec une longue liste de crimes macabres, de pillage systématique des deniers publics. Et dire que tous ces crimes sont pratiquement tous restés impunis. Les tenants de ce pouvoir, sûrs de leur fait, ont pris trop de liberté avec la Justice, au point de fouler au pied les lois du Faso avec leurs « juges acquis ».

Ainsi, de crimes impunis en crimes impunis, l’odeur putréfiante des cadavres du Front Populaire, de l’ODP/MT et du CDP, a fini par rendre irrespirable l’air pourtant pur du Faso.

Oui, le Burkina, notre Faso a connu des heures sombres, très sombres, trop sombres même. Qui n’a pas encore en mémoire, cette célèbre « maxime » des hommes forts du pouvoir : « Si tu fais, on te fait et y a rien ». Effectivement, trop de citoyens burkinabè ont été « faits » et malheureusement, il n’y a rien eu. Pourquoi ? N’étaient-ils pas des citoyens de ce pays ?

Pour ne citer que les plus emblématiques :
- 15 octobre 1987, SANKARA et 12 autres valeureux fils de la patrie sont tombés sous les balles assassines d’individus mus eux, par la soif du pouvoir, victimes des manipulateurs, qui ont réussi à opposer deux « frères » au sommet de l’Etat ;
- Au lendemain du coup d’Etat, le 27 octobre précisément, à Koudougou, face au refus des soldats de reconnaître le nouveau pouvoir, une répression sauvage, barbare, jamais inégalée, s’est abattue sur la ville toute entière. Aujourd’hui, nul ne peut encore dire combien de fils et filles du Faso, civiles comme militaires, y ont été massacrés ;
- S’en sont suivis les assassinats des Professeurs Guillaume Sessouma, Oumarou Clément ;
- Mai 1990, pour une revendication syndicale estudiantine, une barbarie indescriptible a été servie aux étudiants. Des étudiants enlevés et sauvagement jetés dans des coffres de véhicules, comme des animaux, torturés. Notre Camarade DABO BOUKARY est mort sous la barbarie de ses tortionnaires, dont certains veulent se faire passer pour des saints aujourd’hui ;
- Comme s’il était, à lui seul, une institution de la République, François Compaoré, le « petit président » et sa garde prétorienne, feront subir les pires tortures à David Ouédraogo, jusqu’à lui ôter la vie, pour une simple histoire présumée de vol d’argent ;
- Et que dire du cas de Norbert ZONGO, dont le seul tort est d’avoir demandé justice pour David OUEDRAOGO. Il sera trucidé, avec ses compagnons d’infortune. Aujourd’hui encore, le peuple entier, mais surtout sa vieille maman, exige que la Justice lui dise pourquoi, pourquoi son fils a-t-il été brûlé ?
- Le Juge NEBIE a été retrouvé mort. Sans aucune explication convaincante ;
- Les quatre glorieuses, qui ont abouti à la chute du régime, ont coûté au Faso, encore et encore, la perte de certains de ses enfants. Et certains, peut-être parce qu’ils sont habitués à compter les cadavres, pendant qu’ils étaient les hommes forts du régimes, ont voulu nous faire une sordide et immorale répartition des martyrs de notre insurrection, selon leur origine politique. Oubliant qu’il s’agissait des enfants du Faso, qui se battaient pour leur pays et non pour un quelconque parti politique. Mais eux, déjà, avaient leurs calculs, en opportunistes notoires.
- Mal instruits de la détermination du peuple à ne plus se laisser « faire », certains éléments du tristement célèbre RSP ont cru pouvoir renverser le cours de l’histoire en opérant un coup d’Etat. D’autres enfants de la patrie en paieront encore le prix fort.

Mais depuis octobre 1987, et malgré cette longue liste noire, nos yeux sont rivés sur les portails des cours et tribunaux du Faso, espérant y voir emmenés, tous ceux dont les noms sont cités çà et là, dans les différents crimes de sang. Que nenni ! Pourquoi ?

Depuis octobre 1987, nos oreilles sont toutes tendues, espérant entendre la moindre condamnation. Mais toujours un silence de mort. Pourquoi ?

L’enlèvement, la torture, l’assassinat, le recel de cadavre, ne sont donc-t-ils pas des crimes punis par les lois du Faso ?

La complicité d’enlèvement, la complicité de torture, la complicité d’assassinat, la complicité de recel de cadavre, ne constituent-elles pas des délits punis par les lois du Faso ?

Mais pourquoi, pourquoi tant de morts et toujours aucun coupable ? Pourquoi ?

Au-delà des plaintes déposées, l’auto-saisine n’existe-t-elle donc pas au Faso ? Et pourtant, Dame Lopez en sait quelque chose.

Lorsqu’il s’en est trouvé, y compris parmi les plus hauts dirigeants du pays, pour remettre en cause l’Indépendance de la Magistrature, voulue et accordée par le peuple, sous la Transition, nous sommes de ceux-là qui sont montés au créneau, pour mettre en garde, les uns et les autres, contre les conséquences d’une telle entreprise.

Messieurs les Magistrats du Faso, vous vous êtes plaints, de vos conditions de travail, et même de vie. La nation a consenti d’énormes efforts, afin de vous soustraire des soucis quotidiens, communs à des millions de Burkinabè, en vous accordant certains avantages, que d’aucuns citoyens jugent aujourd’hui trop au-dessus des moyens de l’Etat. Mais, nous pensons que si c’est le prix à payer pour une Vraie Justice Indépendante, pourquoi pas !

Cependant, Messieurs les Magistrats du Faso, la grogne monte et elle monte contre l’injustice, celle-là même qui a fait le lit des quatre glorieuses.

Oui, Messieurs les Magistrats du Faso, après octobre 2014, nous avions tous espéré, et nous espérons toujours, de voir souffler sur notre Faso, un Vent frais de Justice, le Vent de la Vérité, cette Vérité indispensable à la Réconciliation.

Mais hélas, mille fois hélas.

N’avez-vous pas entendu la clameur publique de désapprobation, au prononcé du verdict de l’affaire Guiro ? Pourquoi ?

Ne sentez-vous pas l’indignation grandissante à chaque libération d’un mis en cause dans l’affaire du putsch de septembre 2015 ? Au point que le Président du Faso en a fait une pointe d’humour ! Pourquoi ?

Lorsque monsieur Hervé Ouattara, Président du CAR, prononce ces propos d’une extrême importance pour la procédure en cours : « Si la justice doit pousser loin ses recherches, elle trouvera certaines choses et trouvera que certaines personnes sont mêlées même au putsch », que comptez-vous en faire ?

Il y a de cela quelques mois, monsieur Salifou Diallo a tenu des propos que nous estimons très diffamatoires à votre endroit, vous traitant d’ « affairistes ». Mais depuis, un silence radio, juste une demande de clarification adressée au Président KABORE. Pourquoi ce silence face à de tels propos ? Si les mêmes propos avaient été tenus par un autre citoyen, auriez-vous eu la même attitude ? Hervé Ouattara a-t-il donc raison lorsqu’il s’interroge en ces termes : « Pourquoi les gens ont-ils peur de demander à Salif Diallo de s’expliquer ? « .

Depuis octobre 2014, où en êtes-vous avec les dossiers des martyrs de l’insurrection ?

Messieurs les Magistrats du Faso, qu’est-ce qui bloque donc dans les dossiers ? Dites-le nous. Nous voulons savoir.

S’il se trouve quel qu’ingérence, parlez au peuple, vous en avez la possibilité et les moyens !

VOUS NE FEREZ PAS LA REVOLUTION DE NOTRE SYSTEME JUDICIAIRE SANS LE PEUPLE !

La force de tout manipulateur se nourrit de l’ignorance et de la peur de celui qu’il manipule ! Le Droit, vous le connaissez. Votre Indépendance suffit à vous soustraire de la peur.

Blaise Compaoré aux affaires, toute lenteur a été vue comme le résultat des entraves venant de lui. Mais cela fait maintenant deux bonnes années que le « Diable » a quitté et les affaires et le Faso.

Pourquoi donc toujours cette lenteur ?

Pourquoi ce silence total sur certains dossiers comme celui de DABO BOUKARY ?

Avez-vous entendu toutes les personnes dont les noms ont été cités dans ce dossier ?

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Je suis de ceux-là qui ont déclenché la grève, en mai 1990. Juste pour de meilleures conditions d’études. J’étais le Délégué ANEB de la Corporation ISN-IDR, d’où est parti le mouvement. Nous ne sommes pas prêts à passer par pertes et profils les tortures inhumaines et l’assassinat cruel de notre Camarade, au nom d’une prétendue et fausse réconciliation. Sinon que Blaise a même organisé sa journée nationale de pardon. Cela a-t-il empêché l’insurrection ?

Une réconciliation n’est valable que lorsqu’elle requiert l’assentiment de la majorité réelle, pas fabriquée.

J’aime la Vérité, et c’est pourquoi je déteste le mensonge et le menteur. Malheureusement, il existe encore au sommet de certaines de nos institutions.

J’aime la Justice, et c’est pourquoi je vous interpelle, vous les Magistrats de notre Justice désormais indépendante, afin que cette Vérité tant attendue par tout un peuple, depuis des décennies, soit enfin connue.

Je veux vivre dans un pays en paix, et c’est pourquoi je plaide pour la Réconciliation, la Vraie.

J’aime mon pays, le Burkina Faso, et c’est pourquoi je ne veux plus d’une autre insurrection qui emportera encore des vies innocentes.

Je ne veux plus d’une autre insurrection qui détruira des biens publics et privés.

Je ne veux plus d’une autre insurrection qui élargira ce fossé, Ô combien déjà difficile à combler, entre les filles et fils du Faso.

Mais alors, et seulement alors, messieurs les Magistrats, prenez vos responsabilités.

Affranchissez-vous de la peur, sortez de votre propre torpeur.

Qui d’autre que vous, messieurs les Magistrats, pourra poser les bases de la Réconciliation, par la Vérité, par la Justice ?

Qui ?

Au Juges « affairistes » de Salifou Diallo, je leur demande tout simplement de rendre à la République, sa Toge : notre magistrature n’a pas besoins de juges « affairistes ».

Aux juges intègres, ceux-là qui ne sont pas des « affairistes », ces enfants de la Patrie, Amoureux du Faso, je dis ceci : Prenez vos responsabilités. Le Courage est salvateur. Rendez à Notre Justice et à Notre Magistrature leurs lettres de noblesse.

Nous voulons écrire au fronton de chaque institution du Faso : « ICI, SIED LA JUSTICE ».

Qu’il vous plaise,

Mesdames et Messieurs les Magistrats du Faso,

De nous permettre de réaliser ce vœu.

Aly Teyéni MANA.

Source: LeFaso.net