L’hostilité et la violence sont le lot des journalistes aux quatre coins du monde. Les pouvoirs et leurs nervis s’adonnent au meurtre de journalistes comme si c’était un concours de celui qui ferait le plus dans l’horreur. Chez nous au Burkina, des hommes du RSP (Régiment de sécurité présidentielle), la garde prétorienne du dictateur Blaise Compaoré, le 13 décembre 1998 ont tué et brûlé Norbert Zongo et ses compagnons non loin de Sapouy.

Comme pour répondre à leurs compères assassins du Burkina, des tueurs de journalistes en Inde ont aspergé le journaliste Rakesh Singh « Nirbhik » de gel hydro-alcoolique, hautement inflammable et l’ont brûlé vif en 2020. En 2022, selon les statistiques de l’Unesco, tous les quatre jours, un journaliste a été tué dans le monde.

Sur les dix dernières années, la moyenne de journalistes tués dans le monde est de 90 par an. Et l’année 2023 ne semble pas prendre un chemin paisible et radieux pour les guerriers de la redevabilité des politiciens, les combattants pour le bien commun, la vérité et la liberté, tant honnis par les dictateurs. Au Cameroun, le 17 janvier 2023, le journaliste d’investigation et animateur radio, Martinez Zogo, a été enlevé, torturé et assassiné par des responsables du service des renseignements pour le compte d’un homme d’affaires propriétaires de médias. Pourquoi Martinez Zogo a-t-il été tué ? La justice sera-t-elle au rendez-vous dans cette affaire ?

Ce meurtre est un crime d’Etat du régime du patriarche Paul Biya qui a fêté le lundi 13 février 2023 ses 90 ans, dont 41 ans au pouvoir. Le journaliste dénonçait la corruption au sommet de l’Etat dans ses chroniques. C’est pour son métier de journaliste d’investigation qu’il a été tué. Il reprochait ces derniers temps certaines façons de faire les affaires au Cameroun avec des réseaux d’influence liant des hommes d’affaires et de pouvoir. Ses chroniques ont visé les accointances entre le ministre des finances, Louis-Paul Motaze, et celui de la justice Laurent Esso avec l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou-Belinga. Selon les enquêtes et les interrogatoires des personnes arrêtées, c’est ce patron des médias qui serait le principal commanditaire du crime. Il a été arrêté ainsi que le patron du contre-espionnage camerounais.

Lutte de succession

Enlevé le 17 janvier 2023 par des hommes cagoulés, c’est cinq jours plus tard que le corps sauvagement mutilé du journaliste de 51 ans sera découvert à une quinzaine de kilomètres de la capitale, Yaoundé. Ce crime a provoqué la colère et l’indignation dans la population. Mais dans la lutte pour la succession, la guerre des clans s’est emparée de l’affaire, et du côté de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général du palais, a annoncé par un communiqué les premiers résultats de l’enquête. Ferdinand Ngoh Ngoh est aussi un homme puissant du régime et un rival des deux ministres qu’on dit proches de Jean Pierre Amougou-Belinga. Dans un tel contexte, on peut craindre pour la suite de l’affaire appelée devant le tribunal militaire, qui l’a renvoyé pour complément d’informations. Au Cameroun, la justice n’est pas indépendante du pouvoir et elle gagnerait à prouver qu’elle l’est dans une affaire qui concerne les clans au pouvoir.

Justice pour Martinez Zogo

Paul Biya est au pouvoir mais c’est un système de clans mafieux qui dirige le pays alors que le vénérable vieillard serait le plus souvent au bord d’un lac en Suisse. Avec son âge avancé et cette longévité au pouvoir, Paul Biya ne parle pas de retraite, mais les clans autour de lui se préparent à sa succession. Les services des renseignements sont chargés de collecter et de traiter les informations de sécurité publique. Le Cameroun est en proie aux attaques de Boko Haram, on est surpris que ce sont les chroniques de Martinez Zogo qui soient le souci majeur des services de renseignements et que ceux-ci l’enlèvent le torturent et le tuent.

L’objectif de ce crime c’est d’intimider la presse camerounaise, et que les voix critiques en son sein se taisent, pour que le public n’ait pas accès à l’information sur les méfaits des clans maffieux. Paul Biya est au pouvoir depuis 1982, mais le Cameroun est classé 118e avec une note de 49,1 par Reporters sans frontière (RSF). C’est un pays où la liberté de la presse est en situation difficile en plus des conflits auxquels il est confronté comme les revendications séparatistes de la zone anglophone et les incursions du groupe terroriste Boko Haram.

Le journaliste Arsène Salomon Mbani Zogo plus connu sous celui de Martinez Zogo, est une voix populaire à Yaoundé. Ceux qui l’ont tué ne savent pas que l’assassinat de journaliste ne profite jamais à un régime. Ils peuvent faire le voyage à Abidjan pour confesser Blaise Compaoré sur le meurtre de Norbert Zongo. L’Afrique doit abandonner ces vieilles pratiques et accepter le métier de journaliste comme celui de médecin parce qu’il est aussi utile à la santé de la société. Justice pour Martinez Zogo !

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net