L’université Laval Québec, l’université Joseph-Ki-Zerbo et le Pôle d’excellence africain-Africa Multiple ont co-organisé un colloque international sur « Paternité (s), parentalité (s) et familles contemporaines » pour réinterroger, à partir d’une approche pluridisciplinaire, des paradigmes de père, de paternité et de famille dans des contextes contemporain, endogène et sécuritaire au Burkina Faso. Parmi les communications livrées au cours de ce colloque (5 au 7 mars 2025 à Ouagadougou), celle intitulée : « De la pouponnière à la famille adoptive : analyse du processus d’adoption des enfants privés de famille au Burkina Faso ». Dans le contexte burkinabè actuel, cette communication sur une thématique dont on parle peu, livrée par Dr Guilga François de Paule Yambressinga, a également suscité une attention soutenue de l’assistance.

Outre l’exploitation des documents et travaux universitaires, la démarche du communicant, Dr Guilga François de Paule Yambressinga, a, entre autres, consisté en des recherches de terrain à travers des entretiens réalisés entre novembre 2024 et janvier 2025 à Ouagadougou, Saaba (région du Centre), Loumbila (région du Plateau central) et Kaya (dans le Centre-Nord) et auprès de directeurs et chefs des services chargés des adoptions et des placements au ministère de l’Action humanitaire et de la Solidarité nationale.

Pour livrer le contenu de son étude, Dr Yambressinga a d’abord levé un coin de voile sur les centres et familles d’accueil des enfants privés de famille, expliqué ensuite la procédure d’adoption des enfants privés de famille avant de faire un zoom sur les contraintes liées aux processus d’adoption.

Ainsi, on peut retenir que l’« adoption » est un acte juridique par lequel une personne prend pour fils ou pour fille, un enfant qu’elle n’a pas conçu et mis au monde. « C’est une mesure de protection de l’enfance qui consiste à confier un enfant de façon permanente et officielle à une personne distincte de son père ou de sa mère biologique ou à un couple », tient-il d’une définition du ministère en charge de l’Action sociale.

L’adoption permet donc aux enfants privés de famille d’avoir des parents, d’être protégés et éduqués dans un cadre familial. « Le Burkina Faso compte de nos jours près de 5 000 enfants privés de famille, recueillis dans des Centres d’accueil des enfants en détresse (CAED) et dans des familles d’accueil, qui sont des asiles temporaires destinés à l’accueil d’urgence des enfants pour préparer leur adoption », révèle Dr Yambressinga, précisant que la durée du séjour d’un enfant dans les CAED est de deux ans.


En dépit de ces dispositions, soulève le communicant, de nombreux enfants passent plus de temps dans ces lieux et y grandissent sans attache familiale ; le processus d’adoption se révèle long, contraignant et beaucoup d’enfants traînent dans les CAED, attendant parfois vainement un apparentement, alors que les candidats aux adoptions affluent.

Les CAED sont constitués des pouponnières, structures privées destinées à accueillir et à prendre en charge en régime d’internat, les enfants de zéro à trois ans, privés de famille. Il y a également les foyers d’enfants en détresse, qui accueillent les mêmes enfants âgés de plus de trois ans. Au Burkina, on compte 84 CAED, dont deux étatiques (l’hôtel maternel de Ouagadougou et l’hôtel maternel d’Orodara).

La famille d’accueil est, elle, comprise comme toute famille disposée à recueillir et à prendre temporairement en charge des enfants privés de famille et reconnue par le ministère en charge de l’Action sociale. Selon Dr Yambressinga, à la période de l’étude, le Burkina enregistrait 372 familles d’accueil d’enfants privés de famille sur l’ensemble du territoire.

Mais que faut-il comprendre par « enfant privé de famille » ?

Est considéré comme « enfant privé de famille », tout enfant privé de protection parentale ou ne bénéficiant pas de protection permanente d’une personne ayant ou non un lien de parenté avec lui, quelles que soient les raisons et les circonstances : enfants abandonnés, enfants trouvés, enfants dont le père et la mère sont déclarés absents, enfants incestueux, enfants nés de mères malades mentales errantes, enfants vivant avec un handicap ou qualifiés d’enfants à besoin spécifique, etc.

Les statistiques sur la situation des enfants privés de famille à la date de l’étude affichent, au niveau des centres d’accueil des enfants en détresse, 1 469 filles, 1 923 garçons (soit un total de 3 392 enfants). Au niveau des familles d’accueil, on enregistre 785 filles, 707 garçons (soit un total de 1 492 enfants). Ce qui donne un cumul de 2 254 filles, 2 630 garçons (soit un total général de 4 884).

De l’avis de Dr Yambressinga, il y a une nécessité de promouvoir l’adoption. L’adoption, rappelle-t-il, obéit à la législation nationale et aux conventions internationales, qui font obligation aux pouvoirs publics « de prendre un soin particulier des enfants sans famille ou de ceux qui n’ont pas de moyens d’existence suffisants ». Les États-parties, poursuit-il, reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social (Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989).

« Il est de la responsabilité de la société que les enfants grandissent dans une atmosphère de d’affection et sécurité matérielle et morale et cela ne peut se faire en dehors de la famille. L’adoption devient une nécessité pour les enfants en détresse. C’est le seul moyen légal permettant de donner à l’enfant une famille, une figure parentale et d’attribuer du même coup des enfants à des couples dépourvus d’enfants et qui en désirent », commente le communicant.


Pour cela, l’adoption répond à des conditions. Ainsi, on peut noter que l’adoption est prioritairement une affaire de couple, mais peut être autorisée aux célibataires de sexe féminin. « Pour les couples, l’adoption doit être demandée conjointement, après cinq ans de mariage, par les deux époux non séparés de corps, dont l’un au moins a un âge compris 30 ans et 50 ans (Code des personnes et de la famille, article 471). Les personnes ayant entre 30 et 42 ans adoptent prioritairement des enfants âgés de moins d’un à 4 ans ; les personnes ayant entre 43 et 50 ans se voient attribuer des enfants âgés de plus de 4 ans ; les personnes ayant plus de 50 ans sont exclues des adoptions. D’autres conditions se rapportent à la résidence, aux revenus et à l’état de santé des candidats aux adoptions », inventorie Dr Guilga François de Paule Yambressinga.

L’adoption obéit également à une démarche à plusieurs étapes. Ainsi, sur le plan administratif, elle exige la constitution des dossiers par le candidat à l’adoption, traités par les services compétents du ministère en charge de l’Action sociale. S’en suit le placement provisoire de l’enfant, précédé de la mise en relation ; l’enfant reste pendant six mois dans sa future famille et un rapport de suivi est produit par les services sociaux.

L’étape judiciaire clôt la procédure. En effet, le rapport de suivi (avec les dossiers de l’enfant ) est transmis au président du tribunal de grande instance du lieu de résidence de l’adoptant qui prononce, en audience publique, l’adoption plénière. Un mois après, lorsqu’il n y a pas d’appel, un certificat de non appel établi est remis aux parents qui doivent se rendre au service de l’état civil pour établir l’acte de naissance de l’enfant.

De la communication, on retient également que l’adoption se heurte cependant à d’énormes contraintes au Burkina Faso. Elles sont surtout liées aux procédures, au pouvoir financier, au faible engouement des Burkinabè vis-à-vis des adoptions, etc.


Dans ce volet, Dr Yambressinga relève d’abord le processus de centralisation des demandes d’adoption, par lequel les dossiers sont reçus au niveau déconcentré, c’est-à-dire au service social couvrant le lieu de résidence du requérant. Les dossiers doivent ensuite gravir plusieurs échelons de la hiérarchie administrative avant d’atterrir au secrétariat général du ministère en charge de l’Action sociale où ils sont centralisés puis traités.

En plus, la constitution du dossier individuel des enfants en vue de l’adoption peut prendre un long temps (plus de douze mois) et implique des enquêtes sociales et des examens médicaux qui sont coûteux. À cela s’ajoute la lenteur due à l’irrégularité des sessions du comité technique d’apparentement.

« Au niveau des CAED, les responsables éprouvent des difficultés à constituer les dossiers individuels de leurs pensionnaires, faute de moyens. Les CAED font face à des difficultés financières qui les contraignent très souvent à se concentrer sur la satisfaction des besoins alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires de leurs pensionnaires. Au niveau déconcentré, l’insuffisance et l’irrégularité des ressources allouées aux services sociaux ne leur permettent de mener convenablement les enquêtes sociales. An niveau des structures centrales, l’irrégularité des sessions des organes de gestion des adoptions est liée au manque de ressources pour la tenue desdites sessions. Le comité technique d’apparentement qui devait se réunir une fois par mois se réunit à peine 2 à 3 fois par an, sur financement des partenaires », décèle Dr Yambressinga.


D’où un faible engouement des Burkinabè vis-à-vis des adoptions ; ils font plutôt recours aux confiages d’enfants ou à l’adoption traditionnelle, dit le communicant, précisant sur ce point que de nombreux couples sans enfants préfèrent prendre des enfants dans leurs familles que de procéder à une adoption plénière.

Il y a, en outre, les restrictions liées au choix des enfants à adopter, dues aux pesanteurs socio-culturelles. « Les candidats Burkinabè aux adoptions trient les enfants ; ils ont des préférences pour les enfants dont les antécédents familiaux ne sont pas connus, pour les enfants âgés de zéro à douze mois, pour les enfants de sexe féminin », fait-il ressortir.

Les spécificités des besoins de certains enfants à adopter, l’insuffisance de valorisation de l’adoption (l’enfant adopté demeure étranger, c’est le lien de sang qui fait la parenté et non la loi), la baisse des adoptions internationales (liées ces dernières années à la crise du COVID-19 et à la situation sécuritaire qui ont poussé certains pays européens à suspendre totalement les adoptions d’enfants burkinabè), la modicité des ressources financières allouées aux services chargés des adoptions demeurent des problèmes majeurs dont il faut trouver des solutions.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net