Son parcours est inspirant. Une ode à la persévérance malgré les obstacles qui peuvent se dresser. Boukaré Nikièma, mécanicien de profession, âgé de 45 ans, a décroché cette année 2024, son baccalauréat professionnel en maintenance des véhicules automobiles. Un succès qui mérite d’être célébré, tant l’homme a fait preuve de détermination pour en arriver à ce résultat. Bouba, comme tout le monde l’appelle, force l’admiration de ses proches, des clients de son garage et de ses collaborateurs.

Boukaré Nikièma, affectueusement appelé Bouba, fait partie des candidats qui ont décroché le baccalauréat, session 2024. Mais pour ce mécanicien, le bac pro en maintenance des véhicules obtenu après des études en cours du soir est le couronnement d’un parcours jalonné de difficultés. En effet, en 1993, Boukaré Nikièma réussit au Certificat d’études primaires (CEP). Mais faute de moyens, il ne pourra pas poursuivre ses études. Il se voit obligé de s’inscrire dans un centre d’apprentissage de métiers.

Son choix se porte sur la mécanique, puisque c’est un métier qu’il a toujours aimé. Malheureusement pour lui, ce centre ne formait pas en mécanique. Il est alors contraint d’apprendre un autre métier et il opte pour la soudure. Quatre ans, durant, c’est ce métier qu’il apprendra, ce qui ne va pas réussir à lui faire oublier son amour pour la mécanique.

Après son apprentissage en soudure, Boukaré Nikièma quitte le centre et décide d’apprendre le métier qui le passionne réellement, c’est-à-dire la mécanique dans un garage de la place.

Après quelques années de pratique, en 2006, il s’installe à son propre compte et ouvre son garage dénommé « Garage de l’évolution », avec la modique somme de 300 000 FCFA. Des débuts difficiles qui vont contribuer à forger son caractère de battant, dont nous parlent ses collaborateurs. D’ailleurs quand il s’agit de travail, ils sont tous unanimes, Bouba aime le travail bien fait. Adjaratou Nikièma, élève en maintenance des véhicules automobiles au Lycée professionnel régional du Centre est stagiaire au Garage de l’évolution. Après y être passée l’année dernière, elle a décidé de revenir pendant ces vacances 2024, pour apprendre encore auprès de ce patron qu’elle juge bon, mais rigoureux. Aujourd’hui, le quadragénaire a au sein de son garage, dix employés permanents et deux stagiaires.

Reprendre des études après 17 ans d’arrêt

S’il est vrai que Boukaré Nikièma a réussi à ouvrir son garage et faire ce qui le passionne réellement, il y a une chose qui lui tenait également à cœur et qu’il n’a jamais réussi à oublier, ce sont les études. En 2010, soit 17 ans après son Certificat d’études primaires, M. Nikièma retourne sur les bancs de l’école en s’inscrivant en cours du soir en classe de 6e. Comme il le dit, lui-même, « J’avais abandonné parce que les parents n’avaient pas les moyens, mais maintenant que je peux moi-même payer les frais de scolarité, pourquoi ne pas reprendre l’école ? » Et c’est là que débute le vrai parcours du combattant pour concilier vie professionnelle, familiale et études. Après la classe de 5e, alors qu’il passe en 4e, Bouba est victime d’un accident de travail dans son garage. Il reste alité presqu’une année. A la reprise, il doit redoubler d’efforts pour maintenir son garage sur les rails. Finalement, c’est cinq ans après la classe de 5e, que Bouba s’inscrit en 4e en 2017, puis il passe en 3e où il obtient avec brio le BEPC.

Pour la suite, il décide de s’inscrire dans une filière technique. Il cherche une école qui dispense des cours du soir dans les filières techniques et n’en trouve pas. Il fait donc une année blanche. Puis, l’année suivante, il apprend que le Lycée professionnel régional du Centre dispense des cours du soir en maintenance des véhicules automobiles. Il s’y inscrit et deux ans après, il passe haut la main l’examen du BEP. Il s’inscrit en bac pro 1 et décide de passer le CAP dans cette classe, parce qu’il est venu à l’enseignement technique avec le BEPC et non le CAP. Ce diplôme, il réussira à l’obtenir aussi. Puis l’année d’après, en 2024, il décroche haut la main, le bac pro en maintenance des véhicules automobiles. « Pour passer le BEP, il faut que ton BEPC ou CAP ait deux ans. En 2022, j’ai passé le BEP et j’ai eu. Il fallait ensuite passer le bac professionnel qui est conditionné par le BEP qui doit avoir deux ans. En 2023, je ne pouvais donc pas passer le bac pro, mais j’ai fait le bac pro 1, qui est la première partie du programme. Je me suis dit que comme je n’ai pas commencé l’enseignement technique avec le CAP, mais avec le BEPC, j’allais composer le CAP, et ce, sans suivre les cours du CAP. Et quand j’ai déposé, pendant la période des examens, j’ai composé et ça a marché. En 2024, deux ans après le BEP, je pouvais passer le bac et c’est ce que j’ai fait avec succès », explique M. Nikièma.

Ce parcours, Bouba le doit à sa détermination et à sa soif d’apprendre. Pour lui, tout est possible à celui qui croit en ses rêves. Il suffit juste de se donner les moyens de les réaliser en ayant une volonté à toute épreuve. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, nous confie-t-il, il n’a jamais jugé insurmontable, la conciliation entre sa vie professionnelle et ses études.

Pour preuve, il a toujours tout mis en œuvre pour ne pas manquer les cours, même si parfois la fatigue prend le dessus. « C’est vrai que souvent on a des angoisses au travail et même en famille, mais malgré tout, comme la volonté y est, je trouve toujours le moyen de surmonter les difficultés et d’aller au cours. Mes professeurs peuvent témoigner, je ne manquais pas les cours. Il m’arrive d’aller en retard, mais je ne rate jamais les cours. C’est la motivation et le vouloir qui m’ont fait repartir à l’école, il n’y a pas de raisons d’abandonner parce que c’est difficile. La vie n’a jamais été facile, c’est à nous d’être plus forts », motive-t-il.

Cette discipline qu’il s’impose et cette envie permanente d’apprendre, Jean Hubert Sawadogo, fonctionnaire à la retraite et client du Garage de l’évolution depuis plusieurs années en est témoin.

Selon M. Sawadogo, Bouba a toujours été un mécanicien exemplaire, faisant son travail avec professionnalisme et sérieux, ce qui lui vaut sa fidélité à son garage. Lorsqu’il apprend donc que son mécanicien est retourné à l’école, c’est tout naturellement qu’il lui a apporté son soutien moral. « Quand il m’a dit qu’il allait reprendre ses études, j’ai eu chaud au cœur, parce que ce n’est plus courant de voir des gens qui, après leurs études, font des formations continues. La formation continue, c’est sacré. Je suis venu avant-hier pour connaître son résultat, imaginez ma joie de savoir que tout s’est bien passé. Je témoigne que c’est un mécanicien qui m’a convaincu et m’a séduit », a-t-il laissé entendre.

Ami d’enfance et collaborateur de Bouba, Soumaïla Kabré, électricien auto au Garage de l’évolution depuis 2008, se dit fier du parcours tant professionnel que scolaire de son ami. Un parcours, qui selon lui, est le résultat du sérieux que M. Nikièma attache à tout ce qu’il fait. « On se connaît depuis l’enfance, il faisait la mécanique et moi l’électricité. Depuis des années, il a toujours dit qu’il voulait reprendre ses études. Je l’encourageais. Il a repris et Dieu merci, il a réussi à ses différents examens. En ce qui concerne la mécanique, il est très fort. Il sait combiner la théorie et la pratique », a déclaré M. Kabré, soulignant qu’en ce qui concerne le travail, les clients du garage en ressortent toujours satisfaits.

Les particuliers ne sont pas les seuls à être satisfaits du travail de M. Nikièma. Il a souvent soumissionné aux marchés publics pour l’entretien des véhicules du parc automobile de l’Etat. Et il a toujours reçu des retours positifs. Malheureusement, cette époque où il pouvait soumissionner aux marchés publics pourrait être révolue, car un décret signé en 2023 exige désormais que les entreprises désirant soumissionner aux marchés publics se dotent d’un agrément. Une disposition, qui selon M. Nikièma est en défaveur des petites entreprises comme la leur, tant le parcours pour obtenir l’agrément d’une validité de trois ans, est compliqué. Il plaide donc que les petites entreprises en soient dispensées, afin de leur permettre de se développer et de travailler à se mettre à niveau.

Ouvrir un centre de formation

Le bac pro en poche, Boukaré Nikièma n’a pas la possibilité de poursuivre des études supérieures en maintenance des véhicules automobiles, parce que cela n’est pas disponible au Burkina Faso. Il prévoit donc de prendre des cours en ligne en France. Mais avant, il doit suivre une formation en anglais. Et c’est ce à quoi il s’attèle actuellement.

La soif d’apprendre, selon M. Nikièma est nécessaire, si l’on veut évoluer dans un domaine. C’est pourquoi, il ne se fixe pas de limites, avec pour ambition d’ouvrir un jour un centre de formation en mécanique. « Si j’ai décidé de repartir à l’école, c’est pour avoir la connaissance, avoir le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Donc, je ne vais pas m’arrêter là. Je veux suivre quelques cours complémentaires et penser à l’ouverture d’un centre de formation où je pourrai transmettre mon savoir aux plus jeunes qui sont intéressés par la maintenance des véhicules automobiles », a-t-il déclaré.

En attendant l’ouverture de ce centre, grâce à son travail acharné, ce père de quatre enfants, a pu développer une autre activité connexe qui est la location de véhicules. Une activité malheureusement au ralenti à cause de la situation sécuritaire que connaît le Burkina Faso. Il commercialise également des pièces détachées de voitures et ambitionne dans les années à venir, de vendre des véhicules d’occasion.

Justine Bonkoungou

Lefaso.net

Photos et vidéo : Ange Auguste Paré

Source: LeFaso.net