Initiée après les indépendances africaines dans les années 1960, la coopération entre le Japon et le Burkina Faso s’inscrit essentiellement, de nos jours, dans le processus de la Conférence de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD) lancé en 1993.
En effet, dans un environnement marqué par une baisse significative de l’aide au développement et surtout de ce que le monde avait qualifié d’afro-pessimisme, le Japon a pris l’initiative de montrer que l’Afrique méritait d’être soutenue.
Cette initiative s’est matérialisée par l’organisation en 1993, d’une grande rencontre dite Conférence de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD). L’objectif principal de la conférence était de créer une dynamique internationale en faveur du développement du continent africain. L’ambition du Gouvernement du Japon était d’y parvenir par la promotion d’un dialogue politique de haut niveau entre les dirigeants africains et leurs partenaires dans le domaine du développement.
Aussi, a-t-il associé le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), la Banque mondiale et le Secrétariat général des Nations Unies à travers le Bureau du Conseiller Spécial pour l’Afrique, pour l’organisation et la mise en œuvre des conclusions de la première édition de la TICAD.
Il convient de noter que dans l’approche japonaise, il s’agissait d’une seule et unique conférence. Cependant, la Conférence connaitra un tel succès avec une mobilisation exemplaire des pays africains au plus haut niveau qu’elle recommanda au Japon, dans ses conclusions, d’en faire un processus de dialogue et surtout un cadre par lequel l’Afrique continuerait d’engager les partenaires au développement pour une mobilisation des ressources en faveur du développement du continent.
Après trente ans d’existence et huit éditions, quel bilan peut-on tirer du processus de la TICAD ? A l’évidence, il y a aussi bien des avantages que des inconvénients.
I. Les avantages
L’objectif initial, comme indiqué plus haut, était de vaincre l’afro-pessimisme qui prévalait chez l’ensemble des partenaires au développement. En cela, les résultats sont probants. La Banque mondiale et les Nations ont accepté de s’impliquer comme co-organisateurs de la Conférence. Celle-ci a repris à son compte les aspects essentiels du ‘’Nouvel Agenda des Nations Unies pour le Développement de l’Afrique dans les années 1990 (UN-NADAF) » adopté en 1991 par la 46e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies.
La TICAD a mis l’accent, dès le départ sur les concepts de ‘’partenariat » et d’ »appropriation ». Elle a orienté ses efforts vers les priorités identifiées par les africains eux-mêmes. Elle a effectivement entrainé dans son sillage, des pays comme l’Inde, la Turquie, la République Populaire de Chine, le Vietnam, la République de Corée, les Etats Unis d’Amérique, la Fédération de Russie entre autres. Ceux-ci ont lancé des initiatives similaires pour promouvoir leur coopération avec l’Afrique. Ces processus ont permis la mobilisation conséquente de ressources en faveur des projets de développement en Afrique.
II. Les inconvénients
Depuis 2013, l’Union Africaine a pris la résolution de se porter sur la ligne de front dans l’organisation des partenariats stratégiques et a mis en place un programme, notamment l’agenda 2063 pour servir de moteur des investissements en Afrique. Malheureusement, cette approche a un impact négatif sur la coopération bilatérale. En effet, la TICAD est de par son esprit, devenue le seul cadre de décision du Gouvernement japonais pour son aide au développement. L’enveloppe allouée à l’Afrique est dès lors unique et la priorité est réservée aux projets intégrateurs ainsi qu’aux investissements.
De ce fait, les cadres de concertations tel celui qui existe entre notre pays et le Japon n’a plus qu’un caractère purement politique. Les quelques sessions de concertations qui ont pu se tenir jusque-là se sont contentées de passer en revue la mise en œuvre des projets et programmes en cours. Les soumissions de projets se font en dehors de ce cadre et les décisions y relatives sont exclusivement de l’apanage du gouvernement japonais.
Les procédures en vigueur pour le financement des projets retenus pour notre pays sont très sélectives, non inclusives et ne permettent pas une prévisibilité par notre gouvernement dans son plan de développement. Matériellement, il y a une réelle absence de dialogue technique. Notre gouvernement a pensé pouvoir y remédier à travers l’institution d’un cadre de consultations Japon-Burkina Faso mais le problème n’a pas été pour autant résolu.
Pour ce qui concerne le Gouvernement burkinabè, il n’accorde pas beaucoup de crédit à ses propres ambassadeurs. Les efforts de ces derniers ne trouvent pas de relais au plan interne. L’administration est très lourde alors que nous sommes dans un monde de compétition dominée par une rapidité jamais égalée en matière de circulation de l’information.
III. Conclusion
Je me fais le devoir de rappeler ici que j’ai eu une longue et importante implication dans la gestion de la coopération entre notre pays et le Japon. Concrètement, j’ai occupé le poste de directeur de la coopération bilatérale entre 1997 et 2000, celui de directeur général de la coopération bilatérale entre 2008 et 2011 et celui d’Ambassadeur auprès du Japon de 2011 à 2017. En sus, pendant mon séjour au Japon, j’ai joué le rôle de président de la commission TICAD du Groupe des Ambassadeurs africains à Tokyo. Cette dernière expérience m’a démontré que les japonais et les africains devraient davantage travailler pour donner un vrai sens au partenariat prôné dans les fora tel la TICAD. A titre d’exemple, les problèmes suivants ont pu être relevés par les ambassadeurs africains à Tokyo :
Les africains ne s’impliquaient pas réellement dans la préparation de la TICAD. Le gouvernement japonais se faisait donc le devoir de proposer ses options ;
L’enveloppe allouée par le Japon est globale. La répartition peut donc amener des grincements de dents pour certains pays alors que pour le gouvernement japonais, seul compte le déploiement effectif des ressources prévues vers l’Afrique.
Il n’y a plus de dialogue bilatéral du style des commissions mixtes ;
Le partenariat d’affaire prôné par la TICAD se fait sur une base unilatérale dans la mesure où les porteurs de projets africains ne peuvent y avoir accès que si le projet intéresse un partenaire japonais ;
Dans beaucoup de cas, les investisseurs japonais confondent investissement productifs et réalisation de projets en Afrique, sur financement japonais ou international ;
Etc..
En ma qualité de président du Comité TICAD du Groupe des Ambassadeurs accrédités auprès du Japon, j’ai développé beaucoup d’efforts en faveur d’un changement de paradigme. Nous avons ainsi abouti à la tenue des Sommets de la TICAD alternée au Japon et en Afrique. Cette alternance a été matérialisée par l’organisation de la TICAD VI au Kenya. Nous avons également contribué à la réduction de son cycle à trois ans au lieu de cinq à partir de la TICAD V et l’intégration du Secrétariat de l’Union Africaine dans le processus en qualité d’organisateur en 2013 lors de la TICAD V.
Nous avons élaboré un document de base qui a inspiré le Gouvernement japonais tout au long de la préparation de la TICAD V. A cette occasion, le Japon a fait la preuve qu’il est très ouvert aux propositions africaines, justifiant ainsi sa soif pour un dialogue soutenu avec le continent.
Il est important de noter que les attentes du Groupe des Ambassadeurs africains à l’égard du gouvernement japonais pour une amélioration du processus de la TICAD concernaient aussi la mise en place de banques de projets régionales d’investissement à travers les structures régionales, en vue de faciliter une bonne information des milieux d’affaires japonais sur les chantiers potentiels en Afrique ; l’ouverture des ressources financières aux porteurs de projets africains de manière à leur permettre d’acheter la technologie japonaise nécessaire à la réalisation ; un appui technique dans l’élaboration des projets pour les mettre en phase avec les procédures et la technologie japonaises ; la nomination auprès des structures régionales, de conseillers japonais en matière d’investissement, etc…
Nous avions rappelé surtout au Gouvernement japonais qu’une telle ouverture était indispensable si nous voulons réellement réaliser cette passerelle en matière d’investissement et justifier la mise en place des différents fonds d’investissement dont le but est de soutenir nos politiques telles que envisagées par la TICAD. En somme, notre souci majeur était d’éviter que la TICAD ne devienne un cadre ‘’ad vitam aeternam » parce que si la TICAD doit s’apprécier seulement au nombre d’éditions tenues, elle aura échoué dans sa mission essentielle qui est le développement de l’Afrique.
Fort de ce qui précède, j’ai tiqué en lisant dans Netafrique.net du 28 mars 2023 que Monsieur Mase Hiroyuki le directeur Afrique du Ministère japonais des affaires étrangères, après une audience que lui a accordée Son Excellence Monsieur le Premier ministre du Burkina Faso au cours de la visite qui l’a conduit dans notre pays, aurait ‘’soutenu que les engagements vont être précisés au cours des discussions à venir », en parlant de la coopération entre nos deux pays.
Malheureusement, il n’a pas donné outre détail quant au cadre dans lequel ces précisions seront menées. Il reste à souhaiter que le Gouvernement du Japon repense son approche bilatérale, seule condition pour une véritable prise en compte des priorités spécifiques du Burkina Faso, notamment sa condition d’enclavement et cette nouvelle menace qu’est le terrorisme. Il revient tout autant à notre pays de s’investir pour matérialiser éventuellement cet état d’esprit de manière à faire des consultations bilatérales entre les deux pays, un cadre réel de décision.
François Oubida=
Ancien Ambassadeur
oubida@msn.com
crédit photo https://classe-export.com/
Source: LeFaso.net
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