Au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Zorgho, le personnel de santé fait face aux cas de nombreux jeunes orpailleurs qui arrivent avec des pathologies graves, parfois irréversibles. À ces différentes maladies s’ajoutent la précarité sociale de ces mineurs livrés à eux-mêmes. Dr Pierre Ouédraogo, médecin, tire la sonnette d’alarme sur les impacts dévastateurs de l’exploitation artisanale de l’or sur la santé.

Lefaso.net : Est-ce que vous avez constaté des maladies dues au phénomène d’orpaillage ?

Dr Pierre Ouédraogo : Effectivement, au CMA de Zorgho, nous recevons régulièrement des enfants provenant des sites d’orpaillage qui arrivent aux urgences avec des maladies directement liées à leurs activités. Certains souffrent d’insuffisance rénale, d’affections cutanées ou encore de graves problèmes respiratoires. La plupart d’entre eux ont séjourné dans des sites d’orpaillage hors du pays et reviennent avec des pathologies complexes, difficiles à traiter pour leur jeune âge.

Quelle est en majorité la tranche d’âge de ces patients ?

La majorité des patients sont des jeunes de moins de 24 ans. Ces jeunes sont les plus nombreux à fréquenter le CMA. Les travaux sur les sites affectent leur croissance, l’exposition à la poussière provoque des affections respiratoires, parfois si graves qu’ils arrivent avec des poumons remplis de liquide, nécessitant de l’oxygène en urgence. D’autres manipulent des produits chimiques toxiques comme le mercure ou le cyanure sans protection. Les adultes, conscients des dangers, confient ces tâches aux enfants qui ne mesurent pas les risques encourus.

Est-ce que les personnes sur les sites se rendent à temps dans les centres de santé en cas de maladie ?

C’est là une problématique majeure. En général, ils viennent se soigner quand il est déjà trop tard. Et encore, ce sont les plus chanceux qui parviennent jusqu’au centre de santé. D’autres meurent sur la route ou sur les sites. Ceux qui arrivent sont souvent seuls, sans accompagnateur. La personne responsable d’eux sur les sites les abandonne, les laissant se débrouiller pour trouver des soins. Nous devons souvent lancer des alertes pour retrouver leurs parents.

Est-ce que ces jeunes ont de quoi se prendre en charge ?

Ils n’ont pas de quoi se prendre en charge. Ce sont des gens qui sont allés à l’aventure. C’est vrai que le rêve était de revenir avec beaucoup d’argent et beaucoup de matériel, mais il se trouve que très souvent il n’en est rien. De plus, personne n’est garant de ces enfants. Quand ils sont dans un état critique, on les met juste dans un car, dans le cas où ils ont la chance, pour qu’ils reviennent au pays ou dans leurs familles. C’est ainsi qu’avec les complications aussi pendant le voyage, ils se retrouvent dans notre centre de santé.

Y a-t-il des impacts psychologiques sur ces jeunes que vous avez remarqués ?

Il y en a beaucoup parce que les sites d’orpaillage sont réputés être des lieux où les jeunes sont exposés à des comportements d’adultes. Il y a la consommation de substances psychoactives, comme les drogues et autres. Cela affecte grandement leur psychologie et, rapidement, il y en a qui vont avoir des comportements déviants. Que ce soit les activités sexuelles à risque ou la prise de substances psychoactives, tous ces facteurs peuvent créer des troubles mentaux.

Ces comportements augmentent-ils la prévalence des IST et du VIH/SIDA ?

Oui, je pense que la contribution du secteur de l’orpaillage dans la propagation des maladies sexuellement transmissibles est grande. Il faut rappeler que non seulement sur ces sites, il y a des comportements à risque, mais même lorsqu’ils reviennent en ville ou au pays avec un peu d’argent, ces jeunes veulent croquer la vie à pleines dents. Mais ces sites sont à l’origine de la propagation de maladies sexuellement transmissibles et de façon assez rapide.

Avez-vous constaté des décès liés à ce phénomène ?

Malheureusement, certains meurent sur les sites ou en chemin. Ceux qui arrivent dans un état critique, avec des poumons saturés ou des reins détruits, décèdent souvent malgré nos soins. Mais il y a aussi des cas que nous parvenons à sauver lorsque la maladie n’est pas encore trop avancée.

Y a-t-il une stratégie mise en place par le CMA pour contrer ces conséquences ?

Nous participons aux instances de décision pour plaider en faveur de la sensibilisation et de la prévention. Nous prenons en charge tous ceux qui arrivent au CMA et profitons de leur présence pour sensibiliser autant les patients que leurs familles sur les dangers de l’orpaillage. Malheureusement, c’est quand c’est trop tard que les gens ont le temps pour nous écouter. Si tu dis à un jeune de ne pas aller sur un site d’orpaillage pendant qu’il est bien portant, il ne va pas t’écouter. Mais c’est lorsqu’ils reviennent avec des pathologies compliquées qu’ils comprennent.

Quels sont vos souhaits pour que ce phénomène diminue ?

À tous les niveaux, on aimerait que les gens prennent conscience et qu’ils puissent offrir aux enfants l’éducation pour ne pas les laisser face à l’orpaillage.

À l’endroit des autorités, nous souhaitons qu’elles prennent le phénomène à bras le corps. Pour d’abord sensibiliser et mettre les moyens à disposition pour lutter contre le phénomène. C’est ce qui va donner la chance aux enfants de grandir et d’être en bonne santé afin de contribuer au développement de leur pays.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net