En 2018, Mireille (nom d’emprunt) enceinte pour la première fois de sa vie va perdre son bébé à la naissance. A travers un témoignage qu’elle a préféré anonyme, elle revient sur la douleur de cette perte, l’isolement, la culpabilité, et son difficile chemin vers la guérison, encore marqué par l’absence de son enfant qu’elle a porté sans jamais le voir. Interview.

Lefaso.net : Comment s’est passée votre première grossesse et comment s’est déroulée l’accouchement ?

Mireille (nom d’emprunt) : Ma première grossesse, je l’ai eu en 2018. Ça n’a pas été une grossesse facile parce qu’au cours de la grossesse j’avais des difficultés à manger et même à boire de l’eau. Je vomissais à tout moment, peu importe le repas que je mangeais. C’était vraiment une grossesse très difficile au niveau émotionnel, comme physique, parce que ce n’était pas quelque chose que j’avais planifié.

C’est une grossesse qui est arrivée sans que je m’y sois préparée, donc psychologiquement, ça n’allait pas. Je faisais des visites prénatales tout le temps, je voyais un gynécologue et je faisais les échographies. J’avais fait au moins cinq échographies avant l’accouchement. Et le jour de l’accouchement, dans la nuit, j’avais des douleurs. Aux environs de 20 heures, j’ai supporté jusqu’à 22 heures avant d’aller dans une structure sanitaire. Et quand je suis arrivée avec les douleurs, ma tension aussi était élevée.

Comme j’ai fait des études médicales, j’ai tenu à dire aux agents de santé que ma tension était élevée et que je pense qu’il y a un problème. Ils m’ont répondu que comme j’étais jeune et que c’est la première grossesse, que c’était dû au stress. J’ai insisté quand même pour leur dire qu’il y avait un problème si ma tension monte. Mais rien n’a été fait. Lors des poussées, l’enfant est sorti et quand le bébé est sorti, il n’a pas émis de cris.

Donc, j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’anormal parce que lorsqu’un bébé sort, il doit émettre des cris. Mon bébé n’a pas émis de cris et immédiatement on l’a emmené dans une autre salle. Et on ne m’a rien dit. Pendant ce temps, je sentais une déchirure qui a eu lieu lors de l’accouchement. Mais ils ne se sont pas occupés de moi. La suture n’a pas été bien faite. Ils ont fait la suture avec un fil qui était très douloureux. Après, on m’a annoncé que mon enfant est sans vie.

<p class="note" style="position: relative; color: #012b3a; margin: calc(23.2px) 0px; padding: calc(9.6px) 40px; border-left: 5px solid #82a6c2; background-color: #eaf0f5; border-top-color: #82a6c2; border-right-color: #82a6c2; border-bottom-color: #82a6c2; font-family: Montserrat, sans-serif;" data-mc-autonum="Note: « >A lire : Santé au Burkina : Le taux de mortalité infanto-juvénile est passé de 81,7 à 48 pour 1000 entre 2015 et 2021

Avez-vous eu l’occasion de voir votre enfant à un moment donné avant que l’on ne l’enterre ?

Non, je n’ai pas vu mon enfant. J’ai demandé à le voir, mais on n’a pas accepté parce qu’on m’a dit que l’enfant est décédé. C’était un homme, un maïeuticien qui est venu et m’a dit « Madame, nous sommes désolés, mais l’enfant n’est plus. » Je ne savais pas s’il fallait crier dans la salle ou s’il fallait fermer ma bouche, mais mes larmes coulaient. Je sais que lorsque l’on m’a annoncé ça, je n’arrivais plus à bien respirer et il a fallu que l’on appelle d’autres personnes pour venir m’aider avec de l’oxygène pour que je puisse bien respirer parce que c’était un choc pour moi.

Un double choc parce que jusqu’au aujourd’hui, je ne sais pas à quoi mon bébé ressemblait. Je ne sais pas quelle couleur elle (c’était une fille) avait parce que je ne l’ai pas vue. C’était une fille. Jusque-là, le choc est présent parce que je voulais, même si elle est sans vie, pouvoir la voir, la toucher et tout. Je me dis que si on m’avait écoutée quand j’ai dit que ma tension était élevée et qu’on m’avait immédiatement envoyée au bloc, mon bébé serait en vie. Je ne l’aurais pas perdue !

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Comment avez-vous vécu votre convalescence ?

Le comble, c’est qu’après mon accouchement, on m’a mise dans une salle où il y avait des femmes qui avaient leurs bébés en main. Donc, c’était vraiment insupportable pour moi. J’ai même vite demandé que l’on me libère pour que je parte parce que je ne supportais pas. Je vois les autres tenir leurs bébés et moi, je ne tiens personne. Et quand on est arrivés à la maison, je suis rentrée dans la chambre et j’ai refusé de voir quelqu’un. Je pleurais juste.

Le père de mon bébé est venu et je ne voulais pas non plus le voir. Je lui ai dit que je voulais rester seule. Et j’ai pris les vêtements que j’avais déjà acheté pour mon bébé, je les regardais et je pleurais seulement. Je pleurais, mais j’avais aussi mal au niveau de la suture. Donc, chaque nuit je ne dormais pas, je ne faisais que pleurer. Pendant plus d’une semaine c’était le même scénario. Je n’arrivais pas à manger, même si je voulais je ne pouvais même pas.

C’est au parc Bangr-Wéogo de Ouagadougou que « Mireille » nous a rencontré pour raconter l’histoire de la perte de son bébé

Quand je mets la nourriture dans ma bouche, mes larmes ne font que couler. Et quand je vois quelqu’un, mes larmes ne font que couler. Toutes les paroles de consolation que l’on me disait, c’est comme si c’était un poignard qui me transperçait encore le cœur. Une semaine après, j’avais toujours mal à la suture, je ne pouvais pas m’asseoir. Nous sommes repartis dans un centre de santé et on a vu un gynécologue. Le gynécologue a dit que la suture n’était pas bien faite. Il fallait que l’on voit un chirurgien pour qu’il donne son avis.

Ce dernier a aussi dit que ce n’était pas bien fait. Il fallait que je reparte au bloc, que l’on redéchire et que l’on recommence encore une nouvelle suture. J’étais vraiment révoltée parce qu’ils m’ont fait perdre non seulement mon bébé, mais ils m’infligent une souffrance atroce d’être suturée à nouveau. Je voulais même porter plainte contre eux, mais après je me suis résignée. J’avoue que des mois après je ne faisais que pleurer. Et jusque-là, ça fera six ans, mais je ressens la même douleur que le jour de l’accouchement.

Peut-être que la douleur n’est pas aussi intense, mais quand je parle de cela, je suis attristée. Parce que quand je vois des enfants qui ont l’âge qu’elle aurait dû avoir, je sens cette douleur-là. Chaque jour, j’imagine ce qu’elle aurait pu devenir, ce qu’elle aurait pu faire. C’est vrai que j’ai eu un autre enfant, mais ça ne compense pas cette perte. Je vis avec cette douleur. Je ne sais pas si un jour je pourrai effacer cette douleur de ma tête parce que chaque fois que je pars souvent à l’église je la porte toujours dans mes prières. Souvent je m’assoie je lui parle, je lui dis que je l’aime et que j’aurais voulu être sa maman…

Est-ce que cette expérience douloureuse vous a changé ?

Sincèrement, oui, parce que je me suis un peu isolée de mon entourage. Il est vrai que de nature je n’aimais pas trop me coller aux gens, mais ça a encore aggravé. Je me disais qu’en me retrouvant seule, j’arriverais peut-être à avoir une certaine connexion avec mon enfant. J’avais l’impression de la voir courir. C’est comme si en étant seule, j’arrivais à être avec elle sans que l’on ne me traite comme une folle. Ça m’a vraiment transformée.

Je suis très protectrice avec ma fille que j’ai parce que je me dis que je dois tout faire pour que rien ne lui arrive, même si je sais que ça ne dépend pas de moi. Avec la culpabilité, je me dis que pour l’autre, c’est moi qui ai fauté, c’est pourquoi elle n’est pas restée en vie. Donc, au moindre bobo, j’ai très peur. Quand je vois un enfant même qui est malade ou qui souffre, j’ai très peur parce que je me dis que voilà qu’il peut partir du jour au lendemain. Je ne sais pas si je m’en remettrai si une deuxième fois si cela m’arrive.

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Lorsque vous avez eu un autre enfant, est-ce que cela vous a apaisé ?

Oui ça m’a apaisé mais pas totalement parce qu’il y a des moments où quand je regardais mon deuxième enfant je ne voulais pas la toucher. Je ne sais pas comment décrire ce sentiment mais j’étais vide en moi je me disais que ce n’était pas elle et que ce n’est pas la personne que j’ai perdue. Par moments, ça me mettait en colère et même pour l’allaiter souvent, je le faisais difficilement, parce que je pensais à l’autre bébé. Mais au fil du temps, je regardais la petite et j’ai compris que ce n’est pas de sa faute si je n’ai pas l’autre. J’essayais comme je pouvais de prendre soin d’elle. J’avais pris un prêtre comme mon psychologue, j’ai essayé de faire des recherches sur le net et j’ai essayé de voir les témoignages.

Je tapais ça sur le net “comment vivre après avoir perdu un enfant” pour essayer de voir comment les autres femmes faisaient pour vivre avec. Je voyais que certaines disaient qu’elles ont vu un psychologue, d’autres disaient que c’est la famille, donc j’ai contacté même une psychologue par le biais d’un ami. Mais comme les coûts étaient élevés, je ne pouvais pas me permettre d’être suivi par un psychologue. Cela fait que je ne l’ai plus recontacté, mais je partais toujours vers mon prêtre qui, lui, le fait de manière volontaire et gratuite. Même s’il utilisait plus de tactiques religieuses pour le faire, c’était plus accessible pour moi. J’aurais voulu avoir un psychologue pour me suivre, mais cela n’a pas été possible à cause du prix.

Qu’est-ce qui a pu vous redonner goût à la vie ?

Ce qui m’a permis de me rétablir, c’était la prière. Avec les paroles et les prières du prêtre, j’ai commencé à me réconforter petit à petit. Il me disait que je devais toujours prier pour elle, qu’elle est là, elle me voit, et qu’elle aussi, elle aurait voulu être ma fille, mais que le plan de Dieu est autre. Et il y avait une dame un peu dans la même situation que moi avec qui je causais souvent. J’expliquais mon problème et elle me réconfortait parce qu’elle avait eu à faire des fausses couches et à perdre un enfant.

J’ai voulu vite refaire un enfant aussi pour passer à autre chose. Je me disais, il faut que je tombe enceinte, il faut que je tombe enceinte pour remplacer ce vide-là. Mais quand je suis tombée enceinte à nouveau c’était à la fois une inquiétude et une joie. C’était une fausse perception parce qu’un enfant ne remplace pas un autre. Chaque enfant est particulier pour une mère.

Encore aujourd’hui, la jeune dame a du mal à surmonter cet épisode de sa vie

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Donc durant ma grossesse, j’étais toujours inquiète quand j’avais un peu mal. Je me disais que je vais perdre encore mon bébé. Et j’avoue que lors de l’accouchement de cette dernière, je suis allée, de manière fortuite, pour un rendez-vous avec mon gynécologue et il m’a dit qu’il fallait qu’on enlève vite l’enfant parce que l’enfant était en souffrance. L’enfant n’arrivait pas à respirer. Je me disais, c’est le même scénario que l’autre. J’allais perdre encore à nouveau un bébé. Mais heureusement, bien que j’ai failli perdre la vie, mon deuxième enfant est né en bonne santé.

Qu’est-ce vous que conseillerez aux femmes qui ont déjà perdu un enfant ?

Ce que je conseillerais aux femmes, c’est de pouvoir trouver un cadre pour parler. S’approcher de celles qui ont fait des fausses couches ou qui ont perdu des enfants pour discuter et faire un partage d’expériences. Chacune donnera des idées de comment elle a vécu cela et de ce qui l’a aidé à surmonter cette étape pour avancer de manière positive. Certaines personnes se disent que la douleur, quand tu perds un enfant qui a peut-être 5 ans ou 6 ans est plus forte que de perdre un bébé que tu n’as pas connu. Mais moi je dirais que c’est faux.

C’est la même douleur, c’est la même perte. C’est une vie qui n’est plus. Et nous n’avons pas la même manière de vivre la perte d’une personne que l’on aurait aimé chérir, éduquer et voir grandir. Même si c’est difficile, il ne faut pas culpabiliser et se dire que c’est de sa faute parce que ça va contribuer à vous plonger dans la douleur. Pour celles qui sont pieuses, il faut beaucoup prier.

Qu’avez-vous à ajouter ?

S’il était possible d’avoir accès aux psychologues plus facilement ça aiderait beaucoup de femmes. Étant donné que le coût de consultation avec les psychologues est élevé, c’est difficile de se faire accompagner. Pourtant, ils savent comment aider à traverser et à vivre ce genre d’épreuves. Moi par exemple, je me suis dit que faire un autre enfant était la solution. Mais je connais une autre personne qui, après avoir perdu son enfant, a refusé depuis de faire un autre par peur.

Peut-être que plus tard, elle va changer d’avis. Mais si un psychologue la suivait, peut-être que la guérison irait plus vite. Aussi la famille et l’entourage doivent pouvoir soutenir une personne qui a fait une fausse couche ou qui a perdu un enfant. C’est très lourd et très difficile à porter seule. Ne pas se dire que la personne exagère, parce qu’elle n’est pas la seule à avoir perdu un enfant. Donc, les familles et encore plus les conjoints doivent être là. Je vous dis merci pour cette opportunité que vous m’avez donnée de m’exprimer.

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Interview réalisée par Farida Thiombiano

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