Non, les générations d’avant n’étaient pas forcément plus vertueuses que celles actuelles. Ibrahima Ly en est convaincu, lui qui tente de le démontrer dans cette tribune, à travers l’analyse de l’œuvre musicale de Sandwidi Pierre qui décrivait dans ses chansons les tares de son époque.
Comme des chroniques, Sandwidi Pierre décrivait dans ses chansons les faits de son époque. Il l’a souvent fait sous forme d’images dans certains de ses morceaux, mais dans l’échantillon des chansons que nous avons choisies pour illustrer les travers de la société voltaïque, il rend compte comme un journaliste des situations qu’il a vécues. L’objectif de l’écriture de ce papier, c’est de faire savoir à ceux qui croient naïvement que les générations d’avant étaient plus vertueuses qu’ils ont tout faux. Chaque génération a ses brebis galeuses et les compositions de Sandwidi Pierre qui datent des années 1970 sont des exemples qui confirment qu’il n’y a jamais une société manichéenne où on a soit des gens bien, soit uniquement des gens mauvais.
Pour ceux qui veulent saisir la quintessence des problématiques de ses tubes, bon nombre sont sur YouTube. Ils se régaleront de la belle mélodie et saisiront le sens de ce qu’il raconte comme sujet. Les Bamana disent que la chanson peut souvent ne pas épater par sa mélodie, mais par la profondeur du sujet qu’elle aborde.
L’artiste est le miroir de la société et le musicien Sandwidi Pierre a su bien l’incarner à son époque. Dans un échantillon de ses chansons apparaissent les tares sociales de la Haute-Volta d’alors, aujourd’hui Burkina Faso. Deux leçons sont à retenir : il n’y a pas un contexte manichéen où il n’y a que du bien ou du mauvais.
La vie étant soumise à la loi de la dialectique, les deux vont ensemble. La deuxième leçon, c’est qu’on a l’habitude d’entendre les propos de certains aînés, qui consistent à faire croire que, durant les débuts des indépendances jusqu’aux années 1980, les mœurs étaient meilleures que maintenant. Dans les morceaux du « Troubadour de la Savane » (c’est son sobriquet), on réalise que la société voltaïque avait bien des travers et que les mauvais comportements actuellement ne sont que la perpétuation des anciens.
Ouaga Affaire : un morceau qui dénonce les tares
Sa chanson intitulée « Ouaga Affaire » est bien à propos et le message essentiel qu’on y soustrait est que tout était affaire dans la capitale, peu après la première décennie post-indépendance. En plus de la trame qui est que tout est affaire, deux éléments s’ajoutent comme additifs du factuel pendant la période. Le manque d’emploi des lettrés, l’insincérité dans l’amour. L’artiste affirme que : « ce qui lui fait mal à Ouaga, c’est que tout est affaire. Céder sa femme et se mettre dans la posture d’un cocufié pour avoir du travail à Ouaga, on le désigne par le nom « affaire ». « Le cambrioleur, dans son acte répréhensible, considère qu’il est en affaires. » « Même celui qui va se saouler la gueule dit qu’il sort pour les affaires ».
Dans le même titre, l’enfant de Namentenga (le nom de sa province) évoquait les difficultés à obtenir un emploi. « Nous qui avons fait l’école rurale, nous avons la certitude que nous ne pouvons pas avoir d’emploi », allusion faite au travail de bureau. « Ceux qui ont atteint le niveau du collège ne s’en sortent pas ; a fortiori nous autres qui venons de l’école rurale ». Au début des années 1970, les jobs à la Fonction publique pour les emplois subalternes avaient commencé à manquer. Pour occuper ces places aux premières années des indépendances, il suffisait d’avoir fait quelques années d’études à l’école et de savoir lire. L’autre solution était trouvée dans les écoles alternatives créées par les Organismes ruraux de développement (ORD), appelées écoles rurales.
L’amour ou une relation coupable à multiples partenaires
Le second sujet abordé dans le même morceau est l’insincérité dans l’amour. L’artiste, dans sa revue critique de l’amour, assure que « être amis et se suivre au nom de cette amitié vaut mieux que l’amour à Ouaga. Chez certaines filles, les garçons s’alignent comme s’ils veulent passer un test ou un concours. Une seule fille avec une dizaine de partenaires, elle vogue des montures à deux roues comme la Vespa ou des montures à quatre roues comme la voiture. » L’essentiel de ce que dépeint l’artiste Sandwidi Pierre, c’est ce que nous vivons aujourd’hui en plus répandue, et cela est lié à des facteurs comme la croissance démographique et le contenu des mass-médias proposé pour consommation à la population. L’autre tube qui décrit les maux de la société voltaïque de la même période est « Zara ».
Sandwidi, dans cette composition, s’oppose à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité et dénonce le paradoxe de la baisse du prix de l’alcool dans les bars. Comme dans un récit éclectique dans cette galette musicale, il s’en prend à la prostitution qui avait déjà pignon sur rue à Ouagadougou en pointant du doigt des filles qui se regroupaient devant un bar réputé de l’époque appelé « Rassambissé » pour s’adonner à la vente de leurs charmes. Sandwidi Pierre n’en veut pas qu’aux praticiennes du plus vieux métier du monde de Ouagadougou. Il s’offusque aussi d’avoir vu lors d’un « Naabasga » à Tenkodogo (une fête traditionnelle) les filles qui fumaient de la cigarette. Toutes ces situations dont la relation est faite en musique sont constitutives du vécu quotidien des moments évoqués par les nostalgiques en mal d’inspiration comme les moments les plus vertueux de la Haute-Volta, alors qu’il n’en était rien.
Le fonctionnaire de brousse et sa mésaventure
Le rossignol continue de peindre le tableau social à travers un son « Yamb muy ne yamb capitale ». Il se traduit en français par « gardez votre capitale ». Le musicien se met dans la peau d’un fonctionnaire dont l’exigence du travail oblige à abandonner Ouagadougou pour raisons de service. Après une longue période d’absence, il obtient un congé et décide de revenir dans la capitale. Une nuit, il fait le choix d’aller danser. Au cours de la soirée, il fait connaissance d’une fée qui semble avoir une addiction pour le houblon. Il lui offre une dizaine de bouteilles de bière au cours de la nuit. À l’aube pratiquement, il invite l’oiseau nocturne chez lui. Après consommation du fruit défendu, il tend 300 francs CFA à son invitée surprise qui, immédiatement, refuse en lui rétorquant qu’une nuit de passe fait 1000 francs. Il s’est résolu à prendre l’argent de la chaussure de sa femme pour payer la contrepartie de jambes en l’air. On pourra par ces chansons conclure que rien n’est nouveau dans ce bas monde. Les périodes parfaites que chantent avec mélancolie certains « Kôrô » ne sont que des vues de l’esprit. De la Haute-Volta au Burkina Faso, il y a toujours eu des gens aux mœurs légères comme des gens bien dont les exemples contés vont servir à plusieurs générations.
Yalgado, l’hôpital mouroir
Sandwidi Pierre, c’est aussi la description de la misère sociale par son titre « Naab wend sigda » qu’on pourrait traduire par « Dieu descend ». Il critiquait le système sanitaire d’alors qui n’a pas fondamentalement changé aujourd’hui. Le pauvre, après avoir traîné sa pathologie dans les petits centres et qui doit par malchance poursuivre le traitement à Yalgado, se destine à un « mouroir ». Déficit de places, déficit des produits pour celui qui a les poches trouées, et souvent on déclare la pénurie des comprimés et des produits injectables, si ce n’est par une commande en Europe. Il voyait mal également le fait que les gouvernants soumettent le peuple au paiement de l’impôt de capitation.
L’artiste-musicien était politisé, très proche de la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD), appendice du Parti africain de l’indépendance (PAI) ; certaines de ses musiques empruntaient la couleur politique. Une chanson comme « Ton Yabramba », qui veut dire nos pères en mooré, situe l’itinéraire des luttes des peuples voltaïques. Il convoque la pénétration coloniale en soulignant que les Blancs sont arrivés en territoire voltaïque avec des fusils et qu’en face d’eux, il n’y avait que les flèches et les carquois, les outils de guerre qui ne font pas le poids devant l’arsenal militaire des envahisseurs. Les tournants importants de l’histoire de la Haute-Volta ont été la famine (il y en a eu beaucoup) et la malheureuse guerre avec le frère malien. Toutes ces étapes de la vie du pays sont chantées par le compositeur militant Sandwidi Pierre.
La radio a été d’un grand support pour sa production. Le Club voltaïque de disque (CVD), les orchestres Harmonie voltaïque et Super Volta ont été d’un grand apport dans les enregistrements de ses chefs-d’œuvre. Par ces quelques œuvres de l’enfant de Namentenga, on se rend compte qu’il n’y a pas une génération exempte du bien comme du mal. Et on réalise en même temps que la musique est un matériau qui peut aider à lire le passé et à se faire une idée entre cette période révolue et le présent.
Ibrahima Ly
Source: LeFaso.net
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