Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté au terrorisme. Cette situation sécuritaire a occasionné une crise humanitaire marquée par un déplacement massif de populations. À la date du 31 mars 2023, le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) enregistrait plus de deux millions de déplacés internes. Dans la région de l’Est, il existe des personnes qui acceptent d’héberger certains déplacés, en faisant d’eux des membres de leurs familles. Constat sur place les 22 et 23 juillet 2024.

Jeudi 21 septembre 2023. Albert Yonli, pasteur de l’église évangélique SIM de Fada N’Gourma, rentre d’un voyage la nuit. Il aperçoit deux femmes et un jeune homme arrêtés au bord de la Route nationale N°4 (RN 4) avec une moto. Une scène étrange et embarrassante. Il décide alors de s’arrêter. Faisant semblant de manipuler son téléphone, il passe devant ces trois personnes visiblement en détresse pour entendre leur conversation. « C’est là que j’ai su que c’était très sérieux », se souvient ce monsieur. Il s’invite dans la discussion.

Le jeune homme est venu en aide aux deux femmes, qui ont quitté leur village à cause de l’insécurité pour venir à Kantchari. L’une avait une blessure du pied jusqu’à la hanche ; donc il était question de rallier Fada N’Gourma, qui est à 150 kilomètres de Kantchari, pour des soins appropriés. « Elle ne pouvait pas se tenir debout », raconte Albert Yonli. C’est ainsi que le pasteur les a conduites à l’hôpital.

Selon Albert Yonli, l’amour du prochain doit se manifester en de pareilles circonstances.

Tamo Coulidiaty, la dame blessée, était veuve trois mois avant son accident. Son mari est décédé au cours d’une attaque terroriste dans leur village. Il était le principal pourvoyeur de la famille. Ainsi, elle se retrouve sans moyens financiers, donc difficile de trouver une solution pour son état de santé.

Reconnaissance envers le bienfaiteur

Ce mardi 23 juillet 2024, c’est une femme pleine de gratitude que nous avons rencontrée au secteur 9 de Fada N’Gourma. « Ce que le pasteur a fait, c’est énorme ! Je ne peux pas évaluer », témoigne Tamo Coulidiaty, qui prononce difficilement ses mots sous le coup de l’émotion. Pour elle, financièrement et socialement, le pasteur a été d’un grand appui. « Il a été à tous les rendez-vous à l’hôpital », nous confie-t-elle, accompagnée de sa belle-sœur Tompoa.

Tamo Coulidiaty (à gauche) et Tompoa vivent ensemble dans cette maison depuis leur arrivée à Fada N’Gourma.

Actuellement, Tamo Coulidiaty et Tompoa vivent sous la charge d’Albert Yonli, qui bénéficie par moments du soutien de certaines bonnes volontés afin de gérer cette situation.

Devoir se sentir à l’aise

Dans la « cité de Yendabri », ce genre de solidarité envers les déplacés internes est légion. Au secteur 1, il y a Athanasse Ilboudo, communicateur à la retraite, qui accueille deux filles dans une situation similaire.

Au cours d’une réunion de la communauté catholique dont il est membre, le sujet d’une prise en charge de deux filles a surgi. Évelyne Lompo et sa petite sœur sont en détresse. Elles doivent libérer la maison que la communauté louait pour elles. Athanasse Ilboudo et son épouse, sans hésiter, ont décidé de les héberger. « Depuis le mois de février 2024, nous les avons accueillies et elles sont là. Nous essayons de partager la vie ensemble », raconte Athanasse Ilboudo.

« Nous partageons tout ensemble », indique Athanasse Ilboudo

Le couple Ilboudo va devoir apprendre à connaître ses nouveaux enfants. « Nous ne connaissons pas leurs parents et elles-mêmes nous disent qu’elles n’ont plus des nouvelles de leurs parents depuis trois ans », confie Athanasse Ilboudo, qui vit à Fada N’Gourma depuis 1984.

C’est désormais une vie avec de nouvelles habitudes. « Depuis qu’elles sont arrivées, nous les avons intégrées. Nous leur avons trouvé une maison. Les petits travaux à la cuisine, ce sont elles qui aident madame. Notre devoir est qu’elles se sentent à l’aise », explique le père de famille.

Cet objectif est visiblement atteint, à écouter Evelyne Lompo. « Je me sens bien dans cette famille », confie-t-elle. Elle faisait la classe de la 2de en ce moment. En cette année 2024, elle était en classe de Terminale D.

Evelyne Lompo a quitté Kantchari le 4 août 2022 avec sa petite sœur.

Touchée par l’hospitalité de ses nouveaux parents, elle souhaite que d’autres personnes comme le couple Ilboudo prennent l’engagement de soutenir les gens qui se trouvent dans la même situation qu’elle et sa sœur.

« On travaille ensemble… »

En plus des personnes qui accueillent et hébergent les déplacés internes, il existe des associations qui facilitent leur insertion. C’est le cas de l’Association pour le développement des communautés villageoises (ADCV) qui, grâce à un projet, permet aux déplacés et aux populations hôtes de cultiver ensemble.

Une activité de maraîchage qui renforce la cohésion sociale entre les autochtones et les déplacés internes. Sanata Sawadogo vient de Tanwalbougou, localité située à une quarantaine de kilomètres de Fada N’Gourma. « Nous sommes ici ça vaut cinq ans. Durant toutes ces années, on s’entend bien, il n’y a pas de problème entre nous », confie la déplacée.

David Diakouna salue la cohésion avec les autochtones

Il y a une année, David Diakouna a quitté Matiakoali, à environ 100 kilomètres de Fada N’Gourma. Il est également bénéficiaire de ce projet. « Avec les populations qui sont ici, je peux dire qu’il n’y a pas de problème parce qu’on travaille ensemble, on mange ensemble », nous confie-t-il, avant de continuer à labourer son espace où il produit du maïs.

Nous sommes arrivés à la fin d’une réunion avec les acteurs dudit jardin. Lamonia Thiombiano, propriétaire terrien, nous fait une confidence : « Il y a un Mossi qui a félicité le président et ses coéquipiers parce qu’au début, ils craignaient beaucoup parce qu’il y avait plusieurs ethnies sur le site. Il est très content parce qu’il n’y a pas de problème lié aux origines. »

« Toutes les PDI sont intégrées »

Dramane Ludovic Thiombiano est le directeur général de l’ADCV. Au-delà des activités de son association, il prend en charge des déplacés à titre personnel. « J’ai accueilli plus de sept familles. Certains sont restés chez moi pendant quelques jours mais après, c’était difficile parce qu’il faut leur donner aussi de l’espace », révèle-t-il avec un ton teinté de fierté.

Au Burkina Faso, il faut noter qu’il y a deux types de déplacés internes. Il y a ceux qui fuient suite à une menace. Des personnes armées viennent sommer la population de quitter le village dans un délai précis. Ceux-ci ont la chance de partir avec quelques biens. D’autres, en revanche, sont obligées de partir suite à une attaque dans leur localité lorsqu’ils ont pu échapper. Et là où ils trouvent un refuge, la chance ne sourit pas à tout le monde. Il y a ceux qui tombent entre les mains de bonnes volontés et d’autres qui sont livrés à eux-mêmes lorsqu’ils n’ont pas recours aux services de l’action sociale ou aux organisations humanitaires.

Cryspin Laoundiki

Lefaso.net

Source: LeFaso.net