Le ministre de la santé, Dr Smaila Ouédraogo, était devant les députés dans l’apres-midi du 14 octobre 2016, pour répondre à une question orale sur la situation de crise que connaît la CAMEG depuis quelques mois. Nous vous proposons le texte de ses explications sur cette affaire qui n’en finit pas de défrayer la chronique, en attendant d’y revenir.

Honorables députés,

Je vous remercie pour vos différentes questions relatives à la situation qui prévaut actuellement à la Centrale d’Achat des médicaments essentiels et génériques et des Consommables Médicaux (CAMEG) et sur la situation des dépôts privés de médicaments.

Ces réponses visent donc à éclairer la représentation nationale et donner une base objective d’appréciation au peuplesur la situation de la CAMEG. Elles s’articulent autour des points suivants :
- l’historique de la CAMEG ;
- la situation actuelle à la CAMEG ;
- la gestion financière de la CAMEG ;
- les perspectives de sortie de crise ;
- une conclusion.

I- Historique de la CAMEG

La CAMEG a été créée le 21 mai 1992 par décret 92-127/SAN-ASF sous forme de projet d’une durée de 5 ans.La CAMEG a effectivement débuté ses activités en 1993.

En tant que projet, les contributions financières des parties ont été les suivantes :

- le gouvernement du Burkina Faso 120 101 399 FCFA ;
- la banque mondiale 561 623 370 FCFA ;
- la communauté économique européenne 1 263 893 000 FCFA ;
- les Pays bas 779 714 689 FCFA ;
- Le Fonds d’aide et de coopération 600 000 000 FCFA ;
- divers bailleurs 2 395 000 FCFA.

Soit un total de 3 611 071 533 FCFA.

En 1998, après une évaluation conduite par les parties prenantes, il a été décidé de créer une association à but non lucratif et àfinalité sociale dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Pour ce faire une assembléegénérale constitutive tenue le 23 janvier 1998 a permis de formaliser àtravers les statuts et le règlement intérieur la création de la CAMEG. Un récépissé de reconnaissance a été délivré sous la référence N°98-053 /MATS/SG/DGAT/DLPAJ du 05 février 1998. Un second récépissé sous la référence N°98-160 /MATS/SG/DGAT/DLPAJ du 11 mai 1998, portant déclaration de changement dans la composition de l’organe dirigeant a été par la suite délivrée.

Les membres de l’assemblée générale constitutive étaient les suivants :

- le ministère de la santé ;
- le ministère de l’économie et des finances ;
- le ministère du commerce, de l’industrie et de l’artisanat ;
- la délégation de l’Union Européenne ;
- la Coopérationfrançaise ;
- la GTZ ;
- l’OMS ;
- l’UNICEF ;
- la Coopération Néerlandaise.

La CAMEG en tant que association est à ce jour régie par :

La loi 064-2015/CNT du 20 octobre 2015 portant liberté d’association dont l’article 14 alinéa 2 dispose notamment qu’ « En cas de modification dans les textes constitutifs ou de changement dans la composition des organes dirigeants, les dirigeants de l’association sont tenus de faire procéder à l’insertion au Journal officiel de l’attestation prévue à l’article 54 de la présente loi ».

La convention entre le gouvernement du Burkina Faso et la CAMEG :

Elle définit les conditions et modalités de collaboration entre la CAMEG et l’Etat pour un approvisionnement exclusif des districts sanitaires et préférentiel des centres hospitaliers. Ladite convention rappelle dès son article 2 que la CAMEG assure une mission de service public à finalité sociale et exerce une activité à but non lucratif.La convention précise également que la CAMEG doit travailler à ouvrir le marché du médicament au secteur privé.

Les statuts et règlement intérieur : Ces textes ont doté la CAMEG de trois organes que sont : Le Conseil d’Administration, le Comité de supervision et la Direction générale. Le règlement intérieur prévoit que les membres du Conseil d’Administration au titre de l’Etat sont nommés par décret pris en conseil des ministres et les administrateurs représentant la communauté des bailleurs de fonds et les utilisateurs sont désignés suivant leurs règles propres. Par ailleurs, les textes fondateurs de la CAMEG ont fixé à deux (02) ans, renouvelable une fois le mandat de tous les administrateurs de la CAMEG.

Quant au comité de supervision les statuts le définissent comme l’organe « de suivi et de contrôle de la CAMEG » chargé d’apprécier « si les orientations sont respectées, si les objectifs sont atteints et si les performances sont accomplies » par la CAMEG. Ce même comité, selon les statuts de la CAMEG est ampliataire, sous la direction du Directeur Général, de tout rapport, notamment d’audit et d’inspection. On perçoit donc aisément l’importance du comité de supervision.

Les statuts et règlement intérieur disposent aussi que le Directeur Général est choisi pour ses qualités de gestionnaire sur la base d’un appel à concurrence lancé par le Conseil d’Administration et est lié à l’association par un contrat de travail.

Honorables députés,

Voici ce que les textes imposent entre autres à la CAMEG pour son fonctionnement régulier.Il faut cependant noter qu’en 2015 sous la transition, le gouvernement avait décidé de transformer la CAMEG en société d’Etat. Les discussions ont été engagées entre les différentes parties et avaient permis dans un premier temps de conserver le statut d’Association à but non lucratif ; ensuite le processus a été interrompu par la requête que le ministère de la santé a adressé au conseil d’Etat pour avoir son avis sur la participation de l’Etat dans une structure associative. Après l’avis du conseil d’Etat, le CA a entrepris de finaliser les nouveaux statuts de la CAMEG. A ma prise de service, j’ai reçu dans mes instances les statuts révises pour adoption. Après les échanges avec les partenaires, il est ressorti que la dernière version des statuts n’avait pas été rediscutée avec eux. J’ai donc préféré mettre en stand by ce dossier pour lancer les mesures présidentielles de gratuité des soins au profit des femmes et des enfants de moins de 5 ans.

II- De la Situation actuelle

Le 12 mai 2016 s’est tenue une session extraordinaire du Conseil d’Administration de la CAMEG avec 6 points à l’ordre du jour : 1- Adoption du Procès verbal du Conseil d’administration du 22 mai 2015 ;

2- Restitution de l’étude sur le recouvrement des créances et la gestion des ristournes CAMEG par les structures de l’Etat ;

3- Proposition d’un nouveau manuel assurance qualité de la CAMEG ;

4- Proposition d’une grille de la prime bilan ; 5- Rôle de la CAMEG dans la mise en œuvre des mesures de gratuité chez les femmes et les enfants de moins de cinq (05) ans ;

6- Divers.

Mon Conseiller technique de l’époque qui était aussi administrateur à la CAMEG au titre du ministère de la Santé et Président du Conseil d’Administration de la CAMEG m’en a informé.

Grand fut mon étonnement, lorsqu’à la fin de cette session extraordinaire du Conseil d’Administration dont l’ordre du jour était bien connu, j’apprends que ledit conseil a décidé dans un point de divers de procéder au renouvellement du contrat du Directeur général sortant pour une durée de trois (03) ans.

Je rappelle à votre honorable attention que Le Directeur Général sortant avaitd’abord été désigné sous la transition pour un intérim de trois mois 2 fois, et a par la suite, sans appel à concurrence, bénéficié d’un contrat de travail de 12 mois dont le terme est intervenu le 30 juin 2016.

Au regard de cela, je me suis posé plusieurs questions. Qu’est ce qu’on veut me cacher ? Qu’y a-t-il ? Pourquoi une telle déloyauté et un tel empressement de la part d’un de mes plus proches collaborateurs dans le renouvellement du contrat du DG ?

Qu’en est-il de l’appel à concurrence imposé par les statuts ?

C’est ainsi que dans la quête de la vérité j’ai constaté que le mandat des représentants de l’Etat au conseil d’administration avait expiré depuis le 09 avril 2016 et que ces derniers n’avaient du reste jamais été nommés en conseil des ministres, bien que cela soit prévu dans les statuts et le règlement intérieur de la CAMEG.

Quant au Comité de supervision,le Directeur général sortant, répondant à une correspondance par moi adressée, avaitlui-même reconnu que le comité de supervision n’était plus fonctionnel depuis le mois de février 2015 parce que la présidente a démissionné.

Face à une telle situation et au regard de l’urgence, le ministère de la Santé en sa qualité de membre fondateur et de tutelle techniquede la CAMEG, a organisé une réunion des membres fondateurs. Soucieux du fonctionnement efficient et régulier de notre maison commune, nous avons décidé que le DG sortant assure les affaires courantes pour une période d’intérim de 3 mois, cela

i) dans l’attente du fonctionnement régulier et efficient du comité de supervision,

ii) du remplacement des administrateurs,

iii) de l’installation effective de tous les organes statutaires de la CAMEG iv) et de l’ouverture à la concurrence du poste d’un nouveau Directeur Général.

C’est donc cette décision des membres fondateurs qui a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, et dont la procédure suit son cours.

III- Sur le plan financier et de la gestion de la CAMEG

A la date du 31 juillet 2016, la situation faite par la DAF du Ministère de la santé et les services financiers de la CAMEG, montre que l’Etat du Burkina Faso devait à la CAMEG au titre de la dette des formations sanitaires et des programmes sectoriels la somme de 8 209 826 759 Francs CFA.

Lorsqu’on prend en compte les 5 milliards de F CFA mis à la disposition de la CAMEG par le Gouvernement depuis le 13 mai 2016, cela signifie qu’à la date du 31 juillet, l’Etat doit au total 3 209 826 759 Francs CFA.

Dans la presse, le DG sortant semble faire dire et croire à l’opinion que l’Etat doit à la structure plus de 15 milliards de FCFA. Cette différence est très surprenante. Et l’audit mené par l’Autorité Supérieure du Contrôle de l’Etat et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC)qui est en cours devrait nous permettre d’être mieux situé.

Du reste, malgré ces difficultés financières, le DG sortant a engagé une commande de véhicules pour un montant qui s’élèverait à 500 millions de FCFA, et ce, au mépris de la décision gouvernementale de n’effectuer aucune commande de véhicule sur les différents budgets au regard de la situation financière difficile du pays. Du reste,une contestation de la régularité de l’attribution de ce marché a été déposée à mon cabinet.

Par ailleurs, jusqu’à ce jour aucun membre fondateur n’a reçu ni un rapport d’activité ni un rapport financier de la part des directions successives de la CAMEG y compris de la part du DG sortant malgré sa présence à la tête de cette structure depuis le 26 décembre 2014.

IV- Sur les décisions de justice

A ce jour, il existe quatre décisions de justice sur l’affaire CAMEG. Trois décisions du tribunal administratif prises à la suite d’une procédure d’urgence (le sursis à exécution) et une décision du tribunal de grande instance de Ouagadougou suivant la procédure d’urgence également (le référé) dans laquelle le ministre de la santé a été mis hors de cause.

La séparation des pouvoirs, impose le respect des décisions de justice.

Je peux seulement vous dire que toutes les décisions dont veulent se prévaloir certaines personnes, ont fait objet d’appel. L’appel est suspensif en matière de sursis à exécution. Ce qui signifie qu’à ce jour, il n’y a aucune décision de justice que le Ministre de la santé refuse de respecter.

Par exemple relativement aux décisions du tribunal administratif, la première décision qui portait sur la note d’information de la décision des membres fondateurs de la CAMEG de mettre le DG sortant sous intérim de trois mois, a déclaré la requête du DG sortant sans objet. Le juge a ainsi tiré conséquence d’une correspondance du Ministre de la Santé en date du 23 août 2016 adressée au nouveau PCA l’informant qu’il a rapporté la note querellée.

Les deux autres décisions du tribunal administratif portent respectivement sur le remplacement de l’ancien PCA comme administrateur représentant le Ministère de la Santé et sur le récépissé constatant les changements intervenus dans les organes dirigeants. Dans ces deux décisions les avocats de l’Etat et de la CAMEG ont interjeté appel. Il est important de rappeler que l’appel est suspensif.

S’agissant de l’ordonnance des référés du tribunal de grande instance de Ouagadougou, celle-ci a déclaré nulle l’assignation pour ce qui concerne le Ministre de la Santé.

Ce qu’il est important de retenir c’est qu’au moment où je vous parle, tous les groupes composant le Conseil d’Administration à savoir l’Etat, la communauté des bailleurs de fond et les utilisateurs ont procédé au renouvellement ou à la confirmation de leur représentant au sein duConseil d’administration de la CAMEG.

En ce qui concerne les administrateurs au titre de l’Etat, conformément aux statuts, ils ont été nommés en conseil des ministres pour un mandat de deux ans, ce pour compter du 20 juillet 2016.

Le Conseil d’administration s’est réuni et a élu le Dr KONFE Salifou, administrateur au titre de l’Etat, Président du Conseil d’administration.

Le présent conseil d’administration tire donc sa légalité et sa légitimité d’un décret pris en conseil des ministres.

Il y a lieu de garder à l’esprit que ni le décret ayant nommé les administrateurs représentant l’Etat au conseil d’administration de la CAMEG, ni la désignation par les autres membres de leurs représentants au CA de la CAMEG, ni la décision du CA qui a désigné Salifou KONFE comme PCA n’ont fait l’objet de contestation d’un membre de l’association, ou d’un recours encore moins d’un sursis à exécution.

Aussi, j’entends dire et écrire que c’est le Ministre de la Santé qui a licencié le DG sortant. Non ! la vérité est que le nouveau PCA a été confronté au refus catégorique de collaborer du DG sortant (ce dernier qui a pris fait et cause pour l’ancien PCA), allant jusqu’à refuser l’accès de la salle de réunion aux nouveaux administrateurs, de remettre les textes fondateurs de l’association à la nouvelle équipe ou de donner suite aux lettres d’explication adressées par le nouveau PCA. C’est donc face à ces actes d’insubordination et de défiance que le PCA après délibération du CA a procédé au licenciement pour faute lourde du DG sortant et a désigné le Dr Damien KOUSSOUBE comme DG pour un intérim de 3 mois en attendant de procéder à un appel à concurrence pour le recrutement d’un DG conformément aux textes de la CAMEG.

Je veux rassurer la représentation nationale d’une part que tout ce qui a été posé comme acte par l’exécutif dans cette affaires’est voulu respectueux des dispositions légales et réglementaires qui encadrent le fonctionnement de la CAMEG (il n’y a donc ni 2 CAMEG, ni 2 CA), d’autre part notre engagement dans ce dossier a pour seul objectif d’asseoir une gouvernance vertueuse à la tête de cette structure stratégiquepour le système de santé. En effet, le Conseil d’administration s’est juste conformé aux dispositions des articles 14 et 54 de la loi 064/CNT du 20 octobre 2015 portant liberté d’association, en demandant et en obtenant le récépissé constatant le changement au sein des organes dirigeants de la CAMEG.

V- Solution de sortie de crise de la CAMEG

C’est aux membres fondateurs et au gouvernement ensemble, de décider des réformes pour plus d’efficacité de cette importante structure à court, moyen et long termes. Dans ce sens une commission de réflexion sur les statuts de la CAMEG a été mise en place le 07 octobre par arrêté N°2016-461/MS/CAB. Elle est chargée de définir les missions, de proposer un cadre juridique et institutionnel approprié et d’élaborer les textes devant régir le fonctionnement de la structure.

VI- Conclusion

En raison des actes d’appel interjetés contre les décisions judiciaires, celles-ci n’ont pas remis en cause les actes de nomination des représentants de l’Etat dans le conseil d’Administration. Par conséquent, les actions posées par le conseil d’administration et le DG de la CAMEG et le gouvernement (à travers le Ministère de tutelle technique de la CAMEG) sont conformes aux dispositions de droit en vigueur au Burkina Faso.

Tous les membres de la CAMEG, tous les partenaires techniques et financiers ont renouvelé le mandat de leurs administrateurs sans encombre et le conseil d’administration renouvelé a déjà tenu deux sessions à l’occasion desquelles il a valablement délibéré.

Dès lors, seuls les actes posés par Dr Salifou KONFE (PCA) et par Dr Damien KOUSSOUBE (DG par intérim) engagent le Conseil d’Administration et la Direction Générale de la CAMEG, et le récépissé délivré par le MATDSI à la CAMEG n’a pas vocation à créer une nouvelle CAMEG.

Les actions menées jusqu’à ce jour sont conformes à la décision des membres fondateurs de la CAMEG et le conseil des ministres du 11 août 2016. Par conséquent, elles ne sauraient être qualifiées d’une démarche solitaire du Ministre de la santé.

Aucune bagarre personnelle n’oppose l’ex-DG et l’ex-PCA de la CAMEG, le DG par intérim, le PCA et le Ministre de la santé comme certaines personnes tentent de le diffuser au sein de l’opinion publique.

C’est plutôt une lutte pour défendre les intérêts supérieurs de la CAMEG, maillon essentiel du système de santé et donc pour l’atteinte de la mission du Ministère de la santé.

En tout état de cause, les membres fondateurs de la CAMEG et l’Etat burkinabè ne reculeront pas devant leur devoir pour défendre la CAMEG structure essentielle à l’ensemble du pays.

Dr Smaïla OUEDRAOGO

Source: LeFaso.net