Président de l’ONG ŒIL d’Afrique, analyste géopolitique, évangéliste de Jésus Christ ; tel se présente Larba Israël Mathieu LOMPO, plus connu des internautes avec le nom de Larba Israël LOMPO. Depuis 2005, il a fait de la question de la souveraineté économique de l’Afrique son cheval de bataille. Cela l’a amené à s’engager à fond pour la mise en place d’une Caisse des dépôts et consignations qui verra le jour en 2017. Il revient dans cet entretien sur ce combat et s’exprime sur les derniers développements autour des dépôts à terme (DAT).
Vous avez mené pendant longtemps le combat pour la création d’une Caisse des dépôts et consignations au Burkina ; qu’est-ce qui vous a motivé ?
Mes camarades et moi avions créé l’ONG Œil D’Afrik en février 2005 dans le but de pousser les dirigeants africains à aller vers une souveraineté monétaire et plus particulièrement à en finir avec le FCFA. Je me suis donc lancé dans les recherches pour comprendre les mécanismes qui régissent le système monétaire. Dans mes voyages et recherches, j’ai eu à faire la connaissance de plusieurs spécialistes de la monnaie notamment en Europe et en Amérique latine. Tous étaient unanimes que la souveraineté financière précède la souveraineté monétaire. Me voici donc dans une situation de sérendipité (trouver autre chose qui, très souvent, est plus important que ce que l’on cherchait à l’origine).
La souveraineté monétaire implique la souveraineté économique et la souveraineté économique dépend de la souveraineté financière. Tout commence par la capacité à s’auto financer ; ne serait-ce que pour les besoins primaires. Si pour un forage, une salle de mariage à la mairie, il faut attendre un don de la France, on ne peut rêver d’une souveraineté monétaire. Que faire donc ? C’est là qu’un ami du Canada va me suggérer la mise en place d’une Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC). Cette caisse doit être alimentée par des fonds qui n’appartiennent pas à l’Etat mais gérés par des sociétés d’Etat. Ces fonds ne peuvent être enregistrés comme recettes au Trésor public. Par exemple, les cautionnement au niveau de la Poste BF, Sonabel et de l’ONEA, les recettes des institutions de prévoyance sociale (CNSS, CARFO,), ces fonds n’appartiennent pas à l’Etat. L’Etat ne peut donc pas les utiliser pour payer des salaires ou financer des projets d’individus. Cet argent est gardé dans des comptes bancaires sous forme de dépôts à termes (DAT) au bonheur des banquiers.
Ma motivation est venue lorsque j’ai compris que ces fonds, on peut les utiliser pour financer des collectivités locales dans leurs projets de constructions de marchés publics, de marchés à bétail, de marchés à fruits et légumes, des écoles communales à la scolarité réduite par rapport aux privés, des aménagements des espaces agricoles et de maraichéculture et bien d’autres. Et ceci sans contraintes exogènes.
A quoi ce combat a abouti ?
J’ai engagé le plaidoyer auprès des autorités burkinabè en 2008 pratiquement, pour que ces fonds puissent être centralisés dans une institution qui appartient entièrement au peuple. Ce qui lui permettra d’engager des vrais projets de développement avec de l’argent venant directement des mains du même peuple. Mais je me suis retrouvé face à des défaitistes qui ont tenté de me convaincre de laisser tomber, car le Burkina avait déjà fait l’expérience de la Caisse Nationale des Dépôts et des Investissements (CNDI) créée en 1973 qui a fini par disparaitre après avoir subi plusieurs transformations avant d’être absorbée par la banque française SGBB.
J’ai continué à me battre, car pour moi, chaque génération doit se donner les moyens de reconsidérer ce qui a été, d’actualiser et valoriser les bons acquis et de continuer de progresser vers l’excellence.
En janvier 2017, j’ai été reçu en audience par la ministre Rosine COULIBALY, une dame formidable et foncièrement patriote. Je lui ai exposé tous nos projets et parmi lesquels, il y avait celui de la création de la CDC-BF. Il faut dire que le sujet avait déjà été abordé à un haut niveau au sein du gouvernement. Quelques mois après, par la loi n°023-2017/AN du 09 mai 2017, la CDC fut créée.
Mais cette création n’a pas été du goût des banquiers et des directeurs généraux des sociétés d’Etat et cela a ouvert un autre front à cause des intérêts que ces fonds généraient en DAT.
Donc je peux dire que ce combat a abouti à la création de la CDC-BF et aujourd’hui la CDI-BF et la Banque du Trésor.
Comment analysez-vous ce qui s’est passé avec la CDC-BF qui a été supprimée et remplacée sans avoir véritablement fonctionné ?
La suspension de la CDC-BF et après sa suppression ont été un choc pour moi. J’ai fourni tellement d’efforts et de sacrifices en engageant mes fonds propres dans la recherche et dans les voyages pour mieux cerner le sujet et revenir convaincre de la nécessité de la création de la CDC-BF.
Les principaux comptables de cette suppression sont les banquiers et les directeurs généraux des Sociétés d’Etat. Ce sont eux qui ont mené une contre-campagne contre la CDC-BF. Ils ont refusé la centralisation des fonds au niveau de la CDC-BF. Certains hommes politiques, sans chercher à comprendre le bien fondé de l’institution, ont même laissé entendre que la CDC-BF a été créée pour récompenser des copains.
J’ai continué à me battre malgré les différentes menaces de mort dont j’étais l’objet. La CDC-BF a eu 09 mois d’exercice proprement dit ; et quand le Président Roch a été renversé, la première décision du nouvel homme fort, le Président DAMIBA, a été de suspendre la Caisse. Cette fois, ma décision a été de transporter le combat sur la place publique à travers des émissions radiophoniques tous les vendredis matin et aussi sur les réseaux sociaux avec des écrits pour d’abord faire comprendre au peuple ce que c’est que la CDC-BF et la nature des fonds qui y sont logés et leur utilité. C’est ainsi que le Président DAMIBA s’est vu obliger d’abandonner son projet de suppression de la CDC-BF.
Quelques mois après il fut à son tour renversé par le Capitaine Ibrahim TRAORE. Après cette prise du pouvoir, l’une des premières décisions du Président Ibrahim TRAORE, a été aussi de supprimer la CDC-BF sans aucune forme de procès.
Pendant ce temps, j’ai multiplié les dénonciations et les explications au peuple à travers les médias et sur la page Œil d’Afrik, au point que le premier ministre de l’époque, de façon informelle, nous a demandé un rapport détaillé sur la situation de la CDC-BF. Un comité de 5 personnes a été mis en place, avec Madame la ministre Rosine SORI COULIBALY, comme présidente, Mr Lamoussa Hermann Lambert SANON ( Ex employé de la CDC-BF) comme rapporteur et les autres membres du comité, il y avait Dr Harouna KABORÉ ( ancien ministre), Larba Israel LOMPO (Président Œil D’afrik), Mr Aziz DIALLO (ancien député), Mr Aly Teyeni MANA du Mémorial Thomas SANKARA (CIMTS).
Le rapport a été déposé au bureau du premier ministre KYELEM. Jusqu’à ce qu’il quitte son poste de Premier ministre, nous n’avons pas reçu d’accusé de réception.
Après nous avons appris à travers les médias la création de la Caisse des Dépôts et d’Investissements (CDI-BF) et ensuite de la Banque des Dépôts du Trésor.
La nouvelle structure, la Caisse de dépôts et d’investissements (CDI-BF) aura-t-elle plus de chance ?
Le succès et la réussite d’une institution dépendent de la qualité morale et technique des hommes qui l’animent. Il y a des caisses de dépôts et de consignations ou d’Investissement selon les pays qui existent depuis des siècles et fonctionnent à merveille. La base du succès de toutes ces institutions c’est le respect des principes de droit et de justice.
Pour rappel, les principales Caisses de Dépôt existantes dans le monde sont estimées à une vingtaine dont notamment les plus anciennes sont : « les Caisses de Dépôts de France (1816), d’Italie (1840), Belgique (1847), d’Espagne (1852), de la Roumanie (1864), du Portugal (1876), du Maroc (1959), du Québec (1964) etc.
Dans les zones UEMOA et CEMAC, l’on compte cinq Caisses de Dépôts :
– La Caisse des Dépôts et Consignations du Sénégal (créée en 2006),
– La Caisse des Dépôts et Consignations du Gabon (créée en 2011),
– La Caisse des Dépôts et Consignations du Niger (créée en 2016),
– La Caisse des Dépôts et Consignations de la Côte d’Ivoire (créée en 2018),
– La Caisse des Dépôts et Consignations du Bénin (créée en 2018).
Les autres caisses de la sous-région, malgré les difficultés de mobilisation des ressources, connaissent un certain dynamisme dans leur opérationnalisation. Il a d’ailleurs été créé entre les CDC de l’UMOA, une structure associative dénommée Cadre Permanent de Concertation des CDC de l’UMOA (CPC-CDC UMOA) pour des partages d’expériences et de bonnes pratiques et pour fédérer les énergies en vue de promouvoir la création des Caisses des dépôts dans les autres pays de la sous-région et l’opérationnalisation réussie des différentes caisses existantes.
Si la gestion des fonds qui seront logés dans la CDI-BF respectera le cadre juridique de leur provenance, c’est-à-dire si l’exécutif ne voit pas en ces fonds une manne qu’il faut utiliser pour payer des salaires, pour distribuer comme financement des programmes politiques ou d’entreprenariat des jeunes, la CDI-BF aura de beaux jours devant elle.
En rapport avec cette question, le chef de l’État a sommé les institutions financières détenant les DAT des sociétés d’État de reverser 25% ; que pensez-vous de cette mesure ?
Dans le rapport détaillé que nous avons produit, nous avons effectivement demandé à ce que 25% des ressources concernées soit transférés à la Caisse des Dépôts. Parce que ces ressources sont déposées dans des comptes bancaires bloqués sur un temps donné d’où le nom dépôts à Terme (DAT).
Il faut souligner que la centralisation ne concerne pas toutes les ressources. Par exemple au niveau des institutions de prévoyance sociale (CNSS, CARFO,) et la Poste BF, il ne s’agit pas de centraliser toutes leurs ressources.
Au niveau de la CNSS, les ressources sont reparties en 3 catégories de réserves. Il y a la réserve de trésorerie, la réserve de sécurité et la réserve technique. Nous avons demandé seulement que les fonds de la réserve technique soient prélevés à seulement 25% pour commencer. Même chose pour la CARFO.
De façon générale, on dénombre aujourd’hui plus de 49 fonds répartis comme suit :
– Les consignations administratives
– Les consignations judiciaires
– Les consignations conventionnelles : les cautionnements auprès des entreprises d’eau, d’électricité, de téléphone et d’habitat.
– Les dépôts
Dans tous les pays, les retraits des DAT ont toujours été sujets de tension entre dirigeants et banquiers. J’en cite pour exemple : le président américain Andrew Jackson, 7ème président des Etats-Unis, en 1828 s’est battu contre les banquiers du privé pour obtenir l’émission de la monnaie. Il ordonna à son ministre des finances de retirer toutes les économies du gouvernement du compte bancaire et de les transférer dans des banques d’État. Il procéda ainsi au financement des collectivités locales dans leurs différents projets de développement socio-économique. « Le 8 janvier 1835, le président Jackson avait terminé de rembourser la dette publique ; c’est la seule fois de l’histoire des États-Unis où la dette est retombée à zéro. De plus, l’État disposait même d’un excédent de 35 millions de dollars. » Il déclara un jour « La banque essaye de me tuer, mais au nom de l’Eternel, je la tuerai ».
Ça ne sera pas facile pour le Président, mais il va y arriver parce ces fonds appartiennent au peuple. Ils finiront par s’accorder sur un calendrier de restitution des 25%.
De façon générale, que pensez-vous de l’état et des perspectives de l’économie burkinabè ?
L’économie burkinabè traverse l’une de ses pires épreuves due à la crise sécuritaire qui dure déjà près d’une décennie et aussi aux multiples coups d’Etat. Le peuple doit faire face aux réalités sécuritaires en essayant d’adapter son mode économique avec la réduction des espaces économiques due aux déplacements des populations à travers le pays.
Ces DAT peuvent être un moyen de relance économique s’ils sont bien orientés. Si nous commettons l’erreur d’utiliser les fonds des DAT pour payer les salaires ou pour financer des jeunes dont le premier réflexe est de se payer une moto asiatique, on créera un tel gap dans l’économie qu’on ne pourra pas combler et les crises s’enchaineront.
Parlant des perspectives de l’économie burkinabè, je dirais qu’avec la prise de contrôle de nos ressources minières, les projets de transformation de nos matières premières, tout cela annonce des lendemains meilleurs pour l’économie burkinabè. Il faut créer un cadre juridique rassurant, une fiscalité proportionnelle aux réalité économiques pour les différents investisseurs pour éviter l’évaporation des capitaux. Les investisseurs sont comme des oiseaux migrateurs, ils fuient les zones contraignantes et atterrissent là où le climat leur est favorable.
Lefaso.net
Liste non exhaustive des différents Fonds.
– Les consignations administratives :
• Les cautionnements des comptables publics ;
• Les cautionnements sur les marchés publics ;
• Les cautionnements pour occupation d’un logement administratif ou du domaine public ;
• Les cautionnements des officiers publics ministériels ;
• Les cautionnements de rapatriement ;
• Les cautionnements des candidats aux élections ;
• Les consignations de la quote-part des émoluments affectés aux juridictions ;
• Les consignations pour main-d’œuvre pénale ;
• Les fonds de la curatelle ;
• Le reliquat des ventes aux enchères publiques des objets en dépôts de douane.
– Les consignations judiciaires :
• Les cautionnements de mise en liberté provisoire ;
• Les fonds provenant des procédures collectives ;
• Les consignations pour offres réelles ;
• Les consignations consécutives à une décision judiciaire exécutoire nonobstant opposition ou appel ;
• Les consignations consécutives aux décisions exécutoires par provision ;
• Les consignations dans le cadre de la saisie-vente ;
• Les consignations en cas de la saisie des droits d’associés et de valeurs mobilières ;
• Les fonds placés sous séquestre ;
• Les fonds issus des produits de vente sur saisie en attente de distribution ;
• Les fonds des greffes ;
• Les fonds rendus indisponibles par l’effet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ;
• Les fonds venant des mineurs non émancipés ou des majeurs incapables ;
• Les fonds provenant d’une succession indivise ;
• Les retenues opérées à la suite des saisies sur les rémunérations ;
– Les consignations conventionnelles : les cautionnements auprès des entreprises d’eau, d’électricité, de téléphone et d’habitat.
– Les dépôts :
• Les fonds de la Caisse nationale d’épargne et des chèques postaux ;
• Les fonds de la Caisse nationale de sécurité sociale ;
• Les fonds de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires ;
• Les fonds des clients détenus par les auxiliaires de justice ;
• Les dépôts effectués par les notaires, les administrateurs et les mandataires judiciaires en exécution de leurs fonctions ;
• Les fonds issus des comptes inactifs des institutions financières autres que les organismes financiers visés par la loi n°012-2016/AN du 03 mai 2016 relative aux traitements des comptes dormants dans les livres des organismes financiers du Burkina Faso ;
• Les fonds en déshérence des institutions financières ;
• Les fonds de contrepartie ;
• Les fonds destinés aux indemnisations pour expropriation pour cause d’utilité publique ;
• Les fonds issus des liquidations des entreprises publiques ;
• Les fonds issus des comptes dormants transférés au Trésor public ;
• Les fonds complémentaires d’équipement des services judiciaires ;
• Les dépôts ordonnés par les lois et règlements ;
• Les fonds stratégiques confiés par l’Etat ou ses démembrements ;
• Les avoirs libres des sociétés d’Etat, des établissements publics de l’Etat, les fonds publics, les fonds privés qui le souhaitent, les fonds de solidarité et les fonds de garantie.
Source: LeFaso.net
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