Jean Marie Mantou a consacré trois décennies de sa vie au service des impôts du Burkina Faso. Ce sexagénaire n’a pourtant pas encore intégré le repos dans son agenda de vie. Il s’est reconverti en fermier depuis son départ à la retraite. Portrait.

Assis sous un manguier avec deux amis de longue date, Jean Marie Mantou est le “fakir” du jour. Ici, ce sont des pensionnés qui se sont retrouvés pour passer de bons moments et débattre de tout et de rien. Pourtant, cette ambiance de “grin” n’est qu’un moment de pause pour Jean Marie Mantou. À la fois agriculteur et éleveur, l’hivernage est vivace pour lui. Bottes aux pieds, gilets de travail et casquette sur la tête, il passe ses journées à superviser le travail de ses collaborateurs.

Chose surprenante, malgré l’âge, l’homme, en plus de parcourir des milliers de mètres par jour, manie aussi la daba. C’est sur la route nationale 6 du Burkina Faso, juste avant le péage, à Pamnoghin dans la commune de Komsilga, que nous l’avons retrouvé dans sa ferme agropastorale. Il parcourt chaque semaine à plusieurs reprises 18 kilomètres pour rejoindre son travail de fermier et s’échapper de ce qu’il appelle la « pression de la ville ».

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Jean Marie Mantou et ses amis, assis autour du thé

Une reconversion préparée

Ancien fonctionnaire des impôts, sieur Mantou a choisi de se reconvertir en agriculteur et éleveur à temps plein. Cette transition, bien que surprenante pour certains, est le fruit d’une passion longtemps enfouie et d’une volonté de donner un nouveau sens à sa vie après des années de service public. « Oh non, ça n’a pas été difficile pour moi, parce que pour un retraité, il faut identifier le projet dix ans avant la retraite. À ce moment, quand tu arrives à la retraite, c’est moins compliqué », a-t-il dit en nourrissant sa volaille. Il nous confie que le plus difficile dans un premier temps était de trouver un espace approprié pour cette activité et de sécuriser cet espace. « Je suis dans un petit village et il faut faire attention avec les autochtones, parce que pour un oui ou un non, on peut venir réclamer le terrain. Donc, il m’a fallu sécuriser le terrain et même aller jusqu’au titre foncier », explique le fermier. Pour lui, cette passion dont il vit actuellement est le fruit de privations de plusieurs années. « Au fond de moi, il y avait toujours ce désir du retour à la terre. En plus, cette activité permet à plusieurs personnes de se nourrir. »

Le retour aux sources : une transition naturelle

La retraite ne signifiait pas une fin pour notre pensionné, mais plutôt un nouveau départ. Jean Marie a toujours été attiré par la nature et la vie rurale. Selon lui, la vie est circulaire et nos habitudes nous rattrapent toujours. « Depuis l’école primaire, avec les frères, on gardait le bétail avec les bergers de notre village. Donc c’est un retour aux source », a-t-il justifié, ajoutant que l’agriculture est une activité connue de toutes les personnes de sa génération. Son choix s’est aussi déterminé en raison du caractère généreux de la nature. Pour lui, au-delà du gain financier, les plantes et les animaux sont des êtres qui rendent bien l’amour et le soin qui leur sont accordés. Il pense d’ailleurs que beaucoup de personnes l’ont compris, mais la question des terres pose problème.

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Le fermier en train de labourer son champ avec ses collaborateurs

Une ferme florissante

La ferme de Jean Marie est un exemple de diversité animale et agricole. Elle s’étend sur une grande superficie où se mêlent cultures de céréales, de légumes et de fruits, et élevage d’animaux. « J’ai commencé timidement, avec quelques poules et des plants d’arbres fruitiers », se souvient-il. « Aujourd’hui, nous avons du bétail, des poules, des pintades, des porcs et parfois des fruits et légumes en fonction des saisons. » L’une des particularités de son élevage est qu’il priorise les poulets de race locale. Il faut dire que Jean Marie Mantou est un conservateur. Malgré la patience dont a besoin ce type d’élevage, le fonctionnaire devenu fermier n’envisage pas d’intégrer les poulets de race étrangère dans sa basse-cour.

C’est un choix qu’il a fait parce qu’il pense que les poulets locaux sont meilleurs. Mais pour ce qui concerne les autres animaux, afin d’accroître son rendement, il est conscient qu’il faut prioriser les races métissées pour plus de productivité. « Une vache laitière locale ne peut pas par exemple produire plus de trois litres par jour. Alors qu’une vache métissée peut produire dix à quinze litres par jour, si elle est bien nourrie », explique-t-il.

Cette activité agropastorale qui s’agrandit au fil du temps lui permet d’être à l’abri du besoin. Le secret de cette croissance constante est, à l’en croire, sa présence fréquente à la ferme. « En agriculture et en élevage, il faut être présent tout le temps. Les collaborateurs sont parfois difficiles à gérer, donc pour compenser les manques, il faut que tu sois assez fréquent au moins trois fois par semaine. Et quand tu viens, il ne faut pas t’asseoir en chef ; il faut visiter, donner des directives et faire toi-même, si non ça ne marchera pas », confie le fermier. Il travaille également à transmettre la flamme de l’agropastoralisme à ses enfants.

L’ancien fonctionnaire dans son rôle d’éleveur

Pas sans difficultés

La transition de la vie bureaucratique à la vie agricole et pastorale n’a pas été sans défis. Jean Marie évoque les difficultés initiales avec le sourire. « Il y avait tellement à apprendre ! La gestion d’une ferme est très différente de celle d’un bureau », distingue monsieur Mantou. Cependant, son esprit méthodique acquis au cours de sa carrière lui a été d’une grande aide. « J’ai appliqué des principes de gestion stricts à la ferme, ce qui a vraiment fait la différence. Les gens ne voient que les résultats car ils ne voient pas les insomnies et parfois les blocages financiers du début », nous apprend le fermier. Mais le retraité pense que quand il y a de la volonté, tout est possible. Il se réjouit d’ailleurs d’avoir économisé très tôt pour se lancer dans ce projet. « Ce n’est pas uniquement l’indemnité de départ à la retraite qui peut permettre d’entreprendre dans une ferme », ironise-t-il.

Une vie pleine de sens

La ferme de Jean Marie Mantou ne profite pas seulement qu’à lui. Elle est devenue un lieu de rencontre pour ses proches, offrant des emplois et des formations aux jeunes de la localité. « Je veux que les jeunes voient qu’il y a de l’avenir dans l’agriculture », affirme-t-il. « Nous avons besoin d’une nouvelle génération innovante et passionnée pour continuer à cultiver notre terre », car, selon lui, l’agriculture, comme tout autre domaine, évolue et se transforme. Il exhorte donc ceux qui veulent s’y lancer à le faire tôt. Spécifiquement aux travailleurs qui ambitionnent de se reconvertir après la retraite, il conseille de mûrir l’idée et de se préparer. « Chaque jour, au lever du soleil, je sais que je vais faire quelque chose de significatif pour moi. Je suis en harmonie avec ce choix de vie qui me sort grandement de l’ennui et des pensées éprouvantes. C’est une vie pleine de défis, mais aussi de grandes satisfactions », a-t-il exprimé.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jean Marie Mantou est un travailleur. C’est aussi ce que pensent ses amis de longue date qui lui tiennent très souvent compagnie à la ferme. Ces derniers, qui ne tarissent pas d’éloges à l’endroit de leur ami, le voient comme un exemple pour sa génération. « Mon ami Mantou est pour moi quelqu’un de très disponible. Il est toujours à l’écoute de son prochain et dès que tu as des difficultés, il n’hésite pas à te venir en aide. C’est un homme au cœur généreux », a déclaré un des membres permanent du “grin”, Ousseini Compaoré.

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Le contexte des séniors et des retraités au Burkina Faso

Selon le rapport du dernier recensement sur les personnes âgées et les occupations socioéconomiques au Burkina Faso, 68,9% personnes âgées sont non-occupées. Pour les personnes occupées, 23,9% sont engagées dans l’agriculture, la sylviculture, etc. Ce fort ancrage confirme l’importance de ce secteur primaire pour les Burkinabè.

Du côté des personnes en âge de la retraite, au 31 décembre 2023, le tableau de bord du ministère de la Fonction publique, du travail et de la protection sociale a enregistré 1 832 départs, dont 70,4% d’hommes. Ce chiffre est presque identique à celui de 2022, où l’on comptait 1 838 départs, indiquant une légère baisse de 0,3%. La stabilité de ces chiffres révèle que le nombre d’agents atteignant l’âge de la retraite reste constant d’une année à l’autre. La majorité des départs à la retraite provient des agents relevant du statut général, qui représentent 88,5% des départs. Cette catégorie inclut une grande variété de postes et illustre la prédominance de ce statut au sein de la fonction publique. Sur la période 2019-2023, le nombre de départs à la retraite a connu une augmentation moyenne annuelle de 6,4%. Cette croissance soutenue pourrait être attribuée à plusieurs facteurs, tels que le vieillissement de la population des agents.

Tableau de l’INSD sur la répartition des personnes âgées selon leurs occupations lors du recensement général de la population en 2019

Les limites d’âge pour l’admission à la retraite des agents publics au Burkina Faso varient selon la catégorie de chaque agent. En les répartissant par catégorie professionnelle, il ressort que les cadres moyens sont les plus nombreux, représentant 38,5% des départs. Cela pourrait s’expliquer par le fait que cette catégorie regroupe une part importante de la pyramide des âges dans la fonction publique, atteignant l’âge de la retraite en même temps. À l’opposé, le nombre de départ des agents d’exécution était de 224, soit 12,2% des effectifs, constituant la catégorie la moins représentée.

Ces retraités, comme Jean Marie Mantou, cherchent souvent à rester actifs en se lançant dans des projets qui leur permettent de contribuer au développement de la société, notamment dans des secteurs aussi cruciaux que l’agriculture. Ainsi, l’histoire de Jean Marie Mantou est celle d’une reconversion réussie, d’un homme qui a su écouter son cœur et transformer une passion en une réalité florissante. Sa ferme, qu’il a surnommée la « Bergère », est un symbole de résilience, de passion et d’engagement, prouvant qu’il n’y a pas d’âge pour travailler.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net