Face aux récents bouleversements politiques en Afrique de l’Ouest, la mission de Bassirou Diomaye Faye, désigné par la CEDEAO pour ramener les États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) dans le giron de l’organisation, est cruciale et porteuse d’espoir. Jeune avec un discours panafricain, Faye est bien placé pour cette tâche. Son parti le Pastef avec son leader Ousmane Sonko a naguère expérimenté des revers avec la CEDEAO durant ses conflits avec son prédécesseur le Président Macky Sall, ce qui le rend d’autant plus à même de réussir cette mission délicate.

Avant le coup d’État d’août 2020 au Mali, le pays était plongé dans une crise multidimensionnelle. L’insécurité, surtout dans le nord à (Kidal, Tessalit) et le centre (Mopti, Bankass) était endémique, marquée par des attaques régulières de groupes djihadistes et des conflits intercommunautaires entre Peulhs et Dogons. Plus de 200 000 personnes avaient été déplacées en 2019 en raison de la violence. L’économie déclinait, avec un taux de croissance passant de 5 % en 2017 à 2,7 % en 2019. Le gouvernement faisait face à des critiques pour corruption et mauvaise gouvernance, incapables de répondre aux besoins des citoyens, ce qui provoquait des manifestations massives.

Au Burkina Faso, avant le coup d’État de janvier 2022, la situation sécuritaire et économique se dégradait rapidement. Le pays souffrait d’insécurité galopante due aux attaques djihadistes, particulièrement dans les régions du nord (Ouahigouya, Djibo) et de l’est (Bogandé, Diapaga). En 2020, plus de 1 800 personnes ont été tuées et 1 million de personnes déplacées. Les infrastructures de santé et d’éducation étaient en ruine. Les scandales de corruption et la mauvaise gestion des ressources publiques alimentaient le mécontentement populaire, rendant le régime de Roch Marc Christian Kaboré extrêmement impopulaire.

Au Niger, avant le coup d’État de juillet 2023, le pays luttait contre l’insécurité croissante dans les régions frontalières avec le Mali et le Burkina Faso. Le terrorisme et les conflits intercommunautaires entraînaient des milliers de morts et des déplacements massifs de populations. Environ 2,5 millions de Nigériens souffraient d’insécurité alimentaire aiguë en 2022. La corruption et la mauvaise gouvernance étaient endémiques, sapant la confiance du public dans les institutions étatiques.

La CEDEAO, malgré cette situation catastrophique, a tout de même imposé des sanctions économiques et diplomatiques sévères contre ces régimes militaires.

Après le coup d’État au Mali, la CEDEAO a suspendu le pays de ses institutions, fermé les frontières terrestres et aériennes, et imposé un embargo économique, affectant gravement le commerce et l’approvisionnement en biens essentiels. Le commerce a chuté de 30 %. Au Burkina Faso, les sanctions incluaient le gel des avoirs financiers des membres de la junte et des restrictions sur les déplacements internationaux. Ces mesures ont exacerbé la crise humanitaire, avec une augmentation significative du coût de la vie et une réduction de l’aide humanitaire. La Banque Mondiale a estimé une contraction économique de 1,5 % en 2022. Au Niger, les sanctions ont rapidement conduit à une hausse des prix des produits de base et à des pénuries de carburant, aggravant les souffrances des citoyens ordinaires. Les sanctions ont également limité la capacité du gouvernement de transition à accéder aux fonds internationaux nécessaires pour stabiliser l’économie et assurer la sécurité.

Malgré, ces sanctions, depuis le coup d’État de 2020, le gouvernement de transition au Mali a initié plusieurs réformes, notamment la lutte contre la corruption et la refonte de l’armée. Des efforts considérables ont été déployés pour améliorer la sécurité, particulièrement dans les régions du nord et du centre. Des programmes de développement local ont été mis en place pour reconstruire les infrastructures détruites et relancer l’économie locale. Ces réformes ont permis de rétablir une certaine stabilité et ont gagné la confiance de la population malienne. Après le coup d’État de 2022, les autorités du Burkina Faso ont lancé de leur côté une campagne nationale pour renforcer la sécurité, incluant la mobilisation des “Volontaires pour la Défense de la Patrie” (VDP). Le gouvernement a également entrepris des réformes pour améliorer la gouvernance et réduire la corruption. Des investissements ont été faits dans les secteurs de l’éducation et de la santé pour répondre aux besoins pressants des populations. Suite au coup d’État de 2023, le régime de transition au Niger a mis en place des réformes visant à diversifier l’économie, en particulier dans les secteurs de l’agriculture et des ressources naturelles. La lutte contre la corruption a été intensifiée, et des mesures ont été prises pour améliorer la transparence et l’efficacité des institutions publiques. Ces efforts ont contribué à stabiliser la situation économique et à renforcer la légitimité du gouvernement de transition.

Ces réformes ont renforcé la légitimité des régimes militaires, malgré les critiques externes. Les populations locales, épuisées par des décennies de mauvaise gouvernance et de crises économiques, voient en ces nouveaux dirigeants une lueur d’espoir et une chance de changement. Ils soupçonnent par ailleurs que la CEDEAO est instrumentalisée par la France pour maintenir son influence dans la région. Cette suspicion est alimentée par le financement partiel de la CEDEAO par la France et les relations étroites entre la France et certains membres de la CEDEAO. Depuis 2013, la France a fourni environ 5 milliards de dollars en aide et en soutien à la CEDEAO pour des missions de maintien de la paix et de développement économique qui n’ont eu aucun résultat concret sur le terrain. Cette aide a même souvent été perçue comme un moyen de maintenir une influence sur les politiques locales, ce qui a conduit à des tensions et à des appels à une plus grande indépendance économique et politique.

La CEDEAO critiquée pour sa gestion des crises dans la région a toujours eu une approche punitive inefficace et contre-productive. Les sanctions ont souvent touché plus durement les populations que les régimes militaires qu’elles visaient à punir, renforçant la solidarité nationale et l’opposition aux mesures. La perception que la CEDEAO défend les intérêts des élites politiques au détriment des populations locales a miné sa crédibilité. Les appels à une réforme de l’organisation se multiplient, soulignant la nécessité d’une approche plus inclusive et orientée vers le développement durable et la sécurité humaine.

Pour ramener les États de l’AES dans le giron de la CEDEAO, il serait donc plus constructif de proposer un dialogue et des alliances basées sur le respect mutuel et les intérêts communs. La CEDEAO doit d’abord se réformer pour regagner la confiance des populations ouest-africaines. Des réformes institutionnelles pour plus de transparence et d’inclusivité sont nécessaires, ainsi que des projets de développement économique mutuellement bénéfiques.

L’AES, regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, représente une population combinée d’environ 70,8 millions de personnes et un PIB nominal de plus de 30 milliards de dollars. Malgré les défis sécuritaires, cette alliance a le potentiel de créer un bloc régional résilient. En permettant à ces pays de mener à bien leurs transitions et de stabiliser leurs économies et leurs institutions, la CEDEAO pourrait établir de nouvelles relations basées sur une coopération économique solide et sécuritaire.

Alioune Camara

Spécialiste en Communication

Montréal, Québec

Source: LeFaso.net