Des coups d’Etat, le Burkina Faso en a connu, mais celui du 16 septembre 2015 a beaucoup plus marqué les esprits. Un putsch contre un régime de transition qui était à trois mois de la fin de sa mission. Des condamnations tous azimuts sont tombées. Après deux ans de procédure judiciaire, le procès du putsch du Conseil national pour la démocratie (CND) s’est ouvert le 27 février 2018 dans la salle des banquets de Ouaga 2000. Le verdict est attendu pour le lundi 2 septembre 2019. Retour sur les grandes étapes de ce procès historique.

Dès le premier jour d’audience, les signaux d’un marathon judiciaire ont été lancés. Me Mathieu Somé, avocat de la défense, a contesté le décret qui a nommé le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, ainsi que la juridiction elle-même. Les observations de Me Somé ont porté sur la Chambre de jugement contenue dans l’ancienne loi, alors que les accusés ont été cités à comparaître devant cette chambre de jugement anciennement contenue dans l’ancienne loi.

Les juges militaires accesseurs qui constituent ce tribunal ont été jugés incompatibles, car ils doivent être les supérieurs du principal accusé, le général de brigade Gilbert Diendéré. L’autre contrainte, c’est que cette hiérarchie militaire a été citée comme témoin de la défense de Gilbert Diendéré. Donc ils ne pouvaient pas être juges et partie dans ce dossier. Ainsi, ces juges militaires accesseurs ont été récusés, sauf le général de division Tenga Robert Djiguemdé.

Après deux suspensions au cours de cette journée, le bâtonnier Me Mamadou Savadogo et ses confrères de la défense ont vidé la salle. Le président était alors contraint de suspendre l’audience sans préciser la date de la reprise.

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Les auditions

Débuté dans la soirée du 29 juin 2018, tour à tour, les accusés sont passés à la barre pour détailler ce qu’ils ont entendu, vu et fait durant le 16 septembre 2015 et jours suivants. C’est le sergent-chef Laoko Mohamed Zerbo qui a ouvert le bal.

Cinq mois après, c’est celui qui est présenté comme le cerveau du putsch qui est passé à la barre. Le général Gilbert Diendéré a enfin parlé le 26 novembre 2018. Il a débuté son déballage, épisode après épisode, à la barre du tribunal militaire. Cinq infractions sont retenues contre lui : attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre de treize personnes, coups et blessures volontaires sur 42 autres, incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline militaire et trahison. Le général Gilbert Diendéré n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés.


« Je n’ai ni planifié, ni organisé, ni exécuté ce que d’aucun ont appelé coup d’Etat. J’ai assumé une situation donnée sur conseil des sages médiateurs après leur aveu d’échec et sur l’accord de la hiérarchie militaire, suite à son incapacité à trouver une solution à la crise ». Cette déclaration de l’accusé a sans doute déjoué des pronostics, contrairement à celle qu’il a tenue le 23 septembre 2015 lorsqu’il remettait le pouvoir à la Transition. En effet, à l’issue de la cérémonie de réinstallation du président Michel Kafando, le général de brigade Gilbert Diendéré a déclaré : « Le plus grand tort a été d’avoir fait ce putsch ».

Toutefois, à son troisième jour d’audition, Gilbert Diendéré a laissé entendre qu’il est prêt à assumer ce qu’il a fait.

L’autre tête d’affiche et très attendu également sur ce dossier, c’est le général de la gendarmerie Djibrill Bassolé. 84e et dernier sur la liste des accusés du coup d’Etat de septembre 2015, il a donné sa version des faits, le vendredi 21 décembre 2018.

Accusé de trahison, de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtres et de coups et blessures volontaires, le général Djibrill Bassolé a plaidé non-coupable devant le tribunal militaire, et a promis de ne pas être long, car à l’époque, son emploi de temps n’était pas en lien avec les faits qui lui sont reprochés. Tout au long de passage à la barre, il a « réaffirmé son innocence ».

Les témoignages

Après l’audition des accusés, place fut faite aux témoins pour la recherche de la vérité. Parmi les témoins, l’archevêque de Bobo-Dioulasso, monseigneur Paul Ouédraogo, était l’un des plus attendus à ce procès. Dans une foire de débats où pratiquement tout est contredit par les principaux accusés, la déposition de Mgr Paul Ouédraogo était très importante.

Selon le prélat, après l’échec de la négociation, le général Gilbert Diendéré a demandé à la hiérarchie militaire d’assumer. « Le vin est tiré, il faut le boire », aurait-il affirmé avant d’ajouter que si l’armée laisse la situation entre « les mains des jeunes, ce qu’elle craint là va arriver ». Au regard de cette situation, l’homme de Dieu dit avoir eu l’impression que le général a juste convoqué la réunion de la CRAD pour faire entériner le putsch. « Il apparaissait comme initiateur, maître et au contrôle des opérations », a relaté l’archevêque.


A la barre, répondant aux questions de Me Prosper Farama (avocat de la partie civile) notamment sur le supposé soutien de la hiérarchie militaire au putsch, Pingrénoma Zagré, le Chef d’état-major général des armées (CEMGA) au moment des faits, persiste et signe : « Je n’ai jamais cédé ma place au général Diendéré. J’ai présidé la réunion du 17 septembre. Aussi, en tant que chef d’état-major général des armées, je n’ai jamais donné l’ordre à une personne des forces armées nationales de soutenir le coup d’Etat ou d’autoriser une mission héliportée à la frontière. Et si le général Gilbert Diendéré et ses avocats ont un quelconque ordre de mission que j’ai signé, qu’ils veuillent bien le présenter ».


Le CEMGA a noté que même s’il y avait des problèmes au sein du RSP, « aucun problème ne pouvait justifier de la part d’un militaire la rébellion et la mise en cause de l’autorité de l’Etat ». Le patron de l’armée d’alors a tenu à trancher l’histoire selon laquelle la hiérarchie aurait soutenu le putsch : « Le 16 septembre, ce que nous avons fait était plus que de la condamnation. Nous étions dans l’engagement opérationnel. On reconnaît l’arbre à ses fruits et l’homme à ses œuvres. Que le général Diendéré assume ».


En tant que membre du collège de sages ayant pris part aux négociations pour la libération des autorités de la Transition, l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo a été entendu au cours de ce procès, le 11 mars dernier. Contre toute attente, il a révélé l’existence d’un document complémentaire à la charte de la Transition qui lui a été lu par le colonel Auguste Denise Barry.

Ce document n’a pas été annexé à la charte, qui n’avait pourtant pas prévu la présence de militaires dans le gouvernement. « J’ai partagé ce document avec un autre membre du Cadre de concertation des sages et deux autres personnalités de la Transition. Et nous avons décidé de taire cela pour ne pas mettre de l’huile sur le feu de la Transition », a-t-il confessé.


Des victimes parlent

Le mardi 9 avril 2019, le procès a connu un virage capital pour la manifestation la vérité avec le passage des victimes. Sur les 306 victimes recensées, le tribunal a décidé, au terme d’une conférence qu’il a eue avec les différentes parties au procès, de ne retenir que 60 parties civiles et victimes. L’un des témoignages qui ont marqué l’assistance, c’est celui de Paul Ouédraogo, maçon de profession.

Atteint par une balle au pied tirée par des militaires cagoulés du RSP, la victime, avant de rejoindre sa place, est revenue sur l’appel à la réconciliation lancé par l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo, lors de son témoignage. « Ce n’était pas le lieu ici de parler de réconciliation. S’ils [Collège de sages dont fait partie Jean-Baptiste Ouédraogo] avaient fait leur travail, s’ils avaient été francs avec le président du Faso (Blaise Compaoré), on aurait pu éviter l’insurrection populaire, donc le putsch. Il n’y a pas de guerre pour parler de réconciliation au Burkina Faso », a-t-il lancé.


Une expertise controversée

Younoussa Sanfo, ingénieur informaticien, expert en cyber-sécurité et en investigations numériques, était à la barre pour répondre aux questions du tribunal. Montré du doigt jusqu’alors par certains accusés pour avoir été celui qui a inventé, fabriqué de toutes pièces des éléments pour les incriminer, l’expert s’est voulu clair : « C’est impossible de tripoter des données et, à la fin, avoir des preuves fiables ». Il ajoute que tout ce qu’il a fait peut être vérifié, et même soumis à une contre-expertise. Le lieutenant Jacques Limon fait partie de ceux qui n’accordent aucun crédit au travail du chef d’Intrapol. Pour lui, tout est pur montage. Et s’il est inculpé, c’est simplement parce qu’il a refusé d’avaliser le marché de l’expertise à hauteur de plus de 146 millions de F CFA, alors qu’il était en service au ministère de la Défense.


Les écoutes téléphoniques

Le 20 mars, le procès du coup d’Etat de septembre 2015 est véritablement entré dans une nouvelle phase avec la présentation des pièces à conviction dont l’écoute des appels téléphoniques. Ainsi, les interactions entre Djibril Bassolé et certains de ses interlocuteurs comme Guillaume Soro ont été diffusées dans la salle d’audience. Ce, en l’absence de l’avocat de l’accusé qui, après avoir plaidé en vain pour que ces écoutes soient écartées du dossier, a préféré quitter la salle.

Dans une des conversations, l’on entend Djibril Bassolé promettre de mettre le feu sur la tête de certaines personnes pour leur donner l’envie de fuir le pays.

Contrairement à ce qu’il a déclaré à la barre lors de sa comparution, Djibrill Bassolé a conversé au téléphone avec le général Gilbert Diendéré. Au cours d’une de leurs conversations, Djibrill Bassolé a recommandé à Gilbert Diendéré de conclure un bon accord de DDR (Désarmement-Démobilisation-Réinsertion). « Tiens bon, mon cher ! Tu n’as plus rien à perdre. On est ensemble. Il suffit de motiver les jeunes », a dit Bassolé à Diendéré.

De ces écoutes téléphoniques, on retient que le général Gilbert Diendré a beaucoup conversé avec l’accusée Fatoumata Thérèse Diawara et plusieurs autres personnes à l’extérieur du Burkina.

Les plaidoiries de la défense

Après les réquisitions du parquet militaire, le lundi 17 juin 2019, suivies de la suspension à la demande des avocats de la défense, le procès du putsch a repris le jeudi 27 juin avec les plaidoiries des avocats de la défense.

Durant ces plaidoiries, Me Jean Yaovi Degli, conseil du général Diendéré, a déclaré : « Il existe dans le pays un manipulateur qui n’a toujours pas été débusqué ». Dans cette même optique, Me Hermann Yaméogo, l’un des hommes politiques accusés dans ce dossier, a indiqué que « Tout ce procès repose sur des contre-vérités ». Quant à Me Alexandre Sandwidi, avocat des accusés (militaires) Abdoul Nafion Nébié, Roger Koussoubé et Amadou Zongo, il a remis en cause la légalité du régime de la transition.

Après 18 mois de débats dans le cadre du procès du coup d’Etat de septembre 2015, le président du tribunal militaire, Seydou Ouédraogo, a dévoilé, le 26 août dernier, les treize questions que la Chambre de première instance va se poser pendant la délibération. En rappel, le verdict est attendu pour le lundi 2 septembre 2019.

Une synthèse de Cryspin M. Laoundiki

Lefaso.net

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Source: LeFaso.net