Aujourd’hui, on ne peut pas parler du Faso Danfani au Burkina, sans parler de lui. Il s’est fait un nom et une identité dans le domaine. Avec sa production biologique, sa marque François 1er s’exporte partout dans le monde. Même si l’homme n’est pas directement impacté par la contrefaçon du Faso Danfani sur les marchés burkinabè, il a le cœur meurtri. Car, tout ce qui touche au Faso Danfani le touche aussi. Dans cette interview qu’il nous a accordée, François Yaméogo dit François 1er analyse sans langue de bois. Lisez-plutôt !

Lefaso.net : Vous êtes une personne bien introduite dans le domaine du Faso Danfani et comme actualité, il y a cette question de la contrefaçon qui pollue le marché et qui impacte négativement les activités des tisserands. Quel commentaire pouvez-vous faire de la situation ?

François Yaméogo : Je pense que la contrefaçon sur le marché aujourd’hui est très grave parce que nous sommes en train de plomber toute l’économie. On est en train de tuer le label Faso Danfani, on est en train d’effacer l’image de Thomas Sankara, parce que c’était le précurseur qui a voulu valoriser ce secteur et l’introduire dans notre économie. Mais aujourd’hui, c’est dommage qu’on en arrive là. Mais, c’est comme je vous le disais en off, quand on a un cancer, c’est vrai qu’il faut soigner le cancer, mais il faut chercher la cause, tout simplement parce qu’on est dans ce domaine depuis des années et même sur votre plateau, j’ai toujours dit que tant qu’on n’organise pas ce secteur, tant qu’on a pas de vraies entreprises et structures dans ce secteur, tant qu’on favorise l’informel, cela ne marchera pas.

Et même des bailleurs de fonds comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale se sont beaucoup focalisés sur le secteur informel et dans l’informel, il y a des prix informels. On nous encourage dans l’informel. Voilà la cause qui fait qu’aujourd’hui, on ne sait pas quoi faire pour arrêter cela. Et même si vous demandez à n’importe quel économiste, il sera difficile qu’il propose une solution. Parce que chacun est dans sa petite maison, dans son coin, chacun est caché dans son trou. Et les distributeurs vous les connaissez, les commerçants, les businessmen et cela leur procure de l’argent.

Quant, il s’agit du patriotisme, il ne faut pas en parler avec eux. Leur seul but, c’est de se faire de l’argent. Donc quand ils font leur distribution, on ne sait pas où les dénicher. Mais si on avait fait des entreprises un peu selon ce que Thomas Sankara avait proposé lors de son discours à Addis-Abeba (Ethiopie), cela marcherait. Il avait mis en place ce qu’on appelait les coopératives structurantes, où chaque région avait des coopératives qui produisaient et on leur donnait des fils, de la matière première. Et les gens produisaient et livraient. Et la distribution se faisait au fur et à mesure. Il était parti dans l’esprit de l’industrialisation de vraies entreprises. Mais aujourd’hui, on a favorisé les associations, on a développé l’informel, on a fait qu’aujourd’hui, il est difficile de trouver de vraies entreprises dans le domaine. C’est de là que vient tout le problème.

Quand vous parlez de vraies entreprises, qu’est-ce que c’est ?

C’est une société structurante. C’est-à-dire quelqu’un qui crée de l’emploi, qui peut dire combien est son chiffre d’affaire, combien d’employés il a, quelle est sa production mensuelle, en fil, coton, et autres. C’est de ça qu’il s’agit. Et si on avait ces genres de structures, c’était facile de faire la traçabilité. Il suffisait d’aller voir les entreprises pour savoir qui était leur fournisseur de fils et puis connaître leurs clients. Quand c’est bien structuré, c’est facile de contrôler, mais aujourd’hui vous allez contrôler comment ? C’est très compliqué parce qu’on a beaucoup favorisé l’informel et on ne sait pas qui fait quoi.

A vous entendre parler, c’est comme si la situation que nous traversons aujourd’hui était prévisible ?

Bien sûr que c’était prévisible. J’ai dit qu’on ne peut pas se développer en restant dans l’informel. Aujourd’hui, il y a des gens qui n’ont que le récépissé, et qui se font des milliards de francs dans le domaine. Ils sont assis, ils attendent un appel de projets, ils y vont avec leurs récépissés et se font de l’argent. Certains, avec le simple récépissé, se font des milliards de chiffre d’affaires, n’ont aucune structure qui emploie des personnes. Comment voulez-vous développer un pays dans ce sens ? Je pleure nos dirigeants d’aujourd’hui. Il y a la guerre contre le terrorisme sur le terrain qui nous fait déjà souffrir, mais il y a aussi ce genre de situations qu’il faut aussi gérer.

Mais est-ce que vous êtes particulièrement impactés comme les autres acteurs qui se plaignent de la mévente du fait que leurs produits sont plus chers que les contrefaits ?

Je ne suis pas d’accord quand ils disent que c’est cher. Parce que quand vous regardez notre domaine, l’Etat a mis des milliards. Le ministère de la Jeunesse a formé des femmes et des jeunes dans la teinture et le tissage qui a coûté des milliards. Le Fonds d’appui à la formation professionnelle et à l’apprentissage (FAFPA) a mis des milliards, la Coopération suisse a mis des milliards, l’Union européenne a mis des milliards, le ministère du Commerce a mis des milliards et toutes ces institutions ont mis des milliards pour que vous soyez formés dans la pigmentation des couleurs, la recherche des couleurs, dans la qualité pour qu’aujourd’hui vous maîtrisez le secteur.

Et c’est la diversité et la créativité qui font qu’on a des produits de qualité. Vous laissez tout cela pour aller prendre des fils avec des couleurs basiques et vous vous retrouvez avec les mêmes produits, et il n’y a plus de créativité et ce sont ces produits qui ont inondé le marché. C’est de là que vient le problème. Sinon, si eux tous rentrent dans la créativité, vous faites des différences dans la créativité, comme on vous l’a appris, il n’y aura aucune raison pour que ça ne marche pas.

Sinon on vous a formé pour quoi ? Les milliards ont servi à quoi ? Vous refusez cela, vous entrez dans le marché et vous ramassez les couleurs basiques, ça ne va pas marcher. Faites une enquête vous-mêmes, vous allez voir qu’ils ont tous les mêmes produits, les rayures, les jaunes, les rouges, et vous voulez que ça marche. Ce n’est pas seulement dans le textile, dans n’importe métier, s’il n’y a pas de créativité, ni de recherche, à un moment donné, ça va mourir. Sinon, honnêtement, je ne suis pas impacté, parce que ce qu’ils font ne fait que m’avantager et je n’ai aucun concurrent. Parce que moi j’ai un produit traçable, bio, 100% coton. Tous mes produits sont reconnus 100% burkinabè et j’ai un label qui se vend partout. Donc je ne suis pas impacté. Mais ce qui se passe me fait mal au cœur que le Faso Danfani soit traité de la sorte. C’est l’identité du Faso.

Ce que moi je fais, eux-aussi peuvent le faire parce que j’ai été formé comme eux. Et il y a des problèmes partout. Même dans cette histoire de la labélisation de Koko Donda où j’ai interpellé en vain. J’ai pris toutes sortes de coups. On pensait que j’étais contre le Koko Donda. J’ai simplement dit à l’époque que quand on veut labéliser un produit, il fallait labéliser la ville, le quartier de Koko où il y a des femmes qui travaillent, ces artistes, ces artisans, c’est leur savoir-faire. Si cela est fait, tous les produits qui ne viennent pas de là-bas ne doivent pas porter le nom de Koko Donda et on ne m’a pas écouté. Aujourd’hui, on l’a vulgarisé et quand vous regardez dans tous les coins de rue, on a les produits Koko Donda, alors que ce n’est pas fait à Koko.

On a rabaissé le produit, ses qualités et ses valeurs culturelles et tout le monde le produit et on se regarde, et on veut que ça marche, ça ne peut pas marcher. Mais au lieu de cela, si on avait dit que pour que l’on puisse utiliser le label Koko Donda, il faut que le produit sorte de Koko, ça allait permettre d’avoir des produits de qualité qui répondent à une identité culturelle. On allait pouvoir conserver, protéger le savoir-faire de ce peuple. C’est comme cela partout quand il s’agit des questions de labélisation. Excusez-moi, je parle du passé et il faut qu’on se comprenne bien. On ne va pas parler du présent, parce que ceux qui sont là ne sont pas comptables de ce qui s’est passé. Parce que dans le passé tout était politique et aujourd’hui, on paie les conséquences.

Mais, il faut que nous nous en sortions parce que la situation est en train de plomber l’économie du textile. Si on continue de vendre ce fil pendant deux ou trois ans, toutes les usines de filature vont fermer. Et les étrangers ne sont pas bêtes, quand ils savent qu’ils ont le marché, ils vont se mettre dans la créativité pour vous tenir à leur merci. Et après, vous restez toujours dominés. Si votre économie est entre les mains des autres, vous êtes toujours colonisés. Mais nous pouvons nous en sortir, si nous acceptons d’aller vers des sociétés organisées et structurantes, des sociétés créatrices d’emplois, des sociétés où on peut savoir quel est le nombre d’emplois mensuels. Aujourd’hui n’importe qui se lève avec un récépissé et il dit qu’il a une société, mais dans la réalité, quand vous allez, il n’a pas même pas embauché une personne, mais c’est lui qui fait la pluie et le beau temps.

Est-ce que vous êtes en train de remettre la labélisation en cause ?

Pas du tout ! Il faut qu’on se comprenne, je ne remets aucune labélisation en cause, que ce soit le Koko Donda ou le Faso Danfani, c’est le cahier de charges que j’ai remis en cause. Parce qu’il dit que pour que le pagne puisse être appelé Faso Danfani, il y a des calibrages qu’il faut respecter et il faut que cela soit tissé d’une manière bien définie. Toutes les femmes qui tissent ne respectent pas ce qui est prévu, mais c’est appelé « Faso Danfani ».

Par contre j’ai accepté qu’on dise que pour produire du Faso Danfani si ton fil, ton coton et le travail n’ont pas été faits au Burkina, ton tissu, on ne l’appelle pas Faso Danfani. Voilà le problème qu’on a aujourd’hui. On a labélisé, c’est bien beau, mais les femmes peuvent prendre le fil venu d’ailleurs et tisser comme elles veulent et aller prendre le label Faso Danfani pour mettre là-dessus. Et actuellement c’est ce qui se passe, mais si on avait mis des garde-fous en son temps cette situation ne se serait pas produite. Si vous voulez, vous pouvez l’appeler pagne tissé, mais non Faso Danfani. Sinon je n’ai rien contre la labélisation. Parce qu’au contraire, elle permet d’exporter et de ventiler une culture, et dans tous les pays du monde, on labélise des produits, c’est la manière dont c’est fait que je critique.

Votre mot de fin ?

Mon rêve, c’est que le secteur puisse être bien organisé. Les autorités actuelles ont pris les choses à cœur. Je pense que même les grandes institutions comme le FMI, la Banque mondiale ont compris aujourd’hui et se sont rendus compte qu’il y a un problème. Comment structurer le secteur ? Comment créer plus d’emplois ? Comment transformer notre coton à grande échelle pour qu’on puisse l’exporter dans la sous-région ? Nous avons un marché énorme et toute la chance que nous avons, c’est qu’on a un savoir-faire et tout le monde aime ce que nous faisons.

Dans toute l’Afrique de l’Ouest, nous sommes le seul pays qui maîtrise le tissage comme il le faut. Mon rêve, c’est qu’on prenne le dessus dans ce domaine, qu’on puisse occuper tout le terrain, exporter dans toute l’Afrique et dans le monde et que cela puisse créer beaucoup d’emplois. J’insiste sur la création d’emplois parce qu’on peut exporter, mais s’il n’y a pas de création d’emplois, on revient à la case départ. Le plus important, c’est la création d’emplois.

Interview réalisée par Yvette Zongo et Néimata Rouamba (stagiaire)

Vidéo et photo : Auguste Paré

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Source: LeFaso.net