Nombreux sont les écrivains qui ont marqué la littérature burkinabè en lui donnant ses lettres de noblesse. Patrick Gomdaogo Ilboudo fait partie de ces rares écrivains « créateurs de valeurs et défenseurs ». Romancier, nouvelliste et aussi poète, l’écrivain avait une plume qui ne laisse pas indifférent. Dans notre chronique, nous revenons sur ce grand écrivain à travers le critique littéraire Salaka Sanou.
Vie et parcours scolaire et professionnel
Né en 1951, journaliste enseignant de profession après une formation universitaire en lettres modernes, Patrick Gomdaogo Ilboudo fait partie de ceux que nous avons appelé les chefs de file de la « deuxième génération » des écrivains burkinabè. Excellant dans la pratique du roman et de la nouvelle (même s’il a fait quelques excursions dans la poésie), il a obtenu plusieurs prix littéraires tant nationaux qu’africains. A sa disparition en février 1994, il était le seul romancier à avoir publié quatre romans. Cette productivité et les prix obtenus témoignent de sa persévérance et de la qualité de son travail. A cela, il faut ajouter qu’il s’est aussi investi dans le mouvement associatif en étant le président-fondateur de la Mutuelle pour l’union et la solidarité des écrivains (MUSE).
La vie de Patrick Gomdaogo Ilboudo a été faite de souffrances et de privations pendant son enfance (du fait de la situation sociale de ses parents), d’endurance et de persévérance pendant sa formation scolaire et universitaire, d’exigences et de récompenses dans sa vie professionnelle. Après des études primaires sans difficulté, Patrick G. Ilboudo a été obligé d’interrompre ses études secondaires à plusieurs reprises afin de travailler pour pouvoir payer ses frais de scolarité. C’est ainsi qu’il a exercé plusieurs métiers : précepteur, manœuvre, entre autres.
Il a commencé les études universitaires sans bourse parce qu’il ne remplissait plus les conditions d’âge pour en bénéficier. Après une licence de Lettres modernes à Ouagadougou, il prépare et obtient une maîtrise à l’université d’Abidjan. Et face à de tels efforts, il a sollicité et obtenu enfin une bourse pour préparer un doctorat en sciences et techniques de l’information qu’il a obtenu l’université Paris II en 1983. C’est muni de ce doctorat qu’il va enseigner à l’Institut africain d’études cinématographiques (INAFEC) de I’université de Ouagadougou, avant d’être nommé chargé de communication à la représentation de L’UNICEF à Ouagadougou jusqu’à sa disparition.
Ce rappel de la biographie de Patrick G. Ilboudo n’est pas innocent : il nous renseigne sur l’homme et les vicissitudes auxquelles il a été confronté. En même temps nous savons qu’il a réussi aussi à gravir l’échelle sociale jusqu’à un niveau respectable, comme fonctionnaire international. Mais, cette ascension sociale ne s’est pas faite toute seule, il n’a pas réussi sa vie par hasard : c’est à force d’efforts, de persévérance et d’exigences vis-à-vis de lui-même que sa vie a été ainsi couronnée. Et on peut alors affirmer que cette vie a été exemplaire, même si elle a été brutalement et prématurément interrompue, elle peut servir de modèle pour d’autres hommes.
Si ce n’était que cela seulement, cette évocation ne nous aurait pas intéressé outre mesure. Elle nous intéresse dans la mesure où elle a des incidences et des conséquences sur l’écriture de Patrick G. Ilboudo. En effet en nous penchant sur son œuvre, deux phénomènes ont retenu particulièrement notre attention : sa thématique et son écriture.
La thématique de Patrick Ilboudo est profondément sociale : cela est motivé par le besoin d’écrire et le souci de parler de l’homme dans la société qui guident sa créativité. Rendu très sensible à la misère et à la souffrance humaines, il s’est fixé comme mission de participer à la « purification » de la société, à son « toilettage » pour la débarrasser de toutes les impuretés qui ont pour noms corruption et délinquance à cols blancs, prostitution sociale et économique, dictature et absence de démocratie et de liberté, exploitation et répression des couches les plus défavorisées.
En un mot, il dénonce toutes les entraves (politiques, économiques, sociales et morales) qui empêchent l’Afrique de décoller, de se développer. Ce choix thématique répond aux quatre missions qu’il assigne à l’écrivain : l’écrivain est une mémoire collective, une bibliothèque de la culture qui doit conserver le patrimoine commun ; l’écrivain est un vigile ; pour éviter les écarts et les abus, il observe la société et indique dans quel sens il faut améliorer telle ou telle chose ; l’écrivain est le miroir de la société parce que celle-ci se regarde en lui. Et enfin, l’écrivain est un voyeur d’avenir : il perçoit toujours le sens dans lequel la société va évoluer.
Ces quatre fonctions concourent à faire de l’écrivain donc un mobilisateur des consciences qui s’adresse à des intelligences qu’il va inviter à cheminer avec lui, à s’élever, à rechercher la perfection. Cette recherche et même cette exigence de perfection, Patrick G. Ilboudo se l’impose d’abord comme écrivain ; il l’impose ensuite à son lecteur qui ne doit pas « sortir indemne » après l’avoir lu.
Public et style d’écriture
En effet, Patrick G. Ilboudo choisit le lecteur auquel il veut s’adresser par le choix du français comme langue d’écriture. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quel locuteur ou lecteur du français : il s’agit de tous ceux dont le niveau d’instruction leur permet de comprendre la situation présentée dans ses œuvres. II opère un tri qualitatif en visant essentiellement les couches sociales supérieures qui ont un niveau d’instruction et de formation qui les place dans la hiérarchie administrative et qu’il met en scène. C’est ce qui explique le niveau de langue très soutenu qu’il utilise : en effet, pour beaucoup, il est impossible de lire et comprendre un roman de Patrick Ilboudo sans avoir recours à un dictionnaire. Certains lecteurs l’accusent parfois de pédantisme tellement les mots peu courants ainsi que les expressions latine y sont très fréquents.
La complexité de son vocabulaire est doublée d’une complexité de l’organisation interne de ses romans. Ainsi, dans « Le procès du muet », le narrateur est extradiégétique-hétérodiégétique, c’est-à-dire absent dans la fiction et n’est pas présent dans ce qu’il raconte. Dans « Les carnets secrets d’une fille de joie », il est extradiégétique-homodiégétique, c’est-à-dire absent dans la fiction et présent dans ce qu’il raconte. Dans « Les vertiges du trône », il est extradiégétique-hétérodiégétique, c’est-à-dire absent dans la fiction et n’agit pas dans ce qu’il raconte. Dans « Le héraut têtu », il est intradiégétique-homodiégétique, c’est-à-dire présent dans la fiction et acteur dans le récit.
Cela dénote une certaine érudition à travers la connaissance parfaite des techniques narratives. Il y a donc chez lui, au départ, une ligne de conduite qu’il s’impose dans le choix de la voix narrative et de la langue (vocabulaire et grammaire notamment) et qui va ensuite s’imposer aussi à ses lecteurs afin que ceux-ci fassent un effort pour accéder à son sens. L’écriture agit alors avec lui comme un moyen d’apprentissage, de formation et surtout d’ascension intellectuelle : on ne peut lire une œuvre de Patrick G. Ilboudo sans enrichir son vocabulaire de nouvelles tournures. Il est aussi exigeant vis-à-vis de son lecteur que vis-à-vis de lui-même.
Un écrivain ancré dans sa société
Malgré cette rigueur dans l’emploi de la langue française, Patrick G. Ilboudo n’en oublie pas pour autant de plonger son lecteur dans son univers culturel traditionnel à lui en prenant comme référence les traditions Mossé. Il opère cet ancrage culturel de plusieurs manières : d’une part en utilisant une anthroponymie dont l’onomastique révèle des significations profondes qui créent une relation entre la signification des noms des personnages et leurs caractères, d’autre part par l’abondance et l’importance des genres oraux dans ses romans.
Ainsi, à travers ses créations littéraires, Patrick G. Ilboudo se veut défenseur de certaines valeurs : l’écriture comme moyen d’instruction, d’élévation de conscience, d’ascension intellectuelle du lecteur, la littérature comme véhicule des cultures africaines par son immersion dans son univers socio-culturel, la littérature comme arme de lutte idéologie sans forcément une connotation politique. Ces valeurs sont tellement évidentes chez lui qu’elles retiennent tout de suite l’attention du lecteur.
Référence : L’institution littéraire au Burkina Faso, Salaka SANOU,2002-2003, P.72
Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net
Crédit photo : Martial Rigobert Tiendrebeogo
Source: LeFaso.net
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