Si pour certains la passion du journalisme s’essouffle, pour d’autres, elle reste encore vive. Dans ce dossier, des étudiants en journalisme s’expriment et réaffirment leur désir de faire carrière dans le métier malgré tout. Plusieurs professionnels assurent par ailleurs qu’ils referaient le même choix s’ils devaient repartir en arrière.

Grâce à son métier de journaliste, Alain Zongo dit Saint Robespierre, rédacteur en chef de L’Observateur Paalga, a fait le tour du monde. De l’Europe en passant par l’Amérique, l’Asie et l’Afrique, Robespierre est un globe-trotter qui a voyagé dans tous les continents pour son métier. Il n’était pourtant pas prédestiné pour ce boulot. Passionné par le métier de journalisme, il a dû abandonner sa profession d’enseignant d’histoire-géographie pour faire carrière dans le métier de l’information. Ancien pensionnaire de la fac de géographie à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, il s’est donné les moyens d’exercer le métier de l’information en prenant un gros risque. Affecté à Ouahigouya, dans le nord du Burkina après son admission au concours de la Fonction publique, il décide de prendre langue avec le Directeur de publication (DP) de L’Observateur Paalga pour être le correspondant de son journal dans le Yatenga. La demande a été fructueuse. C’est le début d’une reconversion.

Avec un style plaisant et envoutant, il réussit à taper dans l’œil d’Edouard Ouédraogo, le DP de L’Obs. qui lui tendra la perche pour rejoindre son équipe à Ouagadougou comme grand reporter, compte tenu de son aisance rédactionnelle. Malgré les craintes et la réticence de son épouse, il décide d’abandonner la stabilité de la Fonction publique pour le privé en janvier 2006.

Alain Zongo dit Robespierre est l’un des éditorialistes chevronnés du Burkina

De fil en aiguille, Robespierre pousse des racines au sein du doyen des quotidiens privés et gagne en expérience avec un parcours enrichissant dans le domaine de la presse. Cette réussite pour lui atteste que le jeu en valait la chandelle sinon que le risque pris valait son pesant d’or. Il ne regrette rien. Même sa femme, qui était dubitative au début, se réjouit du statut de son époux devenu une icône de la presse burkinabè. « Au début, j’ai perdu un peu mais tout cela a été compensé en termes de voyages, de contacts, de réseau social. Je n’aurais pas fait tous les voyages que j’ai eus à effectuer si je n’étais pas journaliste », a déclaré l’ancien grand reporter de L’Obs. Grâce au journalisme, poursuit-il, « j’ai fait les États-Unis, plusieurs fois la France, d’autres pays européens, des pays africains, des pays asiatiques. Je ne pense pas que j’aurais pu visiter ces pays si j’étais resté enseignant », confie-t-il.

Des souvenirs, il en a à la pelle. « J’ai voyagé avec des chefs d’État, des ministres. Le journalisme m’a ouvert des horizons. Je me suis fait de nouveaux amis dans certains pays grâce aux contacts. Il y en a qui m’ont invité à venir passer des vacances et on tout pris en charge », se rappelle-t-il.

Premier burkinabè à avoir remporté le prix CNN Multichoice du meilleur journaliste africain, Robespierre est un journaliste qui a marché sur plusieurs tapis rouges pour des récompenses. C’est avec humilité qu’il revient sur ses débuts. « Je suis venu au journalisme sans la moindre formation. Je suis venu par passion. Cette passion, je crois que je l’avais depuis le secondaire. Je me plaisais à rédiger des papiers lorsque le bureau des élèves devait manifester son mécontentement vis-à-vis de l’administration. Généralement, c’est à moi qu’ils faisaient recours pour rédiger. Il faut dire aussi que j’ai été influencé par un de nos voisins qui lisait beaucoup L’Observateur quand j’étais petit. Je prenais les vieux journaux et je lisais, c’est lui qui m’a dit que je peux être journaliste », se souvient-il encore avec enthousiasme. A ceux qui prétextent la précarité pour quitter le journalisme, il estime que c’est une erreur d’appréciation.

A l’entendre, les perspectives d’embauche sont en berne dans tous les secteurs et non en journalisme seulement. Le journalisme n’attire plus comme avant, reconnaît-il. Mais cette crise de vocation n’est pas propre au journalisme seulement, a-t-il nuancé. La crise de vocation, cite-t-il, se constate dans l’enseignement, la santé et beaucoup de secteurs aussi. « Je me rappelle quand ma fille faisait le baccalauréat, elle a dit qu’il y a un seul élève dans leur classe qui voulait faire la médecine », étaye-t-il, ajoutant que les enfants sont plus portés sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. « Nous sommes dans une époque où la structure de la connaissance et le profil des métiers ont beaucoup évolué par rapport au besoin du marché », a-t-il déclaré. Mais pour lui, le journalisme est très loin d’être le métier le plus indigent du monde. Tous ceux qui rêvent du journalisme, conseille-t-il, peuvent venir parce que le métier offre des opportunités. Toutefois, il les encourage à s’armer de courage et d’abnégation car l’information va toujours être au centre de la vie. « L’information va toujours bien se vendre. Maintenant, il faut savoir comment la traiter avec toute la rigueur qu’il faut. Une information traitée avec beaucoup de rigueur va toujours trouver preneur », a-t-il conclu.

<p class="note" style="position: relative; color: #012b3a; margin: calc(23.2px) 0px; padding: calc(9.6px) 40px; border-left: 5px solid #82a6c2; background-color: #eaf0f5; border-top-color: #82a6c2; border-right-color: #82a6c2; border-bottom-color: #82a6c2; font-family: Montserrat, sans-serif;" data-mc-autonum="Note: “>Lire aussi : Burkina/Médias : « Pour mieux réussir dans le journalisme, il faut de l’humilité, de la modestie et l’envie d’apprendre », Alain Saint Robespierre, rédacteur en chef de L’Observateur Paalga

Un journaliste sportif dans un quotidien de la place qui a préféré garder l’anonymat dit être épanoui dans son métier. Pour lui, c’est une contrevérité de croire que le journalisme ne nourrit pas son homme. Cette conception chantée aux jeunes, depuis l’école parfois, favorise la réticence qui éloigne les jeunes du journalisme au profit de la communication. Le journalisme permet bel et bien de vivre décemment, a-t-il déclaré. « Je me suis offert un voyage en Asie grâce à mes relations », se réjouit-il. Cette possibilité n’aurait pas été réelle s’il n’était pas journaliste, commente-t-il. Tout n’est pas forcément gain financier, a-t-il lancé. Il y a aussi le plaisir, la satisfaction, les bénéfices immatériels, c’est une passion que l’on vit. La seule difficulté, analyse-t-il, c’est la volatilité du contexte actuel qui a engendré une certaine précarité au niveau des organes de presse. « C’est la vie au Burkina qui est devenue difficile et cela déteint logiquement sur le journalisme aussi », affirme-t-il. Sinon, le journaliste, à travers son carnet d’adresses, ne saurait se plaindre, selon lui.

On ne vient pas dans le journalisme pour être Bill Gates

Depuis l’université déjà, Sylvain Sakandé semble tout connaître de l’environnement des médias. « On ne vient pas dans le journalisme pour être Bill Gates », nous a déclaré l’étudiant à la sortie du studio de radio Campus, après la présentation du journal parlé (JP) de 12h30. Étudiant en 3e année de journalisme à l’IPERMIC, le jeune homme, la vingtaine, qui a une voix radiophonique bien appréciée par ses camarades et enseignants, a toujours rêvé de faire le journalisme après l’obtention de son baccalauréat en 2020. Et quand il a empoché son baccalauréat série D, sa vocation première était de faire la médecine pour devenir cardiologue plus tard. « C’était mon rêve quand j’étais toujours au premier cycle au lycée », se souvient-il. Comme un volcan en ébullition, la passion du journalisme inonde celle de la médecine à partir de sa classe de première. Le rêve du port de la blouse blanche n’est plus d’actualité. En 2021, il passe avec succès le test de recrutement d’entrée au département de journalisme et communication de l’université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou. Depuis 2021, il entretient ce rêve de devenir un grand journaliste comme Christophe Boisbouvier de Radio France internationale (RFI), Jean Emmanuel Ouédraogo (actuel ministre en charge de la communication) qui sont des modèles inspirants pour lui.

Sylvain Sakandé rêve de devenir un grand journaliste

Le journaliste radio en herbe regrette l’attitude de ses camarades qui fuient le journalisme après des années d’études sous le prétexte qu’il est absorbant et précaire. Pour ce prodige de l’IPERMIC, le journalisme n’interdit pas la richesse mais il ne devrait pas être une obsession pour les journalistes de devenir riches comme Bill Gates, le richissime homme d’affaires américain et fondateur de Microsoft. « Quand on vient dans ce métier, l’argent ne doit pas être la première des motivations », a-t-il martelé. Visiblement à l’aise dans les échanges, il indique que le journalisme est un tremplin qui offre beaucoup de possibilités. « C’est un métier noble qui peut vous ouvrir beaucoup de portes à condition d’en sortir. Si vous êtes bons, vous ne pouvez pas regretter d’avoir fait le journalisme », prêche l’étudiant qui dit être résolument engagé à exercer ce métier de l’information malgré tout.

Même volonté affichée par son camarade de classe, Soumaïla Malo. Lui aussi est arrivé dans le département à travers un test de recrutement. De nos jours, constate-t-il, il y a une certaine pression ou des menaces contre les journalistes et la profession. Cette situation malheureuse, admet-il, peut semer le doute dans l’esprit des potentiels journalistes. Mais lui ne compte pas rebrousser chemin ; il tient à être journaliste de renommée comme le Burkinabè Yacouba Ouédraogo de la Voix de l’Amérique (VOA). « Je suis prêt à aller jusqu’au bout », réaffirme-t-il. Selon lui, la richesse du journaliste se mesure par rapport à son utilité sociale. « Je ne dirai pas que c’est un métier noble parce qu’il a toujours été noble. Le journaliste est quelqu’un qui possède l’information, il a ce que les autres n’ont pas. Il y a plein de perspectives dans le journalisme », a-t-il indiqué, ajoutant qu’il souhaite faire du web-journalisme.

Soumaïla Malo se dit prêt à embrasser le monde du journalisme

Le journalisme est le plus beau métier du monde, selon Latifatou Zougmoré d’ISCOM

Latifatou Zougmoré est étudiante en troisième année de journalisme à l’Institut supérieur de la communication et de multimédia (ISCOM), une école qui forme dans les métiers du numérique. Longtemps fascinée par le métier de l’information grâce à l’ancienne présentatrice télé de la RTB, Marguerite Yelli Doannio Sou, elle a pris l’engagement depuis le lycée d’exercer le même métier que son modèle. « Je me rappelle que quand j’ai eu mon bac, mon papa me disait de faire le droit alors que je voulais faire le journalisme. J’ai insisté et ma maman aussi est intervenue pour lui dire de me laisser vivre ma vocation », nous confie-t-elle avec des accents passionnés.

Pour l’étudiante de l’ISCOM, le journalisme est le plus beau métier du monde. Entre le journalisme et l’étudiante, c’est le parfait amour. « Ce qui me plaît dans ce métier, ce sont les découvertes, l’apprentissage que tu en tires, tu te cultives au jour le jour, tu te crées des relations. Vraiment le journalisme, quand tu le fais comme tu l’aimes, tu t’éclates ! », s’exclame-t-elle. « Malgré les dures réalités de la profession, je n’ai jamais rêvé même un seul instant de l’abandonner », affirme-t-elle. L’étudiante cherche à faire un métier où elle sera utile, où elle fera quelque chose pour la société. Le journalisme pour elle, est la meilleure destination. « Ce n’est pas un endroit où il faut se remplir les poches », a tranché l’étudiante, qui n’a que d’yeux pour le journalisme.

Latifatou Zougmoré de ISCOM n’a d’yeux que pour le journalisme

Nado Ariane Paré, diplômée d’une licence en journalisme numérique obtenue à l’ISCOM poursuit ses études en master de communication médiatique à l’université de Montréal, au Canada. Après quelques années d’études, sa passion pour le journalisme reste encore vive. Selon l’analyse de l’ancienne étudiante de l’ISCOM, la plupart de ceux qui fuient le journalisme après leurs études le font pour une mauvaise raison. « Il y a certaines aspirantes au journalisme, quand on leur demande pourquoi elles ont fait le choix de ce métier, elles diront simplement qu’elles veulent être une présentatrice télé. Quand elles se lancent et que cette occasion ne se présente pas, la désillusion tombe et elles commencent à se chercher ailleurs », regrette la pensionnaire de l’université de Montréal. « On ne devient pas journaliste pour se faire voir, le journaliste a une responsabilité sociale qui est de porter la voix des sans voix au bénéfice de la société », a-t-elle lâché, invitant les jeunes à aimer ce métier parce qu’il a « beaucoup de débouchés ».

Le journalisme a beaucoup de débouchés selon Nado Ariane Paré

« Dans la vie, il n’y a rien de telle que de pouvoir faire le métier que vous aimez », Dr Cyriaque Paré

Dr Cyriaque Paré est assurément l’un des monuments de la presse burkinabè. Fondateur du média en ligne Lefaso.net et de l’ISCOM, il a embrassé la carrière de journaliste par passion dans les années 1990. Plus de 30 ans après, même s’il ne se définit plus essentiellement comme journaliste au regard de son statut de chercheur en information et communication, il ne regrette pas d’avoir choisi ce métier qui lui a donné une ascension sociale. Pour lui, le journalisme est un sacerdoce comme une religion. « On entre dans le journalisme comme on entre en religion ; parce que c’est une passion qui vous porte toute la vie », a expliqué l’enseignant des médias et de la communication numérique. De ce fait, il est important d’encourager ceux qui veulent faire ce métier pour vivre leur passion. « Dans la vie, il n’y a rien de telle que de pouvoir faire le métier que vous aimez, qui vous passionne », ajoute-t-il. Contrairement à ceux qui tournent le dos au journalisme au prétexte qu’il ne permet pas de devenir riche, c’est une vue de l’esprit selon lui. « Riche dans quel sens ? » interroge-t-il, ajoutant qu’il n’y a pas que l’argent et le matériel qui rendent riche. « La première richesse à mon avis, c’est votre utilité sociale. Je pense qu’il n’y a rien de plus utile dans la société qu’un journaliste qui permet à ses concitoyens de savoir ce qui se passe dans leur communauté, qui leur vient au secours pour leur donner de bonnes informations pour les aider à prendre des décisions dans leur vie. « Sans informations, on ne peut pas être riche. Qui que vous soyez, si vous ne savez pas ce que demain vous réserve ou comment va votre société ou si vous ne savez pas quels sont les secteurs rentables, vous ne pouvez pas être riche. Et le journaliste est la personne qui vous permet d’avoir ces informations », a relevé le communicologue. De l’avis du chercheur, il est possible de réussir sa vie sans être riche comme un homme d’affaires. « La richesse n’est pas que matérielle », relativise-t-il. « Des journalistes voyagent dans des endroits où les autres payent des millions pour y aller, ils rencontrent des personnalités… », a-t-il fait savoir, arguant que c’est une forme de richesse que tout le monde ne peut pas se permettre. Comme l’adage le dit, « Bonne renommée vaut mieux qu’une ceinture dorée », a-t-il lancé. Ces nombreuses opportunités peuvent permettre au journaliste d’être riche dans le sens du matériel, a-t-il insisté, appuyant que le journalisme permet de se réaliser, d’être riche au sens où on arrive à satisfaire ses besoins et être utile à la société. « Si vous n’avez pas la passion du journalisme, il ne faut pas venir parce que vous voulez être riche », a-t-il prévenu.

« La première richesse du journalisme, c’est votre utilité sociale », Dr Cyriaque Paré

Après 35 ans d’exercice dans les médias d’État, Jean Philippe Tougouma, journaliste aux Editions Sidwaya, s’apprête à quitter le métier pour la retraite. Au crépuscule de sa carrière, il retient du journalisme que c’est un métier passionnant et exaltant. N’eut été son statut de journaliste, il n’aurait peut-être pas eu la chance de voyager dans le même avion avec le président de la République. Ce voyage effectué avec l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré, est l’un des meilleurs souvenirs qu’il garde. En plus de cela, il dit avoir fait beaucoup de découvertes grâce à son métier. Le journalisme est un métier de relations publiques et humaines, explique-t-il. « Un journaliste est celui qui peut interpeler un président ; un journaliste peut marcher avec un président. Ce qui n’est pas possible souvent pour un ministre ou une autre autorité », cite-t-il comme avantage du métier.

Après 35 ans de service, le journaliste Jean Philippe Tougouma, s’apprête à aller à la retraite

C’est avec regret qu’il constate la crise de vocation dans le journalisme chez la jeune génération. Mais il dit ne pas être étonné parce que, dit-il, nous sommes dans un monde où on est dans la dynamique du “m’as-tu vu” ? Si vous n’avez pas les moyens, ça va être difficile, commente-t-il. Mais cela ne saurait être une raison fondamentale parce qu’on ne vient pas dans ce métier pour s’enrichir. « L’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo a dit qu’on ne fait pas la politique pour devenir riche et le journalisme pour l’être aussi », a-t-il repris. « Avant, les gens venaient dans les médias pas forcément pour de l’argent mais pour se faire connaître », se souvient l’ancien journaliste d’agence. Pour lui, il est exagéré de parler de crise de vocation dans le journalisme parce que la crise est dans tous les domaines. « Faites un tour devant le Commissariat central de police de Ouagadougou (CCPO), vous verrez une masse de personnes à la recherche de timbres pour faire des concours. Ils ne font pas forcément les concours qu’ils aiment mais juste pour avoir un emploi », a-t-il nuancé.

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Serge Ika Ki

Lefaso.net

Source: LeFaso.net