Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) a lancé, le 12 août 2024, à Cotonou, au Bénin, un atelier régional de formation dédié au journalisme d’investigation sur les crimes économiques et financiers. Cette rencontre d’une durée de 72h, visait à renforcer la capacité des médias dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) dans la sous-région.

L’atelier régional du GIABA initié dans la capitale économique du Bénin, a eu pour objectif principal de forger une alliance solide entre les médias et les institutions impliquées dans la Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Cela, afin de garantir une diffusion efficace des enjeux liés aux crimes économiques et financiers. En intégrant les journalistes d’investigation dans cette dynamique, le GIABA entend leur fournir les compétences nécessaires pour débusquer les actes de corruption et contribuer ainsi à la promotion de la bonne gouvernance.

Durant trois jours de formation, les participants, venus des différents États membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ont été outillés sur les techniques de recherche d’information et d’investigation spécifiques aux pratiques de blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.

« Les enseignements reçus vont me permettre de pouvoir mener avec professionnalisme mes investigations sur les crimes économiques », Fatoumata Bouyguilé, participante du Mali

Une participante édifiée

La journaliste malienne, Fatoumata Boyguilé s’est dite profondément édifiée par les enseignements reçus lors de l’atelier régional de formation sur le journalisme d’investigation liée aux crimes économiques et financiers. Elle a déclaré avoir été notamment éclairée sur les méthodes complexes utilisées par les criminels pour blanchir des capitaux, une réalité souvent méconnue du grand public. Cette prise de conscience lui a permis de mieux comprendre les rouages de ce fléau et d’identifier les signaux d’alerte dans son travail d’investigation.

En plus de cette compréhension approfondie sur les pratiques de blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Fatoumata Boyguilé a également été formée sur les techniques d’investigation spécifiques à ce domaine. Elle a découvert des outils et des stratégies qui vont lui servir à mener des enquêtes plus efficaces et rigoureuses. Par ailleurs, elle a pu appréhender le rôle et les missions du GIABA, l’institution clé en Afrique de l’Ouest dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette formation vient ainsi renforcer la détermination de Fatoumata à contribuer activement à la lutte contre ces crimes.

« J’ai retenu qu’il faut exiger l’identité de la personne à qui l’on vend un objet surtout dans ce contexte de crise sécuritaire que nous connaissons », Alhassane Bah, participante de la Guinée

La vigilance et la prudence renforcées d’Alhassane Bah

Le journaliste guinéen Alhassane Bah, a quant à lui, souligné l’importance cruciale de la formation sur le journalisme d’investigation liée aux crimes économiques et financiers. Pour lui, si l’investigation journalistique est déjà une tâche complexe, celle axée sur le blanchiment d’argent l’est encore davantage. « Car toi-même qui mène l’enquête, tu peux tomber dans le piège face à l’argent », a-t-il affirmé, mettant en lumière les risques et les tentations auxquels les journalistes peuvent être exposés. Cette formation lui a permis de mieux concevoir les défis spécifiques liés à ce type d’investigation, renforçant ainsi sa vigilance et son intégrité professionnelle.

Alhassane Bah a également pris conscience du fait que tout le monde peut, sans le savoir, contribuer au terrorisme s’il n’y prend garde. « On nous a donné l’exemple d’un commerçant qui a vendu un véhicule à un client sans prendre la précaution d’identifier l’intéressé. Ce véhicule, acheté pour des fins de terrorisme, a ensuite été utilisé dans une attaque kamikaze contre une institution des nations unies », a-t-il expliqué.

Ce témoignage partagé par l’un des formateurs, a profondément marqué le journaliste guinéen, lui faisant réaliser l’importance des précautions à prendre dans le cadre de ses enquêtes pour éviter de contribuer involontairement à de tels actes.

« Nous ne doutons point que cette formation favorisera une meilleure diffusion de l’information sur le dispositif du LBC/FT », Armand Donald Regan Houngué

C’est Armand Donald Regan Houngué, premier substitut du procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), représentant le ministre de la justice du Bénin, qui a ouvert les travaux de l’atelier. « Chers participants, nous espérons que vous donnerez vie à cette espérance du GIABA. Cela, afin que nous ayons aussi, nos John Lee Anderson, Ali Anzoula, Carmen Aristegui, figures et modèles emblématiques du journalisme d’investigation, pour cesser de voir sur la toile, des écrits qui meublent avec amertume le vide du journalisme professionnel d’investigation », a-t-il souhaité lors de son discours.

L’atelier a offert également un espace d’échanges et de partage d’expériences entre les journalistes, renforçant ainsi un réseau médiatique dédié à la LBC/FT. La formation a été assurée par des experts dans le domaine ainsi que par le personnel du GIABA, à travers diverses méthodes pédagogiques incluant des présentations, des études de cas, et des échanges interactifs.

« Nous sommes conscients aujourd’hui, que la porosité des frontières reste un défi pour pouvoir lutter de manière efficace contre le BC/FT », Régina Bandé/Tiensbandé, gestionnaire de projets, coach de vie et d’entreprises

Le GIABA, une institution vieille de 24 ans

Régina Bandé/Tiensbandé, communicante des entreprises et organisations, gestionnaire de projets, coach de vie et d’entreprises, a été la première des formateurs à intervenir. Sa communication a porté sur le rôle, le mandat, et la mission du GIABA, en tant qu’initiative régionale. « Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont de grands fléaux qui minent toutes nos sociétés. Cela ne concerne pas seulement nos quinze États membres. Les conséquences sont perceptibles à l’échelle internationale, à travers des pertes en économie, l’impact des déstabilisations et d’insécurité, etc. », a-t-elle introduit.

Selon madame Bandé, le GIABA est une institution vieille de 24 ans. Son dynamisme et sa capacité d’adaptation à l’environnement et aux mutations, ont conduit à des révisions de statuts, ayant permis d’intégrer la lutte contre le financement du terrorisme dans ses prérogatives. La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive fait aussi partie de son champ d’intervention.

« Le journaliste d’investigation peut faire appel à des méthodes spécifiques pour collecter ses informations lorsque cela s’inscrit dans le cadre de l’utilité publique », Dr Daniel Nkrumah, consultant en communication

Le Traité de Pelindaba

Si l’on se souvient que l’Afrique est une zone dénucléarisée en vertu du Traité de Pelindaba, signé en 1996, interdisant le développement, la fabrication, l’acquisition et la possession d’armes nucléaires par les États africains, Régina Bandé souligne que certains pays produisent tout de même des matières premières qui contribuent à la création de ces armes. Ce qui nécessite aussi d’accorder une attention particulière à ce niveau. Il faut noter qu’en plus des quinze États membres de la CEDEAO, le GIABA compte parmi ses pays adhérents, Sao Tomé-et-Principe et l’Union des Comores.

Le responsable principal par intérim, communication et plaidoyer du GIABA, Timothy Melaye, a lui, notamment abordé l’introduction aux normes internationales de la LBC/FT. Au cours de son intervention, il a défini avec précision les concepts clés tels que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, tout en expliquant les différentes formes que peut prendre le blanchiment. Pour monsieur Melaye, il est impératif que chaque individu prenne conscience de sa responsabilité de signaler toute activité suspecte dans son environnement, contribuant ainsi à la lutte contre ces fléaux.

« Les États doivent prendre les mesures appropriées pour évaluer les risques liés au BC/FT dans tous les secteurs d’activités afin de les atténuer », Timothy Melaye, responsable principal par intérim, communication et plaidoyer du GIABA

Les délits liés au blanchiment de capitaux et financement du terrorisme

Il a également mis en lumière la diversité des délits pouvant être liés au blanchiment d’argent, énumérant pas moins de 21 infractions reconnues à l’échelle internationale. Parmi ces délits, figurent la participation à un groupe criminel organisé, le terrorisme et son financement, le trafic d’êtres humains, ainsi que l’exploitation sexuelle, y compris celle des enfants et la prostitution. Ces activités criminelles, souvent sous-estimées, sont en réalité profondément ancrées dans le processus de blanchiment de capitaux, rendant leur identification et leur signalement d’autant plus cruciaux.

En plus de ces délits, Timothy Melaye a évoqué d’autres crimes souvent associés au blanchiment d’argent, tels que le trafic illicite de stupéfiants, le trafic d’armes, la corruption, la fraude sous diverses formes, y compris la cybercriminalité et les arnaques comme le 419, ainsi que la contrefaçon de monnaie et de produits. Il a également souligné l’importance de lutter contre la criminalité environnementale, les meurtres, les coups et blessures graves, et les crimes fiscaux liés aux impôts. Cette large gamme de délits montre à quel point le blanchiment de capitaux est omniprésent et varié, soulignant la nécessité d’une vigilance constante de la part de tous les citoyens. Monsieur Melaye a expliqué que l’évaluation des pays se fait sur la base de la conformité technique des lois et de l’efficacité de la réglementation.

Il faut réunir trois éthiques fondamentales : l’excellence, la prudence, et la patience, pour réussir son investigation, selon Dr Expédit Bofouni Ologou, politologue et expert des médias

Au terme de cet atelier, il est attendu des journalistes qu’ils produisent des articles de qualité sur la LBC/FT et qu’ils sensibilisent davantage le public sur les dangers de ces fléaux.

Défis et perspectives du GIABA

Cette édition de 2024, qui rassemble trente-cinq professionnels des médias issus des secteurs public et privé, est la troisième à se tenir à Cotonou, après celles de 2011 et 2017. La cérémonie d’ouverture a été marquée par l’exécution de l’hymne de la CEDEAO, suivie des discours de Timothy Melaye, représentant du directeur général du GIABA, et de Armand Donald Regan Houngué, premier substitut du procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), représentant le ministre de la justice du Bénin.

L’un des principaux défis auxquels le GIABA est confronté en Afrique de l’Ouest est la confiscation des biens des criminels financiers. Malgré les efforts déployés pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la récupération des actifs acquis illégalement demeure une tâche ardue, souvent entravée par des systèmes judiciaires fragiles et des mécanismes de coopération internationale insuffisants. En parallèle, l’une des perspectives cruciales pour le GIABA est de disposer de données fiables et actualisées sur les crimes économiques et financiers dans la région. Ces données sont essentielles pour mieux comprendre l’ampleur du problème, orienter les stratégies de lutte, et évaluer l’efficacité des actions entreprises.

Cette formation s’inscrit dans la continuité des efforts du GIABA, pour intégrer les médias dans la lutte contre les crimes économiques et financiers en Afrique de l’Ouest, un défi crucial pour la stabilité et la prospérité de la région.

Hamed Nanéma

Lefaso.net

Source: LeFaso.net