La rédaction de Lefaso.net s’est entretenue avec le secrétaire de l’ONG Urgences panafricanistes, section Burkina, Jean Baptiste Ramdé. Dans les lignes qui suivent, le journaliste indépendant donne des précisions sur l’actualité locale et sous-régionale, et réagit aux dernières nouvelles concernant leur leader Kémi Seba, qui a été récemment arrêté puis relaxé en France.

Lefaso.net : Votre bureau a été récemment installé. Dites-nous, sous quel signe mettez-vous votre mandat ?

Jean Baptiste Ramdé : Ce bureau nouvellement installé n’est pas loin des objectifs de l’ONG Urgences panafricanistes, c’est-à-dire l’autodétermination, l’ancrage traditionnel et culturel du peuple africain et du peuple noir dans sa globalité. Il ne s’agit pas de l’Afrique uniquement. Nous parlons aussi de la diaspora, des Caraïbes, de l’Amérique du Sud, là où les Noirs se trouvent. Au Burkina Faso, c’est l’autodétermination, la conscientisation et plus de solidarité dans nos actions.

Et pourquoi au Burkina ?

Nous avons une fenêtre de tir incroyable avec l’AES [Alliance des Etats du Sahel], avec beaucoup de structures qui se créent. Il s’agit de travailler pour accentuer cette dynamique qui est en œuvre. Le panafricanisme, c’est l’unité des différentes formes d’africanité dans le but d’acquérir une souveraineté collective. Pour cela, on est dans le concret concernant l’AES et nous espérons que d’autres pays africains vont se joindre à cette alliance. Nous travaillons avec la société civile, que ce soit au Mali, au Burkina ou au Niger, et dans d’autres pays ; puisque notre but ultime, c’est l’unité africaine.

En juin 2024, Kémi Seba, le président de l’ONG Urgences panafricanistes, était ici à Ouagadougou. On n’a pas senti un véritable engouement autour de son arrivée et autour des activités menées. Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Et pourtant, Kémi était à l’aéroport et il y a eu un engouement. Il était allé se recueillir au mémorial Thomas-Sankara, celui qui l’a inspiré et qui continue de l’inspirer. C’est son mentor, c’est son père spirituel comme il aime à le dire. Sankara est l’une de ses motivations ; c’est ce qui fait qu’il résiste et qu’il est déterminé.

Au Burkina Faso, il faut savoir que Kémi a été invité par la Coalition des organisations de la société civile burkinabè, donc il n’est pas forcément acteur de la mobilisation. Quand vous dites qu’il n’y a pas d’engouement, c’est votre regard et je le respecte.

Mais je pense qu’il y a eu beaucoup d’engouement quand même. Il a pu rencontrer le chef de l’État, c’est très important. Ils ont pu discuter de leur vision commune, parce que ça fait beaucoup d’années que Kémi vient au Burkina. Avant 2022, il était interdit de venir au Burkina et dans d’autres pays (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, etc.). Donc l’arrivée d’Ibrahim Traoré a été l’occasion pour lui de revenir auprès de ses compatriotes, des jeunes qu’il a formés et qu’il appelle « une armée de conscience ». Pour nous au niveau de l’ONG et ceux qui étaient auprès de lui, ça a été une réussite.

On a assisté à plusieurs défections dans les rangs de la section du Burkina Faso d’Urgences panafricanistes. Quel est le problème ? Le leadership ou les idéaux ?

Non, même pas ! Il y a deux éléments. Il faut savoir qu’avec l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré, avec le lancement des VDP [Volontaires pour la défense de la partie], beaucoup se sont enrôlés. Il y a beaucoup de nos éléments qui étaient des étudiants, donc il y a de l’avancement au fur et à mesure. Le deuxième élément, il y a eu un remaniement de bureau au niveau du Burkina ; donc il y a du changement. Mais aujourd’hui, nous avons un groupe soudé, solidaire, prêt à combattre l’impérialisme et le néocolonialisme sous toutes ses formes. Surtout la globalisation, c’est-à-dire l’occidentalisation du reste du monde.

Nous souhaitons et espérons un monde multipolaire où personne ne pourra parler à la place de l’Afrique, où personne ne va prendre la place de l’Afrique sur l’échiquier international. Et c’est ça le but ultime de l’ONG Urgences panafricanistes qui, depuis 2015, lutte au niveau social et politique avec des partenariats géopolitiques, qui nous permettent aujourd’hui de résister à l’oppression sous toutes ses formes. C’est un cycle. Il y a des gens qui viennent dans la lutte et après, ils ont d’autres occupations. Peut-être que ce n’est pas la seule raison. Sinon, ce ne sont pas des querelles.

La récente arrestation de Kémi Seba à Paris est venue réconforter ceux qui pensent qu’en réalité, il jouait un double jeu. Quel est votre avis ? Ça porte un coup à votre lutte ?

Kémi, ça fait plus de six fois qu’il a été arrêté, même une fois ici au Burkina Faso. Pour nous, l’arrestation de Kémi est quelque chose de normale. Je dis très souvent que tous les leaders noirs depuis le XXe siècle ont connu ces arrestations arbitraires et fallacieuses, et c’est toujours le même refrain. Des gens comme Martin Luther King, Malcom X, Thomas Sankara, ils vont les traiter d’agents russes, de communistes, etc.

L’Occident et la France ne supportent pas qu’ils y aient des hommes et des femmes noirs décomplexés et désaliénés, qui défendent leurs droits et qui veulent prendre leur destin en main. C’est ça que la France refuse tout simplement parce qu’elle connaît notre force. C’est nous qui manquons de culture sur notre histoire ; eux, ils connaissent qui nous sommes. Par la colonisation et l’esclavage, ils ont envoyé des ethnologues, des sociologues et des anthropologues pour étudier nos sociétés.

Là où je veux rétablir la vérité, il faut savoir que Kémi Seba est rentré d’une tournée internationale sur la sensibilisation et la conscientisation de la diaspora noire. Son combat a commencé depuis 1999. Il est rentré en France parce qu’il a un proche qui ne se sentait pas bien. Il faut savoir que Kémi a été déchu de sa nationalité française, mais il n’a pas été interdit d’entrer en France. C’est l’amalgame que les gens font.

Notre combat n’est pas celui de « peuple contre peuple ».

C’est un combat contre l’oligarchie française, une oligarchie néolibérale et globale. On dit qu’une civilisation n’est détruite de l’extérieur que si elle est rongée de l’intérieur. Il faut savoir que cette oligarchie n’a pas de couleur. Le deuxième élément, Kémi est rentré en France pour profiter voir des opposants béninois. Après sa relaxe, il a fait sortir un communiqué où il a dit qu’un agent de la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure] lui a demandé : « C’est vous qui voulez devenir le prochain président du Bénin ?

Est-ce que vous pensez que vous pouvez mieux faire que Talon ? ». Et Kémi lui a répondu tout simplement : « Aujourd’hui, vous riez mais demain, vous ne rirez pas ». Donc c’est un complot international entre messieurs Talon et Macron pour arrêter Kémi Seba, parce que c’est quelqu’un qui dérange aujourd’hui, qui dérange tous ceux qui sont dans la Françafrique, tous ceux qui ne veulent pas l’autodétermination du peuple africain.

Dans l’espace AES, il existe beaucoup d’OSC. Au Burkina, quelles sont les organisations avec lesquelles vous travaillez et pour quelles causes ?

C’est très simple. Je ne vais pas citer des noms parce qu’il y en a tellement. Déjà, l’année dernière, nous étions au Mali pour une manifestation pour le départ de la MUNISMA. Nous avons été invités par le Mouvement Yerewolo dirigé par Ben le Cerveau.

Au Burkina Faso, nous sommes aussi en partenariat. Comme je l’ai dit, l’arrivée de Kémi, c’est la coalition des OSC du Burkina qui l’a invité donc il n’y a pas d’amalgame ici. Le but ultime, c’est le panafricanisme. Au niveau du Burkina, la plupart des OSC, celles que nous connaissons, se réclament panafricanistes. Le panafricanisme, c’est l’unité de différentes formes d’africanités dans le but d’obtenir une souveraineté collective. Et tous ceux qui sont dans cette lancée, nous sommes prêts à marcher avec ces personnes. On ne peut pas prôner l’unité si nous-mêmes, dans nos pays, dans nos familles, nous ne travaillons pas dans cette unité. Nous sommes toujours ouverts au partenariat.

Ce n’est pas seulement en Afrique. Kémi est invité dans tous les coins du monde pour donner des conférences. Nous sommes les amis du monde et nous voulons que ce monde multipolaire dont nous rêvons puisse voir le jour pour qu’on sache qu’il y a aussi des peuples opprimés qui veulent prendre leur destin en main et qu’ils veulent profiter des ressources naturelles de leurs pays.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki

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Source: LeFaso.net