« Denique » ! comme diraient les Romains (c’est-à-dire « Enfin ! ») à propos de l’adoption par le Conseil des ministres en sa séance du 14 février 2025 de l’avant-projet de loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle. Un acte qui fait de ce texte un projet de loi à soumettre à l’Assemblée législative de transition après la prise en compte des amendements des autres ministres. Enfin ! Car la formalisation républicaine de cette institution ancestrale à travers une règle de droit (loi, ordonnance, décret ou simple acte administratif) a été une préoccupation de plusieurs régimes qui se sont succédé au Burkina Faso. Il en a été ainsi de la IIIe République du président Sangoulé Aboubacar Lamizana, du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du président Saye Zerbo, du Conseil du salut du peuple (CSP) du président Jean-Baptiste Ouédraogo, de la IVe République sous les présidents Blaise Compaoré et Roch M. C. Kaboré, du régime de transition des présidents Yacouba Isaac Zida-Michel Kafando et du régime de transition du Mouvement patriotique pour le salut et la respiration (MPSR) des présidents Paul-Henri S. Damiba et Ibrahim Traoré.

L’aboutissement d’un long processus de sédimentation

L’actuel projet de loi est donc la résultante de la sédimentation des efforts des différentes administrations qui sont passées à la tête du pays même si le mérite revient aujourd’hui au MPSR sous la présidence d’Ibrahim Traoré qui a traduit en fait législatif (bien que ce ne soit qu’un projet pour le moment) les différentes initiatives qui ont été développées jusqu’à nos jours.

Cela étant et malgré la non-disponibilité de l’avant-projet de projet de loi et surtout dudit projet de loi, il n’est pas inopportun de notre point de vue, à partir de ce que le ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Mobilité Emile Zerbo a dit au sortir des travaux du Conseil des ministres, de produire sinon une analyse du moins une opinion en tant que simple citoyen.

A cet effet, il sied de rappeler ce que M. E. Zerbo a dit : « Il [NDLA : le projet de loi] permet de revaloriser la chefferie coutumière et traditionnelle afin de participer à la consolidation de la paix au Burkina Faso. Le texte prévoit aussi les modes de dévolution de la chefferie traditionnelle. » Il a ajouté que « C’est un texte qui permet aux chefs coutumiers et traditionnels de jouer le rôle que nous avons toujours voulu au Burkina Faso, c’est-à-dire des chefs qui rassemblent les populations et consolident la paix. » En outre, quand bien même ils ne bénéficieront d’aucune rémunération, ils jouiront du « privilège de juridiction ». Cela, aux dires du ministre en charge des coutumes et des cultes, permettra de « valoriser » les fonctions des chefs traditionnels et/ou coutumiers et à ceux-ci « d’être reconnus ».

Des droits et des obligations même si les formulations sont différentes

En attendant que le gouvernement ou l’ALT revienne sur la question et en donne un contenu précis dans le cadre de la chefferie coutumière et traditionnelle, le privilège de juridiction, selon nos modestes connaissances y relatives, désigne un droit spécial reconnu par la loi. Il est distinct de l’immunité de juridiction qui se comprend comme l’exonération d’une responsabilité ou d’un devoir. De plus, des dispositions permettent de prévenir et d’empêcher les auto-intronisations.

D’une certaine manière, les points ci-dessus peuvent être considérées comme des droits. Mais tout droit étant la contrepartie d’un devoir, il y a aussi des devoirs au nombre desquels on peut citer le fait de s’abstenir de s’engager dans la politique partisane, de ne pas prétendre à une quelconque rémunération, de rassembler les populations et de consolider la paix.

Tout en appréciant positivement le principe de l’adoption de l’avant-projet de loi (heureux aboutissement d’un parcours du combattant) qui constitue une avancée notable d’une part et d’autre part un certain nombre de dispositions qui formalisent l’existence de la chefferie coutumière et traditionnelle dans le droit positif burkinabè, on peut, sans parler au nom de la haute hiérarchie coutumière et traditionnelle, se demander s’il n’était pas possible de réaliser un meilleur équilibre entre ce que nous avons appelé droits et ce que nous avons considéré comme des obligations. Certes, les défis auxquels fait face le pays sont titanesques ; certes, la rémunération des chefs traditionnels et coutumiers peut se révéler ardu à supporter par le budget de l’Etat ; certes, la grille de ces rémunérations peut être difficile à élaborer ; certes enfin, une certaine opinion peut être vent debout contre cette rémunération.

Rassembler les populations et consolider la paix ont malheureusement un coût

Mais, mais, mais et mais, le fait de ne pas accorder une rémunération ou quelque indemnité au moins à une certaine catégorie de chefs traditionnels et coutumiers (notamment les dima*, les émirs, les chefs de canton indépendants, les dimbila**) peut être perçu comme une insuffisance du projet de texte. En fait, nombre de chefs traditionnels briguent les postes électifs et/ou participent aux activités politiques afin d’obtenir matériellement et/ou financièrement ce qu’ils n’auraient pas pu avoir s’ils avaient fait irruption dans la politique partisane. Or, il n’est pas certain que ce qu’ils gagneront dans le privilège de juridiction comble leurs besoins et celui de leur entourage sur le plan matériel et/ou financier. Idem pour l’interdiction des auto-intronisations. Pour salutaire que soit la disposition, sa mise en œuvre qui associera les chefs coutumiers et traditionnels supérieurs ne peut se faire sans un minimum de moyens existentiels nécessaires au bon fonctionnement de l’institution et de ses animateurs.

En effet, rassembler les populations, consolider la paix impliquer et mener des actions préventives impliquent, en plus des éventuels frais de mission officiels, des incidences financières que les « salutations » servies aux chefs coutumiers et traditionnels supérieurs par leurs visiteurs ne suffiront pas à honorer. Bien des fois, il revient aux chefs coutumiers ou traditionnels de rang inférieur de combler le gap. A ce propos, d’aucuns pourraient estimer que les chefs coutumiers et traditionnels pourront continuer à « jongler » comme ils l’ont fait jusqu’à présent. Seulement ce serait oublier que la chefferie coutumière et traditionnelle est devenue une actrice de plein droit du paysage institutionnel en étant passée de l’« informalité » réelle à la formalité républicaine. L’impérativité de cet aspect se justifie également par le fait que le nombre de partenaires avec lesquels les chefs coutumiers et traditionnels pouvaient être en relation et l’importance de l’accompagnement dont ils pouvaient de leur part se sont considérablement amenuisés.

Le fait de ne pas participer au jeu politique républicain sans pouvoir bénéficier d’une sorte de compensation matérielle ou financière pourrait alors être un obstacle à l’accomplissement du « rôle que nous avons toujours voulu au Burkina Faso, c’est-à-dire des chefs qui rassemblent les populations et consolident la paix. »

Quelques précisions nécessaires à une plus grande compréhension de l’institution coutumière

En plus du rapport droits/obligations qui mérite qu’on y prête attention, il n’est pas sans intérêt d’apporter notre contribution dans la compréhension de la chefferie coutumière et traditionnelle en tant qu’institution et des chefs coutumiers et traditionnels en tant qu’incarnation de cette institution. Dans les faits, le projet de loi (et bientôt la loi) ne permet pas « aux chefs coutumiers et traditionnels de jouer le rôle que nous avons toujours voulu au Burkina Faso… » Il traduit plutôt la reconnaissance de l’importance et la revalorisation de cette institution par les autres des institutions de la République et donne ainsi un cadre légal (ne sommes-nous pas dans un Etat de droit ?) pour apporter de la plus-value à la consolidation de la cohésion sociale ; le rôle de cette institution étant déjà défini par les coutumes et les traditions. Il en est de même de la revalorisation dont parle le ministre d’Etat. Elle est déjà une réalité. Bien que certaines des personnes qui représentent l’institution à un moment donné de l’histoire des sociétés ternissent son image à cause de comportements en totale contradiction avec les préceptes coutumiers, il n’en demeure pas moins que la plupart des Burkinabè reconnaissent et défendent sa légitimité.

En tout état de cause, un pas important a été franchi et il faut en convenir. Il faut ajouter qu’un texte de loi n’est pas un dogme, donc immuable et éternel. Ce faisant, les chefs coutumiers et traditionnels devraient s’en féliciter, travailler à le mettre une fois adopté et proposer à l’épreuve les révisions qu’ils estimeraient pertinentes.

Dima* : équivalent approximatif en mooré du mot roi

Dimbila* * : équivalent approximatif en mooré du mot roitelet ou vice-roi

Dawelg Naaba Issaka SOURWEMA

Source: LeFaso.net