Ce dimanche 24 mars 2024, avait lieu l’élection présidentielle de tous les dangers du Sénégal. C’est une élection à nulle autre pareille dans ce pays qui croit encore à la démocratie, quand les militaires prennent le pouvoir au Sahel. Ce sera la première fois dans le pays que le président au pouvoir n’est pas candidat. Et cette décision a pris du temps à s’annoncer alors que le président Macky Sall agissait comme un président candidat à sa succession durant son second mandat.

La barque de la démocratie a tangué dans le pays, la violence en politique a pris corps, des prisonniers politiques se sont retrouvés dans les prisons. C’est une élection qui a été reportée sine die à la veille de l’ouverture de la campagne électorale le 25 février 2024, dans un contexte où une partie de l’opposition et la coalition au pouvoir s’en sont pris au Conseil constitutionnel dont deux des membres ont été accusés de corruption ainsi que le Premier ministre, candidat de la majorité présidentielle Benno Bokk Yaakaar. Une loi proposant le report de l’élection au 25 août 2024 a été votée par l’Assemblée nationale et le président Macky Sall proposait un dialogue national visant à remettre dans la course présidentielle son ancien frère ennemi, Karim Wade écarté pour double nationalité et d’autres mécontents victimes du processus des parrainages.

Le peuple sénégalais s’est soulevé contre cette volonté du président de rester au pouvoir après le 2 avril 2024 date de la fin de son mandat. Le Conseil constitutionnel va jouer sa partition en retoquant la loi constitutionnelle et le décret présidentiel reportant les élections. De guerre lasse, Macky Sall va fixer la date de la présidentielle au 24 mars 2024 et faire voter une loi d’amnistie qui a pour effet, entre autres, de libérer les opposants radicaux Ousmane Sonko et son remplaçant à l’élection présidentielle. Au cours de la campagne, l’alliance entre le PDS et Benno Bokk Yaakaar se consumera au profit d’un appel lancé par Abdoulaye Wade à voter pour Diomaye Faye le candidat du Pastef.

Pour l’observateur étranger, les multiples péripéties ayant abouti à l’élection laissent songeur et inquiet quant aux réactions après les votes. La crise postélectorale ne nous pend elle pas au nez avec des protagonistes si manœuvriers ? Le parti des panafricanistes pour l’éthique et la fraternité si prompt à appeler à l’arbitrage de la rue acceptera-t-il une défaite dans les urnes ? Macky Sall qui n’a pas convaincu de la sincérité de sa non candidature n’interviendra-t-il pas s’il y a des contestations violentes après les résultats ?

17 prétendants mais deux principaux candidats

Malgré les inquiétudes et les prières, on ne peut qu’être émerveillé par la trajectoire du pays de la Teranga qui va organiser sa 13e élection présidentielle pour le 5e président du pays alors que le pays des hommes intègres compte 10 coups d’État réussis. Si on veut comparer les élites et les jeunes des deux pays, on constate qu’au Sénégal, la jeunesse « consciente » ne compte pas sur les militaires pour opérer les changements et accéder au pouvoir, mais sur le jeu politique et sa capacité à créer des organisations politiques qui mobilisent et déplacent les jeunes pour les votes.

Le succès de Ousmane Sonko et de son parti montre que ce n’est pas seulement l’argent et le contrôle de l’appareil d’État qui font gagner les élections. Le charisme et l’intégrité sont les valeurs qui manquent le plus aux politiciens du Faso, et surtout leur désir effréné de réussir vite par tous les moyens qui les conduisent à des voies sans issue de forces de soutien à des régimes putschistes.

Les Sénégalais auront à choisir entre 17 candidats car deux des 19 retenus ont désisté pour Diomaye Faye. Les 7 371 000 électeurs inscrits dans le fichier électoral, répartis dans 15 633 bureaux de vote au Sénégal et 807 à l’étranger vont voter pour deux candidats principaux que sont Diomaye Faye du Pastef et Amadou Ba de la coalition présidentielle. Tous les deux ont été désignés par des hommes qui ne peuvent pas faire acte de candidature mais dont la rivalité a marqué les dernières années du pays. Ousmane Sonko et Macky Sall s’affrontent encore même s’ils ne sont pas sur le ring.

En matière de programme entre les deux candidats, il n’y a pas de point de convergence concernant le franc CFA que le Pastef jette à la poubelle pour une monnaie régionale de la CEDEAO ou, à défaut, une souveraine. Pour les contrats sur le pétrole et le gaz, tout est à renégocier si le Pastef arrive au pouvoir. Parmi les 17 candidats en lice, il y a une jeune dame, Anta Babacar Ngom, qui est l’une des plus jeunes candidats, une réussite du monde des affaires et des entreprises qui propose de créer des millions d’emplois.

Un président c’est la rencontre entre un homme et son peuple

Selon le ministre de l’intérieur sénégalais c’est un budget de 14 milliards de FCFA qui est alloué à l’organisation de l’élection. La brièveté de la campagne du premier tour va rendre difficile la rencontre entre un homme et son peuple qu’est l’élection présidentielle. S’il y a un deuxième tour, comme la plupart des observateurs l’annoncent, entre Amadou Ba et Diomaye Faye, le débat sera clivant entre ces deux hommes issus du même monde, celui des énarques sénégalais des impôts mais qui n’ont pas les mêmes idées.

Les questions de personnalité, de manière d’être vont compter aussi, autant que les regroupements politiques autour d’une candidature où le Pastef a pris une longueur d’avance avec le PDS qui le soutient ainsi que deux candidats retenus. Après le premier tour, c’est une nouvelle élection et de nouvelles alliances vont encore se tisser.

Tout le monde espère que cette élection vient clore le cycle de violences qu’a été le second mandat de Macky Sall qui s’en va par la petite porte obligé de défaire la toile qu’il a tissé pour ses opposants et de créer l’impunité par la loi pour les crimes commis durant cette période où sa responsabilité est entière.

Le PDS a réussi à le ridiculiser par la coalition que sa majorité a faite avec lui pour attaquer en vain le Conseil constitutionnel. La démocratie est le moins mauvais des régimes parce qu’elle ne confisque pas les droits d’opinion et d’expression des populations. Et à chaque élection, le peuple, par son vote, choisit et sanctionne ceux qu’il veut. Que Dieu garde et préserve la démocratie sénégalaise.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net