Journaliste à la retraite, Sita Tarbagdo fait partie des proches et des personnalités de référence qui ont côtoyé Me Pacéré de très près. C’est donc naturellement que nous nous sommes tournés vers lui pour recueillir son témoignage sur ce fervent défenseur des droits humains et de la culture, qui nous a quittés le vendredi 8 novembre 2024.
Lefaso.net : Vous avez, dit-on, côtoyé Maître Titinga Frédéric Pacéré, des années durant. Quel témoignage pouvez-vous faire de cet homme qui vient de nous quitter ?
Sita Tarbagdo : Témoigner sur Maître Titinga Frédéric Pacéré qui nous a quittés vendredi 8 novembre 2024 (date de sa prestation de serment en 1973 comme avocat stagiaire) n’est pas un exercice aisé. Tellement il y a beaucoup de choses à dire sur l’homme. Mais pour résumer en quelques mots ce qui reste dans ma mémoire de journaliste qui l’a côtoyé des années durant, je dirais que Maître Pacéré, c’est « Le Niniga » (c’est-à-dire le rebelle, dans le sens noble du terme), le mystique, l’insaisissable, le mythique, l’invisible, l’introuvable, l’imprévisible, voire l’énigmatique. D’aucuns disent même de lui, que c’est un sorcier mais un sorcier docile.
Avant de revenir sur le sens de ces différents qualificatifs que vous attribuez à Maître Pacéré, dites-nous comment s’est faite votre rencontre avec lui ?
Dans le rétroviseur de l’histoire, mes rapports avec Maître Pacéré, je dirais Papa Pacéré, datent d’une quarantaine d’années. C’était en 1983. Je venais d’intégrer la Direction générale de la presse écrite, aujourd’hui les Éditions Sidwaya, comme journaliste. C’est dire donc que c’est dans le cadre de la pratique de ma profession de journaliste que j’ai connu Me Titinga Frédéric Pacéré. En effet, il vous souviendra que dans l’exercice de cette profession à la presse écrite, j’ai toujours eu de l’attrait, voire de la passion pour la culture, pour la chose culturelle. Et la plupart de mes articles étaient consacrés aux faits culturels et cultuels.
De façon plus saisissante, il y a une quarantaine d’années, je préparais un dossier (en langage simple, un article de fond) sur « le masque en Afrique, en ses dimensions sculpture, signification, langage, spiritualité et avenir dans un contexte de modernité des habitudes de ses dépositaires ». Pour les besoins donc du travail journalistique sur le masque, j’ai sonné à des portes de personnes de ressources dont certaines m’ont orienté vers Maître Pacéré. Personnellement, je ne le connaissais pas, sinon qu’à travers mes lectures des productions médiatiques et de certains de ses ouvrages. À sa rencontre, j’ai découvert tout de suite un homme, un intellectuel imbu de connaissances et surtout passionné de culture, du fait culturel, des faits cultuels et des rituels culturels.
Sur l’objet de mon reportage, c’est-à-dire le masque, il parlait avec aisance, avec intérêt et surtout avec maîtrise du sujet. Maître Pacéré, à vrai dire, était dans son élément, à tel point que j’en étais séduit.
Après l’interview, et sur place, au fond de moi-même, j’ai pris l’engagement devant ma conscience, de me rapprocher très souvent de cet homme pour m’abreuver à la source du savoir, à la source de la connaissance des éléments référentiels de la culture.
Et au fur et à mesure de nos rencontres, soit pour les besoins d’un article à caractère culturel, soit par simple courtoisie fraternelle, j’ai réalisé que Me Pacéré est un trésor culturel. Alors, depuis, je puisais auprès de lui la connaissance féconde pour fertiliser mes réflexions, pour enrichir mes axes de recherche, pour alimenter le champ de mon savoir.
Vous avez, dans un de vos écrits, soutenu que pour appréhender Me Pacéré, il faut avoir un troisième œil en plus des deux yeux que nous avons. Décrivez-nous ce que vous appelez « le troisième œil ».
En parlant de Me Pacéré, je ne prétends pas du tout le connaître dans sa plénitude. Non ! Car pour le connaître, il ne suffit pas seulement d’avoir deux yeux, comme vous et moi. Pour connaître Me Pacéré, il faut avoir trois yeux ; les deux, comme vous et moi, pour appréhender la personnalité dans ses aptitudes, dans ses habitudes et dans ses attitudes d’homme. Et le troisième œil pour appréhender le personnage dans sa dimension spirituelle, dans son univers mystique et mythique. Ce troisième œil relève d’un réflexe initiatique qui vous fait voir et lire au troisième degré ce qui, en l’homme, est caché ; parce que relevant de son intimité spirituelle. Chacun de nous a ce côté spirituel qui est sa chasse gardée. Ce troisième œil ne saurait être manifeste si votre interlocuteur n’injecte pas une puissante dose de confiance en vous. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce troisième œil n’est pas matériel comme le sont nos deux yeux. Il est immatériel et incrusté dans votre capacité à interroger l’ineffable, l’immanence. Pour ce faire, il faut être en connexion avec le moi de l’autre.
Durant tout le temps que je l’ai côtoyé de son vivant, j’avoue qu’à réellement parler, Me Pacéré, c’est quelqu’un qu’on ne peut pas connaître dans son intégralité, de prime abord. On ne peut pas connaître cette personne, pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas tous dotés de ce troisième œil que j’ai essayé de poser sur lui et qui a fait l’objet d’un ouvrage-mémoire sur cet homme atypique, singulier et multidimensionnel. Un draft de cet ouvrage de 700 pages environ, en attente d’édition, lui a été remis deux semaines avant son décès brutal.
Quelles remarques ou réactions Me Pacéré a-t-il eues en découvrant le draft de votre ouvrage consacré à sa vie ?
Il a bien apprécié le travail en ces termes : « Merci mon fils Sita Tarbagdo de cette initiative de consigner la vie de Me Pacéré pour que la postérité puisse savoir à qui on a eu affaire. En toute honnêteté, je n’ai pas voulu écrire moi-même mes mémoires, malgré les demandes incessantes de chercheurs, d’enseignants, d’étudiants, de beaucoup de hauts fonctionnaires, etc. m’invitant à le faire pour la postérité. Ton document est digne de confiance pour servir de mes mémoires. Il serait souhaitable que cet ouvrage puisse paraître le plus vite possible car la vie est ainsi faite qu’on ne sait jamais. Prends contact avec le ministre de la Culture personnellement, et le directeur du BBDA, de ma part… afin que l’ouvrage paraisse… Passe à la maison le jeudi (7 novembre) ou le samedi (9 novembre 2024), on va voir ». En quittant Me Pacéré ce jour 28 octobre 2024, je n’imaginais pas un seul instant que c’était-là la dernière rencontre avec lui. Le jeudi 7 novembre 2024, je n’ai pas pu honorer le rendez-vous, préférant attendre le samedi 9 novembre 2024. Et comme un coup de foudre, la nouvelle de son décès est tombée dans la matinée du vendredi 8 novembre 2024.
Quelles qualités humaines et professionnelles avez-vous découvertes chez Maître Pacéré en le côtoyant durant plusieurs années ?
J’ai tellement côtoyé Me Pacéré que nos rapports ont vite quitté le cadre professionnel, pour devenir des rapports de papa à fiston, de père à fils. Un père qui symbolise la sagesse, et un fils qui symbolise la curiosité. Un père qui symbolise l’expérience de la vie, et un fils qui symbolise l’apprentissage juvénile. Un père qui a l’œil mature sur son fils, et un fils qui est à l’écoute de son père, dans l’espoir et l’espérance d’hériter amplement de sa droiture, de son élégance comportementale, de ses principes de vie ; en un mot, de son axe cardinal de vie.
L’héritage ainsi reçu du père est/et sera lourd à porter pour le fils, certes, mais il est/et sera digne d’intérêt. En ce sens, la charge en vaut la peine ! Que puis-je souhaiter à Me Pacéré que j’appelais affectueusement « le papa » qu’il n’a pas eu dans la vie ? Sinon que le paradis dans l’au-delà, car sur terre il a été un acteur de l’utile. Mieux, et pour emprunter ses propres termes, il a toujours ajouté « de la terre à la terre » pour construire une termitière de connaissances, de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être.
Bref, Me Pacéré a eu sa vie, il a construit sa vie, il s’est contenté de sa vie, il a tenu à vivre sa vie et surtout, il n’a pas voulu exposer sa vie à tout venant. Dans mon ouvrage qui lui est entièrement consacré, Me Pacéré, en fait, n’a dit de sa vie que ce qu’il a voulu qu’on connaisse. Il a préservé beaucoup de secrets aussi bien de son pays que ceux d’autres pays et bien sûr de pas mal d’éminentes personnalités d’organisations internationales.
Au terme de cet entretien, qu’est-ce qui vous reste à cœur à partager à nos lecteurs et lectrices, en souvenir de votre papa Me Pacéré ?
En guise de conclusion, disons que Me Pacéré a eu à côtoyer beaucoup de personnalités d’honneur, de simples citoyens de toutes conditions et de nombreux mendiants dans sa vie. Tous lui ont, à des degrés différents, porté de la considération, de l’admiration et du respect. À telle enseigne qu’il m’a confié que s’il venait à quitter un jour cette terre ici-bas, il partirait la conscience tranquille d’avoir accompli sa part de mission, avec ses forces et ses faiblesses. Mais ayant pu tout faire de ce qu’il voulait, il demande avec fermeté à ce que personne ne pleure le jour de sa mort : « que personne ne pleure si un jour Me Pacéré venait à quitter cette terre. Je préfère même qu’on applaudisse, je préfère même qu’on tire des salves de canons dans la tradition du milieu. Mais je ne veux pas de larmes. »
Alors papa, va en paix rejoindre tes ancêtres pour qui tu avais et tu vouais un grand respect ! Et que la terre de ton Burkina natal te soit légère. Puisse Dieu t’accueillir dans son royaume de grâces infinies.
Interview réalisée par Hamed Nanéma
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
Commentaires récents