La saison des carottes tire vers sa fin au Burkina, mais sur les plaines du barrage de Loumbila, dans le Plateau central, quelques producteurs se battent encore contre les hautes températures pour récolter leurs dernières productions, pendant que la pression monte chez les vendeuses de fortune installées tout le long du barrage. Quelques coriaces d’entre elles dénichent les dernières récoltes pour leurs clients !
Ce 15 avril 2025, le soleil a atteint le niveau maximum. 45 °C selon les agences en charge de la question. Il était 10 h du matin au barrage de Loumbila, dans la région du Plateau central, mais on se croirait à midi. Dans cette zone à forte concentration maraîchère, la forte chaleur court-circuite la croissance des plantes.
Sur la rive droite du barrage, les enfants de Moumouni Kaboré montent la garde dans le champ de carottes de leur père. L’un des rares champs encore visibles. Au milieu du champ, un karité offre sa précieuse ombre à l’un des enfants, le plus petit, 13 ans, qui, allongé à même le sol, rattrape son sommeil de la nuit. Depuis 5 h, ils étaient sur pieds pour arroser le champ.

À côté de lui, son frère aîné, 16 ans, les fixant son téléphone portable, attend impatiemment le retour du père, parti réparer sa moto en ville.
Dans la famille Kaboré, la culture de la carotte se transmet de père en fils. Moumouni Kaboré ne sait rien faire d’autre. Selon ses confidences, il a appris à cultiver la carotte depuis son adolescence auprès de ses parents. Aujourd’hui, il passe le témoin à ceux d’entre ses enfants qui ont refusé l’école, confesse le père. « Je les ai tous mis à l’école, mais ils veulent cultiver la carotte comme moi aussi », lâche-t-il en riant comme pour plaisanter avec eux.
« C’est notre or ici »
Aujourd’hui, la quarantaine bien sonnée, Moumouni Kaboré, n’a jamais appris à faire autre chose. Il dit avoir rejoint ses parents au barrage il y a une vingtaine d’années pour cultiver la carotte et les autres légumes. « Nous ne sommes pas allés à l’école. Notre école, c’est ici. Ce bas-fond est notre bureau, comme les autres bureaux dans lesquels les gens partent travailler. N’est-ce pas, madame ? », plaisante le natif de la zone maraîchère qui semble s’épanouir dans son métier. « Nous avons connu nos parents dans ce travail, et c’est avec ça qu’ils nous nourrissaient. Nous aussi, nous sommes entrés dedans, et on vit de ça. Vous voyez, je ne peux pas vous dire combien je gagne, mais on ne peut pas dire qu’on ne gagne pas. Si vous prenez tout le long de ce barrage, ce sont des dizaines de kilomètres, et ils sont tous dans la culture de la carotte. Mais ils ont vite disparu à cause de la chaleur, sinon vous aurez passé une dizaine de jours sans finir de les interroger. C’est aussi l’or de Loumbila comme ça », commente le quadra.
La culture de la carotte est une activité lucrative et elle emploie des centaines de personnes dans la commune de Loumbila, et ce n’est pas la seule zone de production du pays. Selon le rapport général du module maraîchage de 2010, l’offre nationale de carotte était de 6169 tonnes et les recettes tirées de sa commercialisation sont estimées à environ 558 006 171 FCFA.
À Loumbila, elle occupe femmes, enfants et hommes. De la production à la récolte, en passant par la vente, chacun tire profit du business. Aïcha Ouédraogo, une adolescente d’une quinzaine d’années, installée aux abords du barrage, regrette déjà que la saison tire vers sa fin. Pour l’adolescente qui vend pour le compte de sa tante, c’est une activité lucrative et elle se félicite d’avoir beaucoup vendu cette année. « Moi, je vendais souvent les dimanches quatre à cinq sacs de 17 500 FCFA », témoigne-t-elle sourire aux lèvres. Mais son regret, c’est que c’est une activité qui ne dure que deux à trois mois. « Actuellement, on n’en trouve déjà plus. Si vous voulez des carottes pour vendre, il faut aller au fin fond, et si vous n’avez pas de moto, c’est compliqué. On va repartir s’asseoir encore à la maison et attendre l’année prochaine encore », a-t-elle lancé avec une mine un peu froissée.
La carotte est un légume qui est beaucoup prisé, et elle est ancrée dans les habitudes alimentaires des populations burkinabè. Certains l’utilisent juste pour son goût et d’autres la consomment pour le bien qu’elle apporte aux yeux. De retour de Ziniaré, Inoussa Kaboré et son frère se sont arrêtés au barrage pour se ravitailler. Et il dit le faire à chaque fois qu’il en a l’occasion. Pour le jeune monsieur, il a un problème de vision et on lui a conseillé de consommer régulièrement la carotte, car cela contribuerait à soigner son acuité visuelle. Depuis lors, le jeune homme dit ne pas manquer d’en prendre quand il a l’occasion, sauf qu’il y a des périodes de l’année, où on ne l’a pas.
Justement, la carotte est une plante saisonnière et, passée la période, le Burkina Faso est desservi par les carottes importées. En la matière, Moussa Ouédraogo, lui aussi producteur au barrage de Loumbila, fait savoir que c’est une plante qui n’aime pas les hautes températures, ni beaucoup d’eau ; elle aime la fraicheur. Donc, la bonne période pour sa culture, c’est pendant que les températures sont moins élevées, conseille l’expérimenté, tout en expliquant que si vous cultivez pendant la fraicheur, à 70 jours vous pouvez déjà récolter, alors qu’avec la chaleur, vous risquez d’atteindre les 90 jours voire 100 ; et les carottes ne grossissent pas, elles restent minces et cela ne bénéficie pas aux maraîchers. C’est d’ailleurs pour cela qu’il dit avoir liquidé sa production pour ne pas tout perdre.
Yvette Zongo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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