Le deuxième forum de la recherche stratégique (27-28 juin 2024) enregistre des communications donnés par des spécialistes sur des thèmes en lien avec l’intitulé de l’édition. “Para-diplomatie et nouvel agenda sécuritaire en Afrique : enjeux, acteurs et pratiques de la coopération transfrontalière” et “La politique étrangère du Burkina face à la crise sécuritaire : entre changement de paradigmes et réorientation de la coopération étrangère” ont été les communications du deuxième panel, assurées respectivement par Dr Aimé Raoul Sumo Tayo, chercheur à l’Institute for Security Studies (ISS) de Prétoria et Dr Firmin Nana du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST).

Déroulant son thème, “Para-diplomatie et nouvel agenda sécuritaire en Afrique : enjeux, acteurs et pratiques de la coopération transfrontalière”, Dr Aimé Raoul Sumo Tayo est allé du constat que “Nous sommes dans un contexte où l’intégration régionale patine. Il est clair que le régionalisme tel qu’on l’a connu ne fonctionne plus normalement. La création de l’Alliance des États du Sahel est aujourd’hui la preuve même de ce que le régionalisme tel qu’il a fonctionné jusqu’à présent ne fonctionne plus”.

Pourtant, exhume le communicant, il y a un mécanisme qui a été pensé par les dirigeants africains, pour favoriser la coopération transfrontalière, à savoir la Convention de Niamey (elle a été adoptée en juin 2014 : ndlr). Un instrument qui n’est cependant pas encore entré en vigueur, du fait de la faible ratification (peu de pays l’ont à ce jour ratifié).

Pour le chercheur à l’ISS de Prétoria, le contexte a changé et aujourd’hui, l’architecture de paix et de sécurité de l’Afrique a montré ses limites. “Donc, l’idée que je défends, c’est que dans un contexte où des logiques d’intégration ou de coopération par le haut ne fonctionnent pas ou ne fonctionnent pas bien, il pourrait être intéressant de regarder des mécanismes alternatifs, et j’en propose un. C’est-à-dire l’action internationale des autorités administratives des communautés frontalières qui, de mon point de vue, peut être un outil intéressant à la fois pour la pacification des relations frontalières, mais surtout pour la sécurisation des espaces frontaliers. Vous avez des peuples qui sont coupés en deux, qui vivent le long des frontières internationales, presque partout en Afrique. Pendant longtemps, ce sont des peuples qui ont été présentés comme étant des stigmates de la colonisation. Or, moi, je pense que ces peuples-là sont une opportunité de coopération que nous devons tenir. Il existe justement des mécanismes, des pratiques informelles, qui gagneraient à être formalisées. C’est par exemple le cas des chefs traditionnels, dont le prestige va très souvent au-delà des frontières nationales, qui pourraient être mobilisés (et qui sont d’ailleurs mobilisés) dans le cadre de la sécurisation de leurs terroirs ; parce qu’il faut dire, avant la sécurité de l’Etat, il y a la sécurité des populations. On a évoqué les initiatives populaires de sécurité ; chez vous, on a les Koglwéogo, chez nous, on a les comités de vigilance, qui sont des initiatives qui, parfois, mènent des actions internationales. C’est tout cela qu’il convient de formaliser”, a analysé Dr Aimé Raoul Sumo Tayo, se félicitant donc de cette initiative du Centre national d’études stratégiques-Burkina Faso (CNES-BF) de créer ce cadre institutionnel de réflexion sur ces sujets d’intérêt réel.

Dr Aimé Raoul Sumo Tayo

“Vous savez, généralement, dans nos États, on ne se dote pas d’appareil de connaissance ; vous avez aujourd’hui un instrument (CNES-BF), un outil d’aide à la décision, qui est logé à la présidence du Faso, et qui a, justement, vocation à mener le travail réflexif qui doit guider à la fois des politiques publiques nationales et internationales. (…). Je suis de ceux qui pensent qu’en matière de paix, de guerre et de sécurité, il faut savoir plus pour pouvoir le moins. Pour dire que le binôme connaissance/puissance est une réalité au Burkina Faso. Que les gens se regroupent ; des militaires, des fonctionnaires, des universitaires,… autour d’un cadre comme celui-là, pour discuter de questions aussi importantes, me semble fondamental ; parce que, très souvent, malheureusement, les politiques publiques chez nous ne sont pas précédées d’un travail réflexif. Nous sommes généralement dans le domaine de la réaction. Or, la réaction n’est pas la voie d’une réponse lucide aux problématiques sécuritaires auxquelles nous sommes confrontés. D’où l’enjeu d’un cadre comme celui-ci”, met en relief Dr Aimé Raoul Sumo Tayo avant d’affirmer que le contexte géopolitique, géostratégique ayant changé, “il va de soi que nous devons aujourd’hui inventer des mécanismes, des démarches, des politiques publiques, qui soient adaptées à la réalité de la situation géopolitique actuelle”.

Dr Aimé Raoul Sumo Tayo (extrême droite) et Dr Firmin Nana (extrême gauche).

Dans son intervention, Dr Firmin Nana, a, lui également, balisé son sujet, en précisant qu’il s’agit, par-là, de comprendre comment la crise sécuritaire a, dans ses manifestations, eu des effets très prépondérants sur la politique étrangère du Burkina Faso. Il va, de ce fait, clarifier les concepts, notamment la notion de politique étrangère (ensemble des activités d’un Etat, hors de son territoire), de coopération internationale et de paradigme (ce dernier compris ici au sens du normatif ; des types de modèles, de fondements qui guident l’action des acteurs sur le terrain).

Dans le vif du développement de son thème, Dr Nana a, dans une première partie, abordé les rationalités et les manifestations liées à cette crise sécuritaire, en analysant le poids des facteurs exogènes qui ont affecté la politique étrangère et la nature du changement de paradigmes.

Par la deuxième partie de sa communication, le panéliste a mis le curseur sur la dynamique de la coopération internationale sous l’effet de la crise sécuritaire. “Comment la crise a, à partir des logiques interprétatives de la situation sécuritaire, affecté les différents paradigmes qui fondent la politique étrangère et comment ces nouveaux paradigmes ont été des facteurs de transformation de la coopération internationale du Burkina Faso”, a-t-il posé.

Dr Firmin Nana s’est appesanti ici sur des éléments-clés, constitutifs des facteurs qui ont affecté la coopération internationale du Burkina, à savoir la mutation des accords de partenariat (relecture, dénonciation et nouveaux accords), l’élargissement et la diversification de l’action diplomatique (le Burkina a besoin, à l’issue de cette crise, d’affirmer sa souveraineté et de s’affirmer sur la scène internationale également).

Dorénavant, comprend-on, c’est le paradigme de la souveraineté qui est mis en avant et cela amène le Burkina à prendre en main son destin par une nouvelle forme de coopération (nourrie par la dynamique d’un développement endogène, un partenariat gagnant-gagnant et dans un respect mutuel).

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net