Implantée au Burkina Faso depuis 2006, la Fondation Strømme œuvre pour une éducation inclusive de qualité et le renforcement de l’économie communautaire à travers des approches innovantes. Son directeur pays, Cyriaque Yélémou, de passage à Lefaso.net, a parlé des grandes lignes de la stratégie de l’organisation, de ses domaines d’intervention et des défis qu’elle rencontre dans la mise en œuvre de ses programmes.
Lefaso.net : Pouvez-vous nous présenter la Fondation Strømme ainsi que les grandes lignes de sa stratégie d’intervention au Burkina Faso ?
Cyriaque Yélémou : La Fondation Strømme est une organisation internationale de droit norvégien basée à Kristiansand, la quatrième ville la plus importante de la Norvège après Oslo, la capitale. La Fondation Strømme intervient dans plusieurs régions du monde : aujourd’hui, elle couvre trois régions au lieu de cinq auparavant, en raison de la fermeture de la région Amérique latine. Nous intervenons en Asie (Myanmar, Bangladesh, Népal), en Afrique de l’Est (Soudan du Sud, Tanzanie, Ouganda) et en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Niger). Au Burkina, elle est active depuis 2006 à travers deux programmes majeurs : le programme d’éducation inclusive de qualité et le programme d’économie inclusive. En matière d’éducation, nous promouvons et mettons en œuvre des approches d’éducation accélérée. La plus connue est la SSAP (Stratégie de scolarisation accélérée passerelle). La Fondation Strømme est l’initiatrice de ce concept éducatif, particulièrement pertinent dans notre contexte actuel d’insécurité, qui engendre de nombreux enfants déplacés.
Dans quelles régions du Burkina Faso êtes-vous actuellement présents, et selon quels critères ces zones ont-elles été choisies ?
Nous intervenons actuellement dans cinq régions du pays : la Boucle du Mouhoun, les Hauts-Bassins, le Nord, le Plateau central et le Centre-est. Le choix de ces zones s’inscrit dans notre stratégie globale, élaborée à partir d’analyses contextuelles prenant en compte les principales problématiques régionales. Certaines de ces zones sont des foyers historiques d’intervention depuis 2006, tandis que d’autres comme le Plateau central et la Boucle du Mouhoun sont des zones nouvellement intégrées, en raison de leur vulnérabilité à la crise sécuritaire et de l’afflux de personnes déplacées internes.

Parlez-nous de votre programme Speed School qui favorise le retour des enfants à l’école.
La Fondation Strømme est reconnue pour son innovation en matière d’éducation et a initié plusieurs approches d’éducation accélérée, connues sous l’appellation anglaise « Speed School ». En Afrique de l’Ouest, elle avait mis en place un secrétariat sous-régional pour piloter cette initiative, mais a ensuite transféré cette responsabilité aux États pour une meilleure appropriation nationale. Au Burkina Faso, en réponse au contexte sécuritaire difficile, plusieurs partenaires tels que l’UNICEF et EDUCO soutiennent la mise en œuvre de la stratégie de scolarisation accélérée, car elle s’adapte particulièrement bien à la situation actuelle.
La SSAP est un programme intensif de neuf mois destiné aux enfants hors système scolaire, âgés de 9 à 12 ans. Ce programme condense les contenus des classes de CP1, CP2 et CE1. Les deux premiers mois d’apprentissage se font dans la langue maternelle de l’enfant, puis les sept mois suivants en français. Cette méthode facilite l’assimilation rapide des connaissances.
Les enfants ayant réussi l’évaluation finale intègrent directement le CE2. Une variante, appelée SSA2, couvre les classes de CE2, CM1 et CM2 en deux années scolaires. À l’issue du programme, les enfants peuvent se présenter au CEP. Les résultats enregistrés jusqu’ici sont très encourageants.
Comment travaillez-vous avec les associations locales ou les groupements communautaires pour renforcer leurs capacités dans les zones d’intervention au Burkina Faso ?
Nous adoptons une approche fondée sur le « faire-faire », en collaborant avec des organisations locales. Actuellement, nous travaillons avec cinq partenaires locaux qui assurent la mobilisation communautaire et la mise en œuvre de nos activités sur le terrain.
Avant d’établir un partenariat, nous réalisons une évaluation des risques et des capacités opérationnelles, humaines et techniques des structures afin de garantir qu’elles sont à même d’assumer les responsabilités qui leur sont confiées. Parmi les actions de terrain, nous mettons en œuvre des programmes d’alphabétisation active. Ces initiatives permettent aux femmes d’acquérir des compétences de base en lecture, écriture et calcul en français, afin de renforcer leur autonomie et de faciliter l’exercice d’activités génératrices de revenus.
Quel bilan faites-vous de vos interventions au Burkina Faso par rapport aux autres pays de la région ?
À ce jour, plus de 49 000 enfants ont bénéficié des centres SSAP au Burkina Faso et ont pu intégrer le système éducatif formel. Dans le domaine de l’économie inclusive, notre approche phare est celle de l’épargne pour le changement. Elle vise les femmes ayant un accès limité au crédit et à l’inclusion financière. Elles sont regroupées en associations villageoises d’épargne et de crédit, mobilisant leurs propres ressources à travers des activités génératrices de revenus. Nous avons de nombreux groupes fonctionnels dans nos zones d’intervention. Certains se sont structurés en associations formelles, leur permettant d’accéder à des services de microfinance et de développer des activités dépassant annuellement les 10 millions de francs CFA.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des programmes de la Fondation Strømme et comment s’adapte-t-elle aux défis sécuritaires et humanitaires actuels du Burkina Faso ?
Deux principales difficultés se posent à nous. D’abord, l’insécurité qui perturbe l’accès à certaines zones et nous oblige à adapter continuellement notre programmation. Malgré cela, nous constatons un retour progressif au calme dans certaines régions.
Ensuite, la mobilisation des ressources représente un autre défi majeur. Le contexte international actuel est marqué par une diminution des financements, ce qui affecte la plupart des organisations. Nous répondons à cette situation en diversifiant nos sources de financement et en renforçant notre plaidoyer à l’échelle nationale et sous-régionale.
Nous faisons également face à des cas d’enfants ayant des troubles liés à la santé mentale, en lien avec leur vécu de déplacement ou de conflit, et qui nécessitent des prises en charge spécifiques.
Quelles sont vos priorités stratégiques pour les prochaines années au Burkina Faso ?
Notre stratégie globale est alignée sur les Objectifs de développement durable (ODD). Pour les prochaines années, nous comptons élargir notre impact en intégrant davantage l’intervention humanitaire à nos actions. Cela implique une meilleure préparation, la mobilisation de ressources supplémentaires, une implication accrue des communautés bénéficiaires, et la consolidation de nos partenariats actuels.

Quel message souhaitez-vous adresser à vos bénéficiaires, partenaires et aux décideurs au Burkina Faso ?
Le sentiment qui m’anime est d’abord un sentiment de reconnaissance. Nous bénéficions d’une excellente réceptivité des populations dans les zones d’intervention, notamment dans le Centre-nord, le Nord, les Hauts-Bassins et le Centre-est.
Nos remerciements vont également à l’État burkinabè qui a renouvelé la convention d’établissement avec notre organisation, ainsi qu’à notre ministère de tutelle, celui de l’Éducation. Nous exprimons aussi notre gratitude envers nos partenaires techniques et financiers, notamment la NORAD (Agence de coopération norvégienne), la fondation ACO, Global Affairs Canada, Educated Child et bien d’autres.
Notre souhait est que l’ensemble des acteurs continue à nous accompagner pour la réussite de notre mission, dans une dynamique de synergie et d’engagement collectif.
Entretien réalisé par Farida Thiombiano
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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