L’Unité d’action syndicale (UAS) commémore, ce samedi 7 janvier 2023, le 56e anniversaire du soulèvement populaire (3 janvier 1966). Pour marquer l’événement, l’organisation a choisi de plancher sur le regain des coups d’État en Afrique de l’ouest à travers un panel qui mobilise un grand monde à la Bourse du travail de Ouagadougou.

« La résurgence des coups d’État en Afrique de l’ouest : enjeux et perspectives pour les peuples ». C’est sous ce thème que se tient cette activité de réflexion articulée autour de deux communications suivies d’échanges avec les participants. Et pour cela, les professeurs Mahamadé Savadogo, philosophe et enseignant-chercheur à l’Université Pr Joseph Ki-Zerbo et Léon Sampana, juriste et enseignant-chercheur à l’Université Nazi Boni, ont été désignés pour introduire les échanges par leur communication sur le thème.

Ainsi, Pr Sampana a d’abord noté que le Burkina Faso a renoué avec les coups : deux en 2014 (le coup d’État de Honoré Nabéré et celui de Yacouba Isaac Zida), en septembre 2015, puis ceux de janvier et septembre 2022. Après avoir apporté des clarifications sur des notions et termes en lien avec le sujet, l’enseignant a bâti son développement autour de trois grandes parties : les facteurs des coups d’État, les conséquences et les perspectives pour les peuples.


Il a dressé un tableau sombre des coups d’État, relevant cependant qu’ils peuvent être des moments de réformes profondes (quand bien cela est très rare). Il en veut pour illustration que l’ASCE-LC (l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de lutte contre la corruption) a pu redorer son blason sous la transition de 2014-2015.

C’est pourquoi estime-t-il d’ailleurs, malgré tout, qu’il n’y a pas de coup d’État salvateur. Mieux, précise Pr Léon Sampana, « il n’y a pas d’homme de la situation, il n’y a que des peuples qui prennent en main leur destin’.

Pour lui donc, si les peuples ne peuvent empêcher l’irruption des coups d’État, ils se doivent cependant de développer des initiatives de veille pour encadrer les pouvoirs militaires et faire en sorte que ceux-ci respectent les droits fondamentaux. C’est dans cet esprit également, et fort de son analyse qu’il n’y a pas de « démocratie vivante » sans une société civile forte, que le juriste exhorte les organisations de la société civile à être des cadres d’éducation civique et politique des populations, en se départissant de tout relent opportuniste.

Pr Léon Sampana (ici au milieu) et…

Pr Mahamadé Savadogo partage le même sentiment mitigé des coups d’État, qui se présentent, qualifie-t-il, comme le complot d’une minorité de personnes pour conquérir le pouvoir. Déroulant sa communication, qu’il a ficelée autour du « fondement de l’enchaînement des coups d’État », du « contexte particulier qui a favorisé les coups d’État » et des « limites des coups d’État », le philosophe relève qu’entre 2020 et 2022, il y a eu une série exceptionnelle de coups d’État dans l’histoire de trois pays qui partagent des éléments communs (dont la langue officielle qui est le français, deux langues africaines qui y circulent et plusieurs autres à l’intérieur de chaque pays…). Il s’agit, et par ordre chronologique, du Mali, de la Guinée-Conakry et du Burkina. Ces pays ont enregistré, dans la période 2020-2022, cinq coups d’État (au Mali en août 2020 et en mai 2021, en Guinée-Conakry en septembre 2021 et au Burkina en janvier et septembre 2022).

Sur cette sombre carte de coups d’État, Pr Savadogo note, lui, que le Burkina tient la tête du peloton des trois pays sus-cités avec neuf coups d’État (1966, 1974, 1980, 1982, 1983, 1987, 2015, janvier et septembre 2022 ; le Mali en 1968, 1991, 2012, 2020 et 2021 et la Guinée-Conakry en 1984, 2008 et 2021).

…Pr Mahamadé Savadogo (3ème à partir de la gauche) ont épluché le thème ; suscitant également de nombreux débats.

Il observe également qu’au Mali et au Burkina, le facteur particulier, c’est la question terroriste ; la lutte contre le terrorisme a contribué à susciter des conflits au sein de la classe dirigeante, notamment au sein de l’Armée, favorisant les envies de conquête du pouvoir. Il relève aussi que dans ces trois pays, les forces spéciales ont joué un rôle spécial dans les coups d’État (alors qu’elles ont été mises en place pour faire face et parer au défi terroriste), qui ont donné lieu par la suite à des mises en scène de la légalité (par la prestation de serment et la mise en place d’un organe législatif dont les membres sont cooptés).

L’enseignant-chercheur souligne en outre que les coups d’État entraînent, lorsqu’ils sont successifs comme c’est le cas au Burkina, la formation des clans et l’exacerbation des divisions. Ce qui contribue à fragiliser l’Armée, pourtant appelée à préserver l’intégrité du territoire et à assurer la protection des personnes et des biens.

De l’avis de Pr Mahamadé Savadogo, le coup d’État n’est donc pas le meilleur moyen de conquérir le pouvoir, car insusceptible d’organiser une transformation en profondeur de la société.

« Il faut donc éviter d’accompagner les coups d’État ; parce que si vous les accompagnez, vous vous exposez à des déceptions et vous passerez d’un soutien à un autre », recommande le philosophe.


Cette halte 2023 du soulèvement populaire a été marquée, à l’entame, par un hommage de l’UAS à feu Dr Luc Marius Ibriga, ancien contrôleur général de l’ASCE-LC et enseignant de droit à la retraite. Selon les organisateurs, c’était d’ailleurs lui, le regretté, qui devait co-animer le panel avec Pr Mahamadé Savadogo, le 3 janvier 2023 (ce jour a plutôt consacré son transfèrement à sa dernière demeure). Il a proposé plutôt Pr Léon Sampana, car il devrait être hors du pays pour un contrôle (médical), confie Guy Olivier Ouédraogo, responsable syndical, qui a lu la déclaration d’hommage avant d’assurer également la modération du panel.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net