Réunies par un destin commun, celui d’avoir été accusées de sorcellerie, humiliées, bannies de leurs communautés. Depuis les années 1960, le Centre Delwendé de Ouagadougou est devenu un refuge pour des centaines de femmes venues de toutes les régions du Burkina Faso. Les années passent, et malgré les sensibilisations, l’exclusion sociale du fait des accusations restent prégnante. Elles étaient communément appelées, »les vieilles de Tanghin », mais depuis 2016, il faut plutôt dire »vieilles de Sakoula ». Dans de nouveaux locaux, elles ont pourtant déménagé avec, dans leurs baluchons, leurs histoires pesantes. A l’occasion de la fête de la nativité, nous avons passé une journée avec ces présumées mangeuses d’âmes. Le 26 décembre 2018, c’était leur Noël.
Sakoula (village situé à une vingtaine de km du centre ville de Ouagadougou, au Nord Est dans l’arrondissement 4, secteur 22), le 26 décembre 2018. Assise sur un tabouret, Tibnoaga Christine Sawadogo lutte contre la fraicheur matinale en cette période d’harmattan. Un pagne pour envelopper son corps ridé, un foulard attaché à la tête, cela semble être le dress code de la centaine de pensionnaires du centre qui affluent pour assister à la messe de la nativité célébrée en différée. Mais en attendant le célébrant Léopold Ouédraogo, évêque auxiliaire du Cardinal Philippe Ouédraogo, l’on parlemente en sourdine. Les bruits des tabourets des nouvelles venues, et les petits éclats de rire viennent de temps en temps rompre ce silence épais digne d’un monastère.
Quand le cortège du célébrant est annoncé, l’assistance se met débout. Les chants de la chorale retentissent. La liste des messes demandées est annoncée et particulièrement trois retiennent notre attention. Une fidèle exhorte le Dieu de miséricorde pour la protection de ses enfants dont elle n’a plus de nouvelle. Dans une autre, la demandeuse implore Dieu de bénir l’école de ses enfants. Et enfin une autre pour les vieilles du centre décédées au cours de l’année. 13 décès en 2018, dont 4 vieilles perdues en l’espace de 4 jours, nous confiera-t-on plus tard.
En ce jour 26 décembre, l’église célèbre la mémoire de Saint Etienne. Ca ne pouvait pas bien tomber, note le prêtre dans son homélie. Parce que, à bien des égards, l’histoire de ce prédicateur du 1er siècle et premier martyr de la chrétienté trouvent certaines similitudes avec les vieilles de Sakoula. Accusé de blasphème, Etienne fut déshabillé, lapidé à mort. Mais en homme de foi, avant de rendre l’âme, Etienne a pardonné ses bourreaux.
C’est une coïncidence avec votre situation, dira le Mgr Léopold Ouédraogo à l’endroit de ces dames accusées de sorcellerie, humiliées, chassées, ou bannies de leurs communautés. “Parmi vous beaucoup ont souffert et il est souvent difficile de pardonner. Certaines sont venues dans ce centre en larmes. Mais soyez témoins de l’amour de Dieu comme Etienne. Laissez vos soucis dans vos maisons afin que vos vœux soient exhaussés », conseille l’homme de Dieu en langue nationale mooré.
Ce courage, et cette force de pardonner, Tibnoaga Christine Sawadogo qui vient de passer ses 15 ans au Centre Delwendé en aura besoin. Native de Ourgou Manega, un village situé dans la province de l’Ourbritenga (Ziniaré), sa vie a basculé un matin. C’est après la mort du nouveau-né de sa coépouse. Elle est indexée comme étant le responsable de ce décès. Ici, on croit dur comme fer au verdict de certaines pratiques sensées détecter le coupable d’un décès jugé bizarre, un vol, ou tout autre acte fortement réprimé par la communauté. Sans défense, elle aura son salut dans la fuite. Et c’est le Centre Delwendé son point de chute. C’est pratiquement l’histoire commune de ces 207 pensionnaires
Un refuge loin des siens
Le centre Delwendé, c’est toute une histoire. En 1960, un européen ouvre son garage auto. Trois ans plus tard, alors qu’il veut rentrer définitivement au bercail, il cède son local à la mairie. La réaffectation ne se fait pas attendre. La commune trouve là une occasion de rassembler les personnes indigentes qui pullulent dans la ville et son sans abris. « Il se trouvait aussi qu’il y a des femmes qui étaient exclues de leurs communautés parce qu’accusées de sorcellerie. Quand elles arrivaient à Ouaga, elles erraient dans les rues, dormaient sous des cailcédrats, sous les ponts. Le Catwel a donc appuyé la mairie en vivres pour leurs prises en charge. Des femmes préparaient pour elles, chaque midi pour distribuer. Dans les années 1968, une sœur blanche de la mission notre dame d’Afrique, la sœur Madeleine Founecole venait, leur rendait visite et leur apportait un peu de soutien. Au fur et à mesure, elle a initié le filage du coton pour les occuper », par la suite, un frère religieux, Camélien Vincent, se joint à la chaine de solidarité en apportant aux pensionnaires, des produits médicamenteux. Ce sont les deux qui s’investissent pour clôturer l’ancien garage. Le centre Delwendé prenait ainsi forme.
Au fil du temps, et comme le centre était attendu, les chiffres grimpent, les capacités d’accueil cèdent. « Dans les années 1990, le site recevait plus de 450 personnes. Entre temps, il y avait même un débordement. L’action sociale a transféré une partie des pensionnaires à Paspanga dans la cour de solidarité », nous apprend Benjamin Kaboré, gestionnaire du centre. Le centre étant situé sur le lit du barrage de Tanghin, chaque saison des pluies était un moment de hantise pour les responsables et les femmes.
L’image d’un jeune homme tenant dans ses bras une vieille très âgée pour la sortir des eaux, est l’un des souvenirs marquant des pluies diluviennes ayant entrainé des inondations dans la capitale le 1er novembre 2009. Le Centre s’est retrouvé prisonnier des eaux.
« Avec la construction de l’échangeur du Nord, on avait constaté qu’à chaque petite pluie, la cour était inondée. Pour éviter des infections et des noyades (ce sont des vieilles fatiguées), nous ne sommes pas là la nuit, on a décidé de déménager ici, même si le site n’était pas totalement fini », ajoute le gestionnaire. Mais cette décision avait créé une rébellion au sein des pensionnaires. Elles y ont vu une manière de les éloigner de la ville, une deuxième exclusion plus diplomatique.
« C’est vrai qu’au début nous-même, on a refusé. Il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité. Alors que nous ne pouvons même pas allée demander de l’eau chez les voisins. C’est à cause de cela que nous avons refusé au départ. On rend grâce à Dieu maintenant, les choses ont évolué… les gens ne nous ont pas abandonnés », se rappelle Nopoko Antoinette Djiguemdé, ressortissante de Lanta, province du Passoré. 9 ans au centre.
Ce rechignement, Gérard Zongo, ancien chargé du projet de lutte contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes au sein de la commission épiscopale Justice et Paix, le comprend. Il s’en explique. « Si vous êtes déjà exclues, même à Tanghin les visites n’étaient pas légion (…) cette exclusion est une forme de mort sociale et les mettre dans une situation où elles seraient encore exclues des citoyens qui viennent souvent leur rendre visite, on peut comprendre légitimement qu’il y ait ce ressenti ».
Une fois que ta maman quitte le village, si tu oses aller la voir, tu risques d’en être victime. Avec la sensibilisation, il y en a qui viennent leur rendre visite… Il y a des vieilles qui sont là avec leurs filles, parce qu’elles sont venues à rendre visite à leur maman, et au retour, l’accès de la cour leur est refusé. Elles sont obligées de revenir ici. Il y a ces cas-là ici.
Mais cette page appartient désormais au passé. Le Centre Delwendé version Sakoula a été inauguré en le 15 novembre 2011 par le premier ministre d’alors, Luc Adolphe Tiao, mais il a fallu attendre le 1er aout 2016 pour que les bénéficiaires regagnent leur nouveau domaine. La vie ici n’est pas du tout facile, pour la supporter, l’entraide est le maitre mot.
« Il y a presque 30 cellules. Dans chaque chambre, elles sont 6 à 7 personnes. C’est une manière de favoriser la cohabitation, pour qu’elles ne se sentent pas seules, ce sont elles qui entretiennent la cour. A la cuisine, elles sont reparties en 12 groupes. Chaque groupe prépare pendant une semaine pour tout le monde. Celles qui sont encore solides s’occupent du jardin pour la consommation sur place, et la commercialisation en vue de subvenir à leurs besoins”. Trin trin quotidien expliqué par Benjamin Kaboré.
« Si l’une d’entre nous a un problème, c’est le problème de toutes les femmes », résume Nopoko Antoinette Djiguemdé.
Les accusations de sorcellerie, l’autre visage de la misère ?
Un point commun entre Tibnoaga Christine Sawadogo, Nopoko Antoinette Djiguemdé et toutes celles qui partagent ce lourd fardeau d’exclusion sociale en ces lieux. Elles sont toutes vieilles. Les visages amincis, ravagées par l’extrême pauvreté. Et pour ajouter au tableau de leur destin très peu enviable, elles étaient pour la grande majorité seule ou sans défense quand leur vie a basculé. « La plupart des vieilles qu’on accuse sont sans défense. Leurs fils sont en aventure, la Cote d’ivoire notamment. Leurs filles sont mariées, donc parties vivre avec leurs maris. Elles sont donc seules et ce sont ces personnes vulnérables qu’on accuse », remarque Benjamin Kaboré.
« Si mes enfants étaient à côté, tout cela ne serait pas arrivé, s’ils reviennent, j’irai rester avec eux. Quand on m’a accusé, mes enfants ont appris la nouvelle, mais que pouvaient-ils faire ? S’ils s’opposaient, on risquait de les accuser de la même chose. Ce sont mes filles mariées qui viennent me voir souvent », confirme Nopoko Antoinette Djiguemdé, le regard perdu dans le néant. Quant à la solitude d’une dame, mal vue dans nos sociétés, s’ajoute la pauvreté, alors l’on devient la coupable idéale quand un malheur s’abat sur la communauté.
Face au nombre croissant de ces cas, une commission épiscopale Justice et Paix a été mis en place pour le juguler. François de Salle Bado, ancien secrétaire national de ladite commission explique les missions de la structure qu’il a piloté durant des années. « Les causes de cette exclusion, c’est la pauvreté, le manque de moyens. Elles sont abandonnées, leurs enfants ne viennent pas les voir. On dit généralement que la maman du chef, même si elle est sorcière, personne ne va oser l’indexer. Nous avons donc travaillé à lutter contre les causes de cette exclusion, notamment en formant les femmes pour qu’elles puissent mener des activités génératrices de revenus. C’est ainsi que nous leur avons appris à faire du beurre de karité, du savon, du soumbala, de la teinture, le tissage, ce qui peut leur permettre d’avoir des revenus. L’autre objectif a consisté à travailler pour leur réinsertion. Nous avions mis une équipe qui travaillait avec les familles de ces femmes pour préparer leur retour dans les foyers », avance celui qui est maintenant employé par l’Union africaine en Centrafrique, comme observateur des Droits de l’homme à Bangui.
Le Mogho Naaba s’est également engagé en déléguant un de ses ministres dans la sensibilisation pour que cesse l’exclusion.
Gérard Zongo, chargé du projet de lutte contre l’exclusion jusqu’en 2012 ajoute que la mission de la commission épiscopale Justice et Paix ne s’est pas limitée à des sensibilisations et des formations aux métiers. « Nous estimons que l’Etat a le devoir de faire plus pour s’attaquer aux causes profondes. Dans un Etat de droit, si des citoyens se trouvent privés de liberté, chassées de leurs domiciles, quelques fois avec coups et blessures volontaires (…) c’est un scandale sous nos yeux que l’on retrouve des centaines de femmes au 21e siècle qui continuent à être exclues parce qu’on les accuse d’être des mangeuses d’âmes ».
C’est ainsi que le projet a intenté des procès contre certains bourreaux de ces femmes sans défense. « J’ai eu raison, une amende a été infligée à mes bourreaux qui n’ont jamais payé. Je mets tous dans les mains de Dieu », la native de Lanta, Nopoko Antoinette Djiguemdé.
Que peut la justice moderne face à des allégations dans un domaine qui relève du surnaturel ? Mais la ministre de la femme, de la solidarité nationale et de la famille ne jure que par la loi. « Nous allons faire appliquer la loi, nous sommes dans un Etat de droit et c’est la loi qui devrait nous départager. Je m’attèlerai à ce que la loi soit appliquée. Nous pensons que les sanctions vont dissuader. Nous avons assez sensibilisé, il faut maintenant sanctionner », se défend Marie Laurence Ilboudo/Marshal.
Une fermeture souhaitée
Malgré les pesanteurs socio culturels qui rendent difficile la lutte contre l’exclusion, les actions concertées des acteurs impliqués dans la lutte a produit des résultats. La preuve, c’est le chiffre de 207 pensionnaires que compte le Centre Delwendé de Sakoula. Ils sont loin ces temps où l’on a frôlé les 500 âmes. C’est bon signe, mais le souhait de tous c’est la fermeture totale et définitive du centre. L’évêque auxiliaire Léopold Ouédraogo dans son homélie, l’a dit et souhaité.
« C’est notre souhait, nous prions chaque jour qu’on puisse fermer ce centre. Quand on analyse bien, c’est comme si on encourageait les gens dans ce sens. C’est la sensibilisation des gens au changement des mentalités. Quand on pense que ce sont des gens qui ont laissé toutes leurs familles pour se retrouver dans cette situation, ça fait très mal. Elles ont la prise en charge sanitaire, alimentaire, presque tout, mais coté sentimental, il n’y a pas de lien parental, c’est rompu. Cela fait qu’elles sont tout le temps en dépression », a noté pour sa part Benjamin Kaboré, gestionnaire, tout en précisant depuis 2013, le centre a pu réinsérer plus de 90 femmes dans leurs communautés.
Francois de Salle Bado ne dira pas plus sur cet espoir de fermeture. Pour lui, ce genre de centre ne donne pas une bonne image du Burkina Faso et devrait par conséquent disparaître simplement.
Pour le moment, nous n’en sommes pas là. Les mentalités qui ont mis des générations à se construire ne disparaitront pas du jour au lendemain. L’action de grâce pendant la messe fut un instant de débauche de joie pour ces dames qui n’ont pas toujours des instants de gaieté. Puis c’est un repas qui est partagé en toute convivialité. Quelques temps plus tard, ceux venus de l’extérieur vident les lieux. Tibnoaga Christine Sawadogo rejoindra également sa « cellule », dans l’espoir d’y sortir libre et exemptée de tous ces regards qui la jugent et la condamnent sans jamais l’avoir entendu.
Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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