Dans un contexte où on appelle les Burkinabè à consommer local, la contrefaçon bat également son plein. Que ce soit dans les assiettes ou le style vestimentaire, le faux s’invite au quotidien de la population. Juriste de formation, Abdoulaye Kouanda, par ailleurs président de l’association Éduquer pour développer – Éveil de conscience (EDEC Burkina Afrique), milite contre le faux tissu Faso Dan Fani qui inonde le marché burkinabè. Le juge assesseur au tribunal de travail de Ouagadougou est un acteur engagé du « consommons local ». Dans cette interview accordée à la rédaction de Lefaso.net, il présente son association et les défis auxquels ils sont confrontés.

Lefaso.net : Pouvez-vous nous présenter l’association EDEC ?

Abdoulaye Kouanda : EDEC Burkina est une organisation de la société civile à but non lucratif, qui est née matériellement en 2015. En son sein, il y a des tisseuses de différentes catégories socioprofessionnelles. EDEC Burkina évolue dans le développement durable touchant particulièrement l’éducation, la culture, la santé, l’économie, la bonne gouvernance, etc. Elle a des points focaux dans les treize régions du Burkina Faso. C’est en septembre 2023 que nous avons eu le récépissé.

Pourquoi le nom EDEC Burkina Afrique ?

Le nom ne désigne pas forcément Burkina Faso. En fait, c’est l’intégrité. Tout africain doit être intègre. Et tout passe par l’éducation donc nous avons comme crédo : « Toujours agir dans l’éducation pour changer les mentalités, pour se développer ».

Dans la promotion du consommons local, vous vous êtes lancés dans la lutte contre le faux Faso Dan Fani. Dites-nous pourquoi cet engagement ?

D’abord, mon amour pour le Faso Dan Fani, c’était à l’école, lorsque j’étais encore élève. Ma grand-mère était fileuse (faire le fil) et mon cousin était un tisserand traditionnel. Lorsque je portais le tissu traditionnel au Lycée Nelson Mandela dans les années 1992-1993, les gens se moquaient de moi. Je marchais de l’avenue Kwamé Nkrumah pour aller au lycée. Même à l’école, une de mes enseignantes avait dit que c’est un habit précambrien.

En 2008, j’ai décidé de créer une école où je dois promouvoir le Faso Dan Fani. Je sais que je ne peux pas promouvoir tout ce que Thomas Sankara a fait mais au moins une de ses idées révolutionnaires. J’ai commencé à faire le plaidoyer au niveau administratif et au plus haut niveau. La première autorité à qui j’avais écrit, c’était le Premier ministre Luc Adolphe Tiao. Il m’a répondu que c’était vraiment cher, ce n’est pas à la portée des parents donc il faut voir ce qui peut être à leur portée. Ils n’ont pas cherché à me rencontrer pour voir comment je fais pour habiller les élèves, qu’est-ce que j’attends des autorités pour l’accompagnement. Pourtant, j’avais démontré quatre raisons fondamentales sinon cinq parce qu’à l’époque, je ne pouvais pas leur dire que c’est l’idée de Thomas Sankara qui m’avait poussé. Les quatre raisons sont la santé pour les élèves car la tenue est en coton ; l’identité culturelle parce que c’est une fierté du Burkina Faso ; l’économie, car ça va booster les affaires ; et la création d’emploi pour les Burkinabè.

Comment détecter un faux tissu Faso Dan Fani ?

Voici un faux tissu que j’ai apporté pour vous montrer. Nous avons brûlé ce tissu. C’est épais, c’est comme si on a pris un sachet en plastique pour brûler. Alors que si c’était du coton, ça devrait être de la cendre et au moindre toucher, ça disparaît. Donc pour la différence entre le vrai Faso Dan Fani et le faux, il y a d’abord le toucher. Le vrai est encore plus mou par contre le faux est plus rugueux. Mais c’est très aléatoire. Quelqu’un qui ne s’y connaît pas ne peut pas le toucher pour le savoir.

Que faire pour lutter contre ce faux qui ressemble beaucoup au vrai ?

Il faut un engagement patriotique. Lorsque le consommateur arrive chez le commerçant et qu’il veut du 100% Faso Dan Fani, il faut qu’il insiste sur la qualité.

Dans votre lutte, est-ce que vous sensibilisez également les commerçants ?

Oui ! Nous avons animé une conférence de presse le 21 juin 2024, dans le cadre du programme d’activités 2024-2025, pour décliner quelques activités. La sensibilisation est notre plus grande activité. Aller vers les marchés pour rencontrer les commerçants, les consommateurs directs pour leur présenter les quatre conséquences du consommons local. La semaine dernière, nous avons entrepris une caravane en passant par les non lotis pour parler directement aux consommateurs. Ensuite, on avait fait des démonstrations entre le faux Faso Dan Fani et le vrai, et listé les conséquences par moment sur certaines artères. Nous avons sillonné quatre marchés et dans les jours à venir, nous irons dans d’autres marchés.

Naturellement, ceux qui sont dans le faux ne nous reçoivent pas ; ils fuient même. Par contre ceux qui vendent le vrai apprécient notre initiative.

Les gens disent que le faux tissu coûte moins cher par rapport au vrai. Selon vous, il faut quel genre de politique pour soutenir ceux qui font le vrai tissu ?

On nous dit chaque fois que c’est cher mais je crois que c’est relatif. Je sais que le fil contrefait importé coûte vachement moins cher que le fil national. Mais lorsqu’on utilise le fil contrefait, on vend le pagne deux fois plus cher que le pagne local. Vous voyez la controverse du commerçant ? Il paie le fil moins cher, d’ailleurs même ce n’est pas labélisé, ça ne respecte aucune norme. Donc au niveau des prix, il faut nuancer. Nous savons que le bazin coûte plus cher que le Faso Dan Fani et son entretien également, mais les gens l’achètent. C’est une question de volonté, de choix.

Quels sont les défis auxquels EDEC est confronté pour la promotion du consommons local ?

Notre premier défi est de lancer un vibrant appel aux autorités actuelles pour adopter une politique de protectionnisme du Faso Dan Fani pendant au moins dix ans pour implémenter cela dans les écoles et que tout le monde prenne goût. Tous ceux qui connaissent l’Éthiopie savent que tu ne peux pas voyager avec leur compagnie sans passer par Addis-Abeba. Ils ont protégé le secteur du transport à telle enseigne que c’est devenu une compagnie africaine et même mondiale.

Aux autorités du ministère de l’Éducation, qu’ils ne laissent pas les gens qui veulent saboter la politique nationale du gouvernement.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki

Crédit photo : Bonaventure Paré

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Source: LeFaso.net