Docteur en science politique, enseignant-chercheur à l’université Ouaga 2, Abdoul Karim Saidou est un fin analyste de la scène politique burkinabè. Réagissant aux conséquences politiques de la mort de Salif Diallo, il estime que le président Roch Kaboré a une chance historique de marquer l’histoire du Burkina à travers la marge de manoeuvre qu’il a désormais pour engager les réformes nécessaires.
Que retenez-vous de l’homme politique Salif Diallo
Permettez-moi d’abord de présenter mes sincères condoléances à la famille du défunt, à sa famille politique et au peuple burkinabè. Je ne connais pas personnellement le défunt, donc je parlerai de ce que j’ai entendu, lu et observé en tant que chercheur. Cela dit, de ce que je connais, je pense que ce qu’on doit retenir, c’est qu’il fut pendant ces trente dernières années, un des hommes politiques les plus influents du Burkina. C’est surtout ses capacités de stratège politique que je retiens, d’acteur politique redouté et craint de ses adversaires. Il a été excellent en matière de mobilisation politique, il laisse l’image d’homme de terrain, quelqu’un qui sait se donner les moyens d’obtenir ce qu’il veut. Il a réussi à bâtir avec Blaise Compaoré une entreprise politique qui a duré presque trente ans. Il a aussi réussi, avec ses camarades et d’autres forces sociales et politiques, à faire tomber le régime Compaoré. Et ça c’est un exploit politique.
Par contre, sur le terrain de l’éthique politique, son héritage reste très controversé. C’était quelqu’un qui s’est approprié la leçon de Machiavel selon laquelle on ne peut pas transposer dans l’arène politique les règles de l’éthique privée, l’idée que la politique est un champ régi par des règles qui lui propres, et qui sont irréductibles à celles que l’on retrouve par exemple en famille. Je pense qu’il faisait une distinction très nette entre le champ privé et le champ politique.
Donc, autant il a été excellent stratège politique, autant son parcours en matière de bonne gouvernance et d’éthique, reste controversé, eu égard à son rôle dans la construction du système Compaoré. Je pense que le leadership qu’il a incarné peut encore servir de source d’inspiration pour les partis politiques qui aspirent à conquérir et gérer le pouvoir, mais je me demande s’il ne s’agit pas d’un type de leadership dépassé. Je le dis parce que j’ai l’impression que les acteurs politiques ont tendance à se concentrer sur la conquête et la gestion du pouvoir, à rivaliser de stratégies pour cela, alors qu’il est question aujourd’hui d’avoir des leaders capables de transformer l’action publique, de transformer les politiques publiques telles que la santé, l’éducation, etc. Une chose est de prendre le pouvoir, une autre est de le gérer et de changer qualitativement la vie des populations.
Après trente ans de vie politique, quand je regarde la gestion actuelle du MPP, je n’ai pas l’impression qu’on ait affaire à des acteurs qui ont consacré trente ans à réfléchir sur les problèmes du pays, au regard des tâtonnements auxquels on assiste depuis 2016. On sait comment on détruit des partis adverses, comment on gagne les élections, comment on gère le pouvoir, mais pas comment on résout les problèmes de sécurité, de santé, d’agriculture, etc. Si le pouvoir devient une fin en soi, je crains qu’on ait une nouvelle insurrection dans les années à venir.
Je ne sais pas s’il a laissé des mémoires, mais je pense son témoignage écrit sur l’histoire politique du Burkina serait d’une grande utilité. Sa présence aurait aussi été très déterminante pour élucider les dossiers de crimes commis sous le régime Compaoré. Il aurait été d’une grande utilité dans la manifestation de la vérité, vu sa place aux côtés de Blaise Compaoré pendant presque trente ans.
Comment voyez-vous les conséquences de sa disparition au niveau de son parti le MPP ? Y aura-t-il une nécessaire redistribution des cartes ?
C’est clair qu’il y aura une recomposition des alliances internes dans le parti. Comme on le sait, les trois chefs du parti ont chacun ses « lieutenant »s et fidèles. Le parti est orphelin de Salifou Diallo, mais les protégés de Salifou Diallo le sont davantage, puisqu’ils doivent aujourd’hui se repositionner par rapport à la nouvelle situation. On pourrait s’attendre à une mise à l’écart des protégés de Salifou Diallo, mais je ne pense que cela soit probable pour deux raisons. D’abord que le parti est conscient qu’il doit maintenir sa cohésion pour faire face aux élections de 2020, et ensuite parce que le président Kaboré est un homme modéré qui saura rassembler les uns et les autres. Cela n’exclut pas que les partisans de Salifou Diallo perdent de l’influence dans le parti au profit des fidèles du président Kaboré et de Simon Compaoré. L’un des grands défis du parti ce n’est pas la question des alliances internes mais c’est comment rester le parti dominant au Burkina, comment rester une puissante machine électorale en l’absence du directeur de campagne qu’était Salifou Diallo. Cela parce que Salifou Diallo était unique en la matière, on peut lui succéder mais pas le remplacer. Le vide qu’il laisse ne peut pas être comblé tout de suite. Le MPP n’aurait pas pu gagner l’élection présidentielle au premier tour sans Salifou Diallo, je me demande même si le MPP allait voir le jour sans Salifou Diallo.
Quelles pourraient être les conséquences de sa disparition sur l’ensemble de la scène politique burkinabè ?
Je pense qu’avec la disparition de salifou Diallo, plus rien ne sera comme avant dans l’arène politique burkinabè. Je pense qu’on peut y voir les des conséquences à trois niveaux.
D’abord, au niveau de l’action du gouvernement, on passe d’un gouvernement à deux têtes à un gouvernement à une tête, si vous me permettez l’expression. Depuis l’avènement du MPP au pouvoir, Salifou Diallo jouait deux fonctions, une fonction institutionnelle et officielle de président du parlement et une fonction politique et informelle de vice-président. Avec sa disparition, on passe à un gouvernement à une tête incarné par le président Kaboré. Aujourd’hui, il sera plus facile d’isoler l’action du président Kaboré, car dans le bateau Burkina n’a qu’un seul commandant. Avec Salifou Diallo, on avait deux commandants, et les deux ne s’accordaient pas souvent sur la direction à prendre, d’où l’inertie qu’on a observé dans l’action de l’Etat que l’Institut Free Afrik avait relevé dans une étude.
Le second élément que je vois en termes de conséquences, c’est le possible changement de rapport de force entre la majorité et l’opposition. Salifou Diallo étant le président du MPP, et un poids lourd de la majorité présidentielle, sa disparition va laisser un vide qu’il sera difficile de combler dans le court terme. Je pense que sa disparition porte un coup très rude à la majorité et l’opposition politique pourrait en profiter pour monter en puissance. Ce ne sera très difficile de gagner au premier tour à la présidentielle en 2020 en l’absence de Salifou Diallo, et tout peut basculer au second tour. Je crains d’ailleurs que cet agenda relatif à la réélection du président Kaboré ne prenne le pas sur l’action du gouvernement sur le terrain du développement.
Le troisième élément, c’est la question de la réconciliation. Je pense que le décès de Salifou Diallo, qui est intervenu après l’attaque terroriste du 13 aout, peut décrisper la situation politique, en rapprochant les anciens dirigeants et des dirigeants actuels. Lors de la marche silencieuse du 19 aout, on a vu des acteurs politiques de tous les bords, ainsi que les acteurs de la société civile. Cette marche est hautement symbolique car elle traduit la volonté des acteurs nationaux à se donner la main pour faire face aux défis de la sécurité. On a vu aussi le message de condoléances de Blaise Compaoré, le témoignage de Juliette Bonkoungou et l’ensemble des messages de solidarité de la part des anciens camarades de Salifou Diallo. Cela peut, je pense, ouvrir une fenêtre d’opportunité pour relancer la réconciliation nationale, à condition que l’on fasse attention à ne pas oublier la vérité et la justice. Je précise qu’il y a eu récemment le colloque Africapacités organisé par Diakonia en juin 2017 sur la justice transitionnelle, qui a fait des recommandations importantes pour relancer le processus de réconciliation. Il y a par exemple la question du HCRUN qui a été posée et sur laquelle le président du Faso a été interpellé.
Pourrait-on s’attendre à un gouvernement d’union nationale incluant l’actuelle opposition dirigée par le président de l’UPC ?
Je sais que cette option est discutée en coulisses dans certains milieux. Mais la probabilité me semble faible car l’UPC a déjà eu à se positionner par rapport à cette éventualité au lendemain des élections générales de 2015. Je pense que l’idée de gouvernement d’union nationale, si elle se concrétisait, va engendrer des tensions, car il n’existe pas de mon point de vue de justification crédible pour un gouvernement de ce genre. Vous savez, lorsque la CODER a lancé l’idée de réconciliation, certains avaient vu en cela une action opportuniste pour chercher des postes et échapper à la justice. Si le président forme un gouvernement d’union nationale, cela pourrait accréditer cette hypothèse et empoisonner l’atmosphère politique. Il y a un élément fondamental qui ne doit pas être perdu de vue, c’est l’attachement des Burkinabè à la vérité et à la justice. Tant que cette soif de vérité et de justice n’est pas étanchée, aucune action ne peut prospérer en matière de réconciliation. Je m’appuie en cela sur le sondage Afrobaromètre du CGD et sur le dernier forum Africapacités organisé par Diakonia.
Le décès de Salifou Diallo peut être instrumentalisé par certains acteurs pour se repositionner dans l’arène politique. Les messages de compassion ne sont pas toujours neutres politiquement. Le gouvernement a été élu sur la base d’un programme et dans la démocratie électorale, c’est à lui de gouverner, et l’opposition s’oppose. Je pense que la fonction oppositionnelle est indispensable dans la construction démocratique. Il faut qu’il ait des gens en dehors du gouvernement pour tirer la sonnette d’alarme quand ça ne va pas. Le gouvernement d’union nationale neutralise cette fonction essentielle de la démocratie, en plus du fait qu’elle va engendrer une inflation de postes politiques et une prédation des ressources publiques. Je ne connais pas d’expérience concluante de gouvernement d’union nationale en Afrique de l’ouest.
Par contre, et là, permettez-moi de prendre une posture prescriptive, il me semble que le président du Faso peut relancer la réconciliation à travers trois réformes. Dans un premier temps, le président du Faso a l’opportunité de la réforme constitutionnelle qu’il a lui-même lancée en 2016. Cette réforme peut à mon avis être un moyen pour discuter des fondamentaux du vivre ensemble, surtout qu’elle se fait sur la base du consensus. La deuxième chose que je vois, c’est la réforme du HCRUN. Il faut à mon avis abroger la loi qui crée cette institution pour reprendre à zéro en veillant à inclure toutes les composantes de la nation et s’accorder sur une doctrine de la réconciliation nationale. Je rappelle au passage que pendant la transition, la Commission de la réconciliation et des réformes a rédigé un avant-projet de texte portant régime des partis politiques qui contient un chapitre sur le dialogue interpartis. L’opérationnalisation de ce mécanisme peut aussi être une bonne option pour renforcer la cohésion nationale. Un HCRUN recomposé et inclusif serait une alternance pour éviter un gouvernement d’union nationale totalement inopportun.
Enfin, je pense qu’il y a un important évènement que le gouvernement est en train de préparer, qui est le forum national sur la sécurité. Ce forum pourrait aussi être un lieu de débat sur le vivre ensemble. La méthodologie qui est utilisée pour la préparation de ce forum me laisse penser qu’il sera une opportunité pour repenser le système de sécurité nationale, et en même temps, consolider la cohésion nationale.
Pensez-vous que Roch Kaboré pourrait saisir toutes ces opportunités ?
Je pense que nous sommes à un tournant historique. Le président Kaboré doit prendre rapidement des décisions historiques sur le plan politique. A mon avis, il a une chance historique de marquer l’histoire du pays s’il réussit avant le terme de son mandat à engager des réformes profondes, notamment sur la réconciliation nationale, sur la réforme constitutionnelle et sur la réforme du système de sécurité. La question est de savoir s’il sera capable de saisir la fenêtre d’opportunité qui s’ouvre, avant qu’elle ne se referme. Il a aujourd’hui les mains libres pour décider, et c’est l’occasion ou jamais pour lui de montrer s’il est un homme d’Etat ou un politicien comme les autres.
Entretien réalisé par Cyriaque Paré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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