Depuis l’annonce du départ de Salif Diallo, que de concerts de louanges. Chacun y va de son souvenir. Il était bon, généreux, humain, ange, génie… Est-ce que ceux qui débitent ces choses savent même de qui il parlent ? Moi qui le connais de fond en comble parce que compagnons depuis le début de son aventure politique, j’ai une autre idée de l’homme.

Alors, ne comptez pas sur moi pour vous imiter dans vos discours dithyrambiques. Non ! Non ! Non ! Et j’ai mes raisons tout à fait personnelles.

Figurez-vous que ce monsieur m’a un jour proprement grondé devant des camarades au siège provincial du parti. Nous y étions pour une réunion-bilan et il en avait profité pour me « remonter les bretelles », selon ses propres termes. Pour une banale histoire de quelques 1 million et demi de nos francs qu’il m’avait chargé d’utiliser pour une activité de mise en place de structures du parti dans une région.

Or, il se trouvait qu’à la même période je traversais un moment difficile. Voici quelques mois que ma petite amie me réclamait un scooter et un phone Galaxie S7.Vous même connaissez les petites de maintenant. Elle me menaçait de me quitter pour aller avec un jeune. Mon âge ne militant pas en ma faveur, j’ai jugé prudent d’utiliser les sous à moi confiés pour la satisfaire et évidemment, que croyez-vous, je comptais prendre un prêt scolaire pour combler le trou. Mais une fois le prêt pris, la midinette revint avec d’autres lubies qui ont englouti encore les sous.

Tout humain comprendrait cela. Mais pas ce type ! Publiquement donc il entra dans une colère noire, proclama que je n’étais pas digne de confiance. Que je ne pensais qu’à moi. Ce qui était un grossier mensonge. Que le parti n’irait pas loin avec des militants de mon acabit.

« Acabit ! » Ah non ! Doucement là ! Que signifie ce mot ? « Ce n’est pas pour ton petit million que tu vas utiliser ton gros français pour m’insulter deh ! Que vient faire mon acabit dans nos histoires de parti ? »

Inutile de vous dire que cette réflexion était un monologue intérieur.

Il fit d’autres révélations comme par exemple l’argent pour la scolarisation de mes enfants qu’il m’avait remis suite à ma demande, et qui n’était pas arrivé à destination, ou mes tournées dans les services pour arnaquer (c’était son terme) les fonctionnaires. Alors que, ce faisant, mes intentions étaient louables.

Voila ce que ce camarade de parti disait, sans gants, de moi, son compagnon de longue date… en public !

Je réussis à placer un bout de phrase : « Calme-toi, Salfo ! » « Me calmer ? Tu te moques de moi ? », reprit-il. Alors je me tus pour ne pas m’énerver moi aussi. Etait-ce là l’esprit de camaraderie, qu’il se targuait de vouloir promouvoir ?

Je rappelle que Salif et mon grand frère ont été camarades de classe. Si lui n’en tient plus compte, moi je ne suis pas ainsi. Voulait-il dire que le mot Camarade a changé de sens ? Ko « acabit ! ». Acabit, toi-même ! Tchrrr !

Depuis cet épisode, nous étions en froid. Je le boudais. Même s’il feignait n’en être pas affecté, je savais que je lui étais indispensable. Ma connaissance du milieu militant lui manquait terriblement. Mais si lui ne voulait pas faire le premier pas, ce n’était pas à moi de le faire. J’ai quand même ma dignité à défendre. La Réconciliation ce n’est pas une fin en soi pour moi. Qu’il se le tienne pour dit.

Mais après quelques mois d’attente, mon esprit de réconciliation me dit de ne pas tenir compte du passé et de travailler à un rapprochement. Je demandai donc à quelques sages d’aller lui dire que je mettais un terme à notre conflit. Que je lui pardonnais et acceptais sa main tendue.

Nos relations reprirent donc. Même s’il ne me confiait plus de missions importantes. Financièrement s’entend. J’avais même l’impression qu’il voulait me tester. Je me mis donc à me mouiller. Les activités du parti que je boycottais avant, maintenant je les initiais même.

Mais ma situation financière devenait intenable. Et la p’tite m’avait quitté.

J’envoyai alors des émissaires lui dire que je me contenterais bien d’un poste de préfet quelque part. Là, en cas de famine, je pourrais vendre à mon profit les vivres que le gouvernement enverrait pour les paysans. Sans compter les petites cotisations que j’initierais de temps en temps auprès des militants du département, au nom du parti. Personne n’y trouverait à redire, sachant ma proximité avec le Big Boss. Tout ceci réuni me permettrait certainement de joindre un temps soit peu les deux bouts.

Je crois que cela l’a davantage fâché. Il ne daigna même pas réfléchir à cette proposition.

Des « Mounafika » ont dû me devancer chez lui. J’en suis convaincu. Un ami commun a pu me trahir en allant lui dire que j’avais créé des faux profils sur Facebook où je faisais incognito des publications toxiques pour me venger de lui. Et que j’écrivais des articles sous un nom d’emprunt pour saquer ses initiatives et vendre les secrets du parti. Il me fit encore appeler, me révéla tout cela me dit sans ménagement de disparaitre de sa vue. Refusant de croire que ce fut un moment de colère liée à ma situation qui m’avait fait agir de la sorte.

Eh bien ! C’en était trop ! Entre lui et moi c’était fini. Si lui Salif, n’est pas capable de tolérer un petit égarement d’un frère, je ne sais plus quelle vertu il peut incarner. Je coupai encore les ponts avec lui tout en continuant, en homme de foi, de lui envoyer des émissaires pour lui accorder mon pardon s’il acceptait reconnaitre son tort et retourner au bercail de notre camaraderie.

Et voilà qu’on m’annonce son décès. A quelques jours de la Tabaski. Décidément, il a la rancune tenace. Je dis cela parce que malgré notre brouille et surtout à cause du remords qui le tenaillait pour m’avoir laissé tomber, il m’envoyait chaque année mon bélier de tabaski. Et voilà qu’il tire sa révérence juste avant cette fête.

Et quand je dis que c’est fait exprès pour encore me punir, que c’est de l’acharnement, il y a des individus qui me répondent que je suis sans cœur. Que je n’ai pas peur de Dieu. Que je suis matérialiste. Encore des gros mots. Matérialiste ? Qui m’a déjà vu avec une carte du parti communiste ? Ou lisant la fausse littérature de Karl Marx ou de Engels ?

Cependant, je ne suis pas rancunier. Son inhumation devant se faire à Ouahigouya ce vendredi, j’y serai dès mercredi pour repérer les meilleurs endroits près du cercueil où je pourrais me faire photographier.

D’ailleurs, j’ai meilleure idée. Je passerai la nuit prés de la tombe. Là, quand le moment viendra, je serais parmi ceux qui poseront la main dessus juste avant sa mise en terre. Inconsolable, je verserai d’abondantes larmes qui couleront sous les verres de mes lunettes noires de deuil. Un photographe de renom a déjà été contacté pour me faire les plus belles poses de toutes. Pour Facebook ! Et Instagram !

Simon remarquera, je l’espère, mon dévouement à la mémoire de notre leader arraché trop tôt à notre affection.

Qui sait ? Peut être qu’à la prochaine nomination de préfets….

Kaya, le 22 Aout 2017

BARRY Pathé

Source: LeFaso.net