Présidente d’honneur du Cadre de concertation nationale des organisations de la société civile (CCNOS), Safiatou Lopez/Zongo, est candidate à la présidence de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF). Suite à des propos tenus en face du palais de justice lors d’un sit-in en juin 2016, elle est convoquée au commissariat de police de Wemtega en aout dernier. Cette fois ci, elle est citée à comparaitre devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou (TGI), ce 30 septembre. Dame Lopez est poursuivie parce qu’ayant incité à incendier le palais de justice. Après l’incident intervenu le jour du procès, nous l’avons rencontré. Elle se prononce sur ‘’les raisons réelles » de sa citation à comparaitre devant le tribunal et ne manque pas l’occasion de dénoncer une justice ‘’à deux vitesses ».
Lefaso.net : Que s’est-il passé pour qu’on en vienne à vider la salle d’audience ?
Safiatou Lopez/Zongo : Le matin, c’était comme si on cherchait à intimider les gens. Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé des éléments de la CRS (Compagnie républicaine de sécurité) qui étaient armés jusqu’aux dents contre nous. C’est un peu comme le scenario de l’insurrection ou les gens sont sortis à mains nues et d’autres sont armés en face. Un peu comme le coup d’Etat. Nous étions surpris de les voir là. Déjà pour rentrer, tu voyais que certains étaient normaux et d’autre comme un peu plus menaçants.
Finalement quand ils m’ont appelé, disons que c’était le dernier dossier, je me suis levée, je marchais vers la barre. Les gens ont commencé à chanter l’hymne national. Je me suis arrêtée par respect pour l’hymne. Je me suis tournée pour chanter avec eux. Et quand je me suis retournée, j’ai vu que le tribunal était vide. Tous les juges étaient sortis et c’est là ils ont fait rentrer les forces de l’ordre pour vider la salle. Pour éviter qu’il y ait des problèmes, j’ai demandé aux gens de sortir.
Pourquoi entonner l’hymne national dans une salle d’audience ? N’est-ce pas un manque de respect aux juges ?
Est-ce que l’hymne national est un manque de respect pour quelqu’un. Moi je ne sais pas. Que quelqu’un dise que chanter l’hymne national devant lui est un manque de respect ? C’est vrai que je suis profane en la matière, je veux parler du droit, mais ça m’étonne.
Que vous reproche le procureur du Faso ? Et pourquoi le renvoi du dossier ?
Que menace d’incendier une institution de l’Etat. Sincèrement j’ai vu la convocation ce matin avec mon avocat quand ils ont vidé les gens puisque je n’avais pas pu voir mon avocat avant. L’avocat a demandé le renvoi. Au regard de son emploi du temps, il a voulu qu’on ramène cela au 7 ou 5 décembre. Et eux, ils ont dit qu’il fallait que cela se fasse le 7 novembre.
Que reprochez-vous à l’institution judicaire au point d’inviter à l’incendier ?
Vous étiez là-bas. Vous avez entendu ce que j’ai dit. Est-ce que j’ai dit que je vais incendier ? Moi j’ai essayé d’illustrer.
Mais vous êtes poursuivie par le procureur pour les propos que vous avez tenus ?
Pas seulement par le procureur. Tous les syndicats des magistrats ont déposé une plainte contre moi, le procureur a déposé une plainte contre moi. Je suis poursuivie par tous les juges, puisque tous les juges sont syndiqués.
Donc tous les juges du Burkina contre Safiatou Lopez/Zongo ?
Et le procureur qui est syndiqué aussi, qui porte plainte contre Safiatou Lopez, qui se retrouve dans les trois syndicats. Vous comprendrez que c’est une question de personne au regard des propos de certaines personnes. Vous avez vu les propos du 4e vice-président de l’Assemblée nationale et le 4e vice-président du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) qui ont menacé. Dire que le Président du Faso risque de ne pas arriver au terme de son mandat et que ce qui est arrivé à Blaise Compaoré risque de lui arriver. Moi je pense que ce sont des propos assez forts venant de l’exécutif. On ne les a pas entendus.
Vous avez entendu Soumane Touré qui a appelé la jeunesse à une révolution pour chasser le Président Roch et compagnons du pouvoir. Il a même appelé à un coup d’Etat, si je ne me trompe pas. Vous avez vu ce que beaucoup de personnes ont dit. Qu’est que monsieur Basolma Bazié a dit. Il a dit clairement, ce qui est arrivé à Blaise Compaoré et ces gens ont eu la chance de quitter le pays. Mais ils mettront tout en œuvre pour que ceux qui sont là ne puissent pas quitter le pays.
Donc l’anniversaire du putsch, on libère celui-là même qui était dans l’appareil d’Etat et qui a favorisé le coup d’Etat, le putsch. Il a été libéré. Donc vous comprendrez que c’est une question de personne, mais pas une question de justice. Si c’était une question de justice, l’affaire Dabo Boukary aurait été jugée, l’affaire Thomas Sankara aurait été jugée, l’affaire Nébié aurait été jugée, Norbert Zongo. Tous ces dossiers sont des dossiers de crimes de sang, mais on n’a pas entendu quelqu’un.
Vous estimez donc que la justice ne s’attaque pas ‘’aux vrais » dossiers ?
Oui. Et je me demande, je me pose des questions sur l’origine de cet acharnement. Aujourd’hui je me pose des questions. J’ai l’impression que notre pays est en train de régresser. C’est-à-dire qu’on essaie de semer de la terreur dans l’esprit des citoyens. Tu peux tuer, tu peux voler et puis on va te libérer. Mais il ne faut pas déranger certaines personnes dans leur confort.
Que faites-vous de la présomption d’innocence ?
J’ai brulé l’assemblée ? Est-ce j’ai brulé l’assemblée. Mais des gens sont morts par rapport au putsch. Que dites-vous de cela ? Est-ce que moi j’ai posé un acte ? Non. Le putsch c’est un fait qui est là. Des gens sont morts. Des gens ont pris des armes contre des personnes qui étaient à mains nues. On a tué des gens. Des enfants de douze ans sont morts. Que dites-vous de cela ? Mais ils sont libérés, ils n’ont pas été jugés. Mais parce que moi j’ai parlé je dois être jugée. Que dites-vous de cela ? Est-ce que j’ai posé un acte ? Non.
Mais est-ce que vous êtes condamnée, pour le moment ?
Mais attendez. Ils sont juges et parties en même temps, ils sont tous syndiqués. Ils ont porté plainte contre moi et eux-mêmes veulent me juger. Que pensez-vous de cela. Est-ce qu’elle (la justice) peut être impartiale. J’en doute fort. Parce que quand je regarde, Boukary Tintin a été convoqué à la Sureté. Pourquoi ? On dit pour ses propos tenus à la Chambre de commerce.
Hervé Ouattara a été convoqué deux ou trois jours après sa sortie médiatique. On dit affaire Luc Tiao et son gouvernement. On aurait pu parler de la transition. On aurait pu dire, on était tous des acteurs. Mais qu’on parle de l’affaire Luc Tiao et son gouvernement ? Vraiment, au niveau de la société civile, nous nous posons des questions. Parce qu’on se connait depuis le début de la lutte, depuis que Blaise était là. Qu’est-ce que Hervé a à voir dans l’affaire du gouvernement Tiao, ou Luc Tiao ? Donc on se pose des questions. Si tu déranges, on te menace. Je pense que c’est du musèlement. C’est pour bâillonner le peuple Burkinabè.
Qui veut museler qui ?
Vous savez qui. Je n’ai pas besoin de le dire. Vous savez très bien qu’il y a une main invisible au niveau de la justice. Et vous le savez et moi je le sais. Et tout le monde le sait. Je vous dis qu’il y’a une main invisible. Il y a une main invisible parce que des crimes de sang sont là. Personne n’a jamais entendu qu’on a interpellé quelqu’un par rapport à l’assassinat de Norbert Zongo, de Thomas Sankara, de Dabo Boukary.
Vous pensez que vos ennuis judiciaires ont un lien avec votre candidature à la présidence de la Chambre de commerce ?
C’est une probabilité. Je pense que pour certains, accéder à la présidence de la Chambre de commerce, ou faire accéder leur « gars », est une fin en soi. Pour Safiatou Lopez/Zongo, ce n’est pas une fin en soi. C’est parce que tout simplement je me dis que j’ai peut-être ma pierre à apporter pour la construction de l’édifice, pour permettre l’émergence économique. C’est tout. Mais je suis consciente aujourd’hui que je fais peur à certains.
Vous faites peur à qui ?
A certains, à ceux qui en veulent à ma peau. A ceux qui se sentent menacés par Safiatou Lopez. Parce qu’il y a des gens qui ont été complices de crimes de sang qui sont là. Dans ce pays-là on sait qu’il y a eu des crimes économiques, des crimes de sang. On a vu tous ici. On n’a pas entendu ou vu que quelqu’un a été interpellé. Vous êtes de la presse. Si quelqu’un a été interpellé et que vous avez vu ou entendu vous nous informez. Mais nous, nous n’avons pas vu. Voilà pourquoi nous disons que la justice est sélective. Elle est à double vitesse.
Peut-être pas tous les juges mais il faut reconnaitre qu’il y a un problème. Nous avons lutté pour que cette justice ait son indépendance parce que nous avions cru qu’il y avait les politiciens qui s’ingéraient dans les décisions de justice. Pendant la transition notre combat premier c’était de tout faire pour que la justice ait son indépendance. Parce que nous avons dit tous, le Pr Ibriga est là, tous ceux qui ont été acteurs sont là, qu’il faut que la justice soit indépendante pour qu’on puisse avoir justice sur les crimes de sang et les crimes économiques.
Et nous avons lutté pour cela. Mieux, ils ont eu des avantages. Au temps de Blaise Compaoré personnellement, j’ignorais qu’il y’avait trois syndicats. J’ignorais qu’il y’avait un syndicat à la justice. Je ne savais pas que les magistrats avaient un syndicat. Sur la forfaiture de Blaise Compaoré, ils ne se sont jamais prononcés.
Mais Bassolma Bazié, qu’on le veuille ou non, à un moment donné, a tapé du point sur la table. Ils étaient là du côté du peuple. Mais aujourd’hui qui bénéficie. Ce sont ces mêmes magistrats qui bénéficient. Leurs avantages là, ça vient de qui ? Ça vient de nous, ça vient de tout le peuple Burkinabè parce que c’est le contribuable qui les paie. Les juges se retournent contre ces mêmes contribuables là. Les juges se retournent contre nous qui avons lutté pour qu’ils aient leur indépendance. Maintenant ils se mettent au-dessus du peuple Burkinabè.
Cela est dû à quoi selon vous ? Des cas de corruption parmi les magistrats ?
S’ils sont corrompus moi je ne le sais pas. Je n’ai jamais corrompu un juge, je n’ai jamais vu, donc je ne peux pas dire qu’ils sont corrompus. Mais ce qu’il y a, il y a des crimes de sang, des crimes économiques, on en parle pas. Et aussi il y a des gens qui sont sortis et qui ont cité des juges dans des affaires de corruption qui n’ont pas été poursuivis. Rien du tout, ils sont toujours là. C’est qu’il y a une part de vérité quelque part. Sinon normalement, la justice devait les poursuivre. Les mêmes magistrats devaient les poursuivre. C’est qu’il y a une part de vérité quelque part. Si par exemple, Soumane Touré sort et appelle les jeunes à une révolution pour chasser Roch et son gouvernement, on ne dit rien. Il appelle même à un coup d’Etat pratiquement, si je ne me trompe pas, , mais personne ne parle. Zéro…
Selon vous il y a donc un problème au niveau de la justice. Mais à l’issue du procès si vous n’êtes pas condamnée le ton va-t-il changé ?
Moi j’ai parlé. Mais on ne peut pas m’empêcher de parler, je vais parler. Même si on m’enferme. Changer de ton par rapport à quoi. Moi je suis dans mon rôle. Qu’est-ce que j’ai dit de faux. Je suis dans mon rôle. Si je n’ai pas volé, si je n’ai pas tué quelqu’un, si la justice décide de me condamner pour cela qu’à cela ne tienne. Moi je vais toujours dénoncer. Donc cela ne peut pas m’empêcher de parler. Et en toute sincérité moi je suis tranquille. Je suis tranquille dans ma tête. Le peuple burkinabè verra ce qui se passe. Mais moi je pense qu’il est temps que le peuple Burkinabè se lève. On n’a plus le temps de faire une insurrection. On n’a plus le temps de marcher. Nous voulons avancer.
Se lever pourquoi faire au juste ? Mettre la pression ?
Quelle pression. Ce n’est pas une pression. Je dis seulement, le peuple burkinabè doit se lever, le peuple Burkinabè doit se conscientiser, comprendre qu’il y a un temps pour tout. Le temps de l’insurrection, le temps de la transition, mais le temps de travailler pour faire émerger ce pays. Le temps de travailler pour que chacun puisse se retrouver. C’est pour cela que le peuple Burkinabè doit se lever. Et moi je pense que chacun doit tout faire pour que justice soit faite dans ce pays.
Il faut qu’il y’ait justice. Il faut qu’il y’ait justice pour Thomas Sankara, pour Norbert Zongo, pour Dabo Boukary, pour Nébié. Justice pour tous les crimes de sang et économiques dans ce pays. Parce que quand je vois Boukary Tintin, Sureté, Hervé Ouattara, affaire Luc Adolphe Tiao et son gouvernement. Je dis, c’est une façon de faire peur un peu comme au temps de Blaise Compaoré. Je pense qu’il va falloir que chacun prenne conscience de ce qui se passe dans ce pays réellement. Parce qu’aujourd’hui, l’opposition n’est pas un danger. Pour moi, l’opposition est dans son rôle, le problème aujourd’hui au Burkina Faso, n’est pas dans l’opposition, n’est pas dans la société civile, n’est pas au niveau des syndicats. Il est ailleurs.
Il est où ?
Au niveau du parti au pouvoir.
Donc le problème c’est le MPP ?
Je vous ai dit ce que je pense. Maintenant si voulez autre chose, vous allez peut-être vous répondre. Mais moi je vous ai dit ce que je pense.
Source: LeFaso.net
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