La journée internationale des gauchers est célébrée chaque 13 août. Cette journée dédiée aux gauchers est l’occasion de les mettre en lumière dans une société majoritairement dominée par les droitiers. À travers un micro-trottoir, des gauchers partagent leurs histoires, en révélant des anecdotes de leur enfance, marquée le plus souvent par des adaptations forcées et des incompréhensions culturelles.

Abdoulazize Bamogo, ancien président du Conseil supérieur de la communication (CSC)

« Aujourd’hui, être gaucher ne me cause pas trop de problème. Il n’y a pas de véritables difficultés depuis qu’on est adulte. C’est durant l’enfance que c’était un peu plus compliqué. Même avant que je n’aille à l’école primaire, c’était difficile surtout pour manger parce que comme je suis issu d’une famille musulmane, en islam on préfère utiliser la main droite pour beaucoup de choses et c’est interdit d’utiliser la main gauche pour un certain nombre choses notamment pour manger. Et moi quand j’étais gamin, c’était vraiment difficile, parce que quand on posait le repas, c’est souvent ensemble, avec les mamans et les frères, qu’il fallait manger.

En général, les gens commençaient à manger et moi je suis là, je cherche la main à utiliser. Et souvent, ceux qui voulaient plaisanter un peu avec moi me regardaient et attendaient que j’essaie de plonger une main pour qu’on m’attrape la main gauche pour dire que ce n’est pas cette main qu’il faut utiliser mais plutôt la main droite. Après quand on devient grand, ce n’est vraiment pas un problème particulier. Pour saluer, ça ne cause pas trop de problème parce que quand vous êtes en face de quelqu’un et que la personne tend généralement la main droite, même quand tu te trompes, tu te ressaisis rapidement avec la main qui correspond à celle que celui qui est en face de vous vous a tendu.

Tout cela s’est posé en termes de problèmes durant l’enfance. Quand on grandit, ça devient un peu plus simple à gérer. Au niveau de l’écriture, ça ne m’a pas causé de problème. Par contre, c’est à mon grand-frère que cela a causé des problèmes, parce que lui, il avait poursuivi dans l’école coranique et là-bas, on l’a plutôt obligé à utiliser la droite pour écrire. Et ça fait que son écriture jusqu’aujourd’hui, quand tu regardes, tu sens que ce n’est pas trop ça parce que ça été un peu trop forcé. Mais il arrive aujourd’hui à se débrouiller avec les deux mains, contrairement à moi qui suis pleinement gaucher et qui ne peux pas faire grande chose avec la main droite ».

Armelle Ouédraogo/ Yaméogo, journaliste reporter à Lefaso.net

« Il faut dire que ma vie au quotidien est comme celle des droitiers. Je fais normalement tout avec la main gauche. Ce sont peut-être les droitiers qui voient que je le fais avec la gauche sinon pour moi, tout se fait naturellement. Ecrire, manger, faire les travaux domestiques, tout se fait naturellement. Je fais tout avec la main gauche de la même manière que les droitiers utilisent leur main droite. Moi j’utilise le plus ma main gauche pour couper les condiments, écrire, me laver, laver les enfants, laver les habits, même nouer le pagne. Utiliser la main gauche, la plupart du temps, ne pose pas de soucis, sauf quelques rares fois où j’ai connu des situations pas très agréables.

Par exemple, j’étais au mariage d’une cousine. J’étais en train de servir le repas. Avec la droite je n’y arrivais vraiment pas, donc j’ai préféré utiliser la gauche. Je servais les gens avec la gauche et arriver à une dame, elle m’a dit non, c’est bon, de déposer la louche qu’elle allait se servir elle-même, parce qu’elle n’aime pas la gauche. Je ne l’ai pas pris trop mal, je l’ai laissé faire et ensuite, j’ai cherché un coin, je me suis mise de côté. Ça ne me touche pas plus que ça, parce que je me dis c’est leur façon de voir les choses, libre à eux.

C’est peut-être dans la conception culturelle, notamment chez les Mossis, que les gens disent que la main gauche est celle qui n’est pas bonne, donc les gens ont des idées arrêtées et voient ça comme un truc pas bien. Sinon, être gaucher ou droitier, c’est la même chose, c’est la capacité à utiliser la main gauche plus que la droite. Donc je ne vois pas de mal à ça. Ce que je veux dire aux parents qui ont des enfants gauchers, que ce n’est pas la peine de forcer l’enfant à utiliser la main droite. C’est une prédisposition naturelle et il faut laisser la personne développer naturellement l’usage de sa main gauche. Je ne vois pas de problème à cela parce que j’ai mon fils de quatre ans qui est aussi gaucher comme moi, ce n’est pas un souci. Ce n’est pas la peine de frustrer les enfants, de les obliger à utiliser la main droite. Je ne vois pas de mal à être gaucher ».

Yaya Boudani, journaliste à radio Pulsar

« A vrai dire, nous nous efforçons pour nous adapter aux autres. L’utilisation de certains objets du quotidien est parfois compliquée, puisque certains objets sont faits uniquement pour être utilisés par les droitiers. Pour manger avec la main, c’est avec la droite, mais quand il faut utiliser une cuillère ou une fourchette, il faut la gauche. Mais avec le temps, on finit par s’habituer. Je tends toujours la main droite pour une poignée de main. Il faut souligner qu’on s’excuse régulièrement auprès de certaines personnes, quand on tend la main gauche pour récupérer un objet ou remettre un objet.

Ce n’est pas toujours que les gens comprennent cette situation. Je me rappelle avoir subi toutes sortes de punitions à l’école pour me pousser à écrire avec la main droite. Mes parents avaient été convoqués plusieurs fois au niveau de l’école (surtout au primaire) pour leur demander de m’obliger à utiliser la main droite. La proposition avait été faite de plâtrer ma gauche, mais mon père a dû expliquer que depuis ma naissance, j’utilise la main gauche donc il fallait me laisser continuer. Je suis gaucher de la main et du pied, du coup je sais à quoi m’en tenir en fonction des situations ».

Koti Ange Laurentia Da

« La plupart du temps, les gens sont surpris dès qu’ils me voient écrire avec la main gauche : ah tu écris avec la main gauche ! Les gens me demandent tout le temps comment je fais pour rester gauchère parce qu’il y a de nombreuses personnes qui ont été contraintes de changer de main car elles étaient gauchères ».

Sékou Ouédraogo, journaliste à Burkina Info

« C’est à l’âge de trois ans qu’on a constaté que je suis gaucher car en faisant certains travaux, j’utilisais plus la main gauche que la droite. Je buvais l’eau et je mangeais avec la main gauche, mais entre-temps, les parents avaient enchaîné mes doigts et ma main gauche pour m’empêcher de l’utiliser. Dans la société africaine surtout chez nous les musulmans, on pense que l’être gaucher est une forme de malédiction. Même avec les parents, ce n’était pas facile parce que chaque fois que je faisais une tâche avec la main gauche, c’était des punitions à n’en point finir.

Il arrivait même qu’on me fasse passer une journée sans manger tout simplement parce que j’ai tenté d’enlever la nourriture avec la main gauche. A l’école aussi, ce n’était pas facile parce que j’étais le seul gaucher et mon enseignant voulait que j’écrive avec ma main droite parce que pour lui, il était inadmissible qu’un gaucher puisse intégrer l’école. Lorsque j’écrivais avec la main gauche et que l’enseignant arrivait, j’étais obligé de changer de main, sinon il me frappait.


Aujourd’hui, je fais pratiquement tout avec la main gauche, sauf quelques exceptions comme saluer quelqu’un. Je ne mange pas non plus avec la main gauche, même si je me surprends quelques fois en train de le faire mais je change dès que je m’en rends compte. Je prends mes ablutions et cuisine avec la main gauche. Il est vrai que c’est mal vu, mais lorsque j’utilise ma main droite pour faire quelque chose, je n’ai pas le même rendu que si c’était avec ma main gauche. On m’a surnommé gaucher et ce nom m’a suivi. Toute personne qui ne connaît pas mon prénom m’appelle ainsi. C’est une forme de stigmatisation mais je n’en fait pas un problème. Naître gaucher est une chance et je le prends avec plaisir.

J’interpelle les parents qui n’ont toujours pas compris qu’on naît avec et qu’en aucun cas on ne pourrait changer. On doit sensibiliser les parents pour qu’ils encouragent les enfants qui naissent gauchers et qu’ils ne voient pas cela comme un handicap mais plutôt comme une valeur ».

Hanifa Koussoubé

Lefaso.net

Source: LeFaso.net