Après l’alternance démocratique, voici le Burkina Faso devant une alternative que lui impose le terrorisme : renouer avec le patriotisme en changeant mentalités, comportements et politiques pour vaincre la terreur, ou refuser décidément encore le changement dont l’insurrection de 2014 lui offrait déjà l’occasion et vivre dans la peur, l’angoisse et les incertitudes.
Pas le nationalisme : un pays qu’aiment visiter des étrangers et où certains d’entre eux s’installent jusqu’à y risquer leurs vies ne peut être nationaliste ; ils n’accepteraient pas le risque d’y résider s’il n’était pas accueillant. Ni un patriotisme qui gonfle les muscles et se sent subitement tout-puissant pour « terroriser le terrorisme » après avoir subi encore une si violente attaque. Ni encore moins ce patriotisme qui croit trouver secours et refuge dans Dieu, le même Dieu que prient aussi les terroristes pour nous détruire, et que nous prions pour nous protéger des terroristes et sauver le pays.
Le passé et le présent
Au lieu de mettre Dieu dans l’embarras et l’incertitude d’un choix en notre faveur ou en celle des tueurs si, en dehors des prières habituelles auxquelles chacun s’adonne quotidiennement dans sa religion, nous nous mettions à prier parce que frappés, au lieu donc de cela nous ferions mieux de répérer plus modestement ce qui constitue, à même le choc des attaques à répétition que subit le pays, une chance de nous réveiller à un patriotisme intégral qui ne soit pas de circonstance, ni éphémère et fragile parce que peu convaincu, le temps d’une union émotionnelle dictée par la barbarie, mais, plus qu’un amour, la conscience de la patrie (nul ne pouvant aimer ce dont il n’a aucune conscience), sur laquelle (re)fonder toute la politique au Faso.
En soulignant précisément ici deux points essentiels, afin de contribuer à éclairer la situation militaro-politique du pays, et abandonner les confusions, les simplismes de l’intoxication et de la mauvaise foi ; tout en évitant aussi les facilités du discours expert qui ne décrit pas pour informer mais (sur-)interprête des attaques dont on sait que les auteurs ne se livrent jamais à de grands discours (juste des communiqués laconiques et brefs) mais agissent silencieusement pour être efficaces. Ne parlons pas trop à la place de criminels qui ne parlent jamais, comme si nous connaissions leurs intentions et étions, sous couvert d’expertise, leurs porte-paroles ou messagers !
1/ Sur le plan géopolitique et militaire, au sujet précisément des forces de défense burkinabè, il nous faut voir la vérité et la dire une fois pour toutes : l’état actuel dans lequel nous découvrons nos forces militaires aujourd’hui, à la lumière des attaques dans le nord et à Ouaga, ne peut pas dater d’aujourd’hui. Il est le résultat et l’effet retardés de toute notre politique depuis plus de trente ans. Il suffit de rappeler que depuis la petite « guerre des pauvres » en 1985 entre le Mali de Moussa Traoré et le Burkina de Thomas Sankara, et jusqu’aux attaques actuelles des jihadistes, les armées burkinabè n’ont connu aucune situation de guerre et d’adversité véritables, sinon des crises intérieures ou domestiques générées par le pouvoir lui-même (assassinat de N.Zongo, insurrections militaires de 2011-2012 ).
Fort heureusement, dira-t-on. Sauf que nos armées ne se sont aguerries à aucune adversité extérieure. Armes et hommes se sont littéralement enrouillés et sclérosés, ont perdu en combativité. Le tout diplomatique de la politique Compaoré a largement contribué à éloigner de nos esprits l’idée et la possibilité pour le Burkina d’avoir des ennemis et d’être en guerre. Nous n’avions que des amis, et vivions en paix, du moins côté extérieur. Tant mieux. Ce choix du tout diplomatique, qui persiste encore aujourd’hui comme un vieux réflexe invincible quand on nomme des militaires diplomates et ambassadeurs dans des pays que le terrorisme n’attaque pas, alors qu’ils seraient plus utiles sur les terrains de guerre, ce choix de la diplomatie n’a rien de déraisonnable en soi
Mais, ce que nous avons gagné en diplomatie et négociations obscures d’une main, nous l’avons perdu de l’autre sur le plan militaire de la guerre qui se rappelle brutalement et violemment aujourd’hui. Nous avons perdu tout le sens de la dure réalité de la guerre depuis donc 1985. Tant pis. A ne s’entourer que d’amis on n’est pas plus fort ni plus en sécurité…
Parce que le Burkina de Compaoré ne voulait avoir que des amis, ses forces de défense et ses renseignements tant vantés ne pouvaient servir que la seule diplomatie (ce n’est pas un hasard si les meilleurs diplomates étaient aussi des généraux) , et ne pouvaient préparer la guerre. Les failles et faiblesses que les attaques nous réveillent à découvrir actuellement dans nos forces de défense en découlent. Une armée correctement armée, formée et aguerrie ne peut pas, du jour au lendemain, et sans aucune guerre survenue qui l’explique, se montrer aussi affaiblie et non aguerrie ; et malgré que les ex-élites militaires du RSP ont renforcé les rangs de nos troupes, et y ont rajouté leurs compétences et armes dites plus sophistiquées ! L’asymétrie de la guerre ne peut excuser que la grande avenue ouagalaise du nom d’un grand combattant panafricain (Nkrumah) devienne le lieu des défaites répétées de nos forces (car éliminer deux terroristes qui viennent à chaque fois pour de toutes façons mourir en faisant le maximum de morts et de victimes n’est pas une victoire)…
Logiquement donc, une armée ne peut pas être plus faible et moins armée après que des soldats mieux formés, plus aguerris avec de meilleures armes l’ont renforcée si sa faiblesse et ses failles n’étaient pas globales et naturelles, ou entretenues pendant de longues années auparavant. Et mathématiquement, si l’on obtient du moins en ajoutant du plus (RSP) au moins (l’armée régulière), c’est que le moins est plus grand que le plus qui n’est que minime, négligeable et dérisoire ! Mais au lieu de regarder cette réalité en face beaucoup, experts y compris, continuent de se réconforter avec mensonges et simplismes, en produisant des explications farfelues qu’ils récitent à l’opinion, en établissant un lien causal entre la fin du régime Compaoré et les attaques terroristes contre le Burkina (à défaut d’établir le lien plus vrai entre la politique du tout diplomatique de ce régime et les faiblesses de nos forces de défense). C’est de l’anachronisme :
Car le jihadisme dans toute sa virulence terroriste telle que le Burkina comme d’autres la subissent aujourd’hui s’est installé et organisé pour la terreur au moment où précisément le régime de B. Compaoré entamait lentement mais sûrement sa marche vers la mort, vers sa fin. La quasi-totalité des groupes terroristes qui frappent et massacrent violemment le sahel s’est créée, organisée et internationalisée à partir de 2012, pendant et suite à la guerre au Mali où l’intervention de la France les a privés d’une victoire qu’ils avaient facilement au bout des armes :
Ansar Dine (2012), Al-Mourabitoune (2013), FLM (2015), Ansarul-Islam (2016), Jamaat Nostrat I.M (2017), fusion des trois premiers avec AQMI qui donc ne reste le même que par le nom, car il ne cesse de se transformer (comme Boko Haram du reste), et l’envergure des attaques se transforme autant, au gré des mutations internes (ce sont peut-être ces dernières seules qui mettront fin aux attaques, pas de quelque diplomatie ni de forces extérieures à ces groupes). Si AQMI existe depuis 2007, il n’opérait essentiellement que par des enlèvements d’otages Européens (au Niger notamment) contre des rançons, jamais ni nulle part il n’a attaqué de cette façon avant 2012. Et Boko Haram n’a commencé à franchir les frontières du Nigéria que pour combattre au Mali en 2012…
De sorte que les attaques terroristes telles que le Mali, le Burkina ou la Côte d’Ivoire subissent aujourd’hui n’ont pas coexisté avec le régime Compaoré : les premières se sont développées au moment où le premier était agonisant, et pas PARCE QUE ce pouvoir était mort pour le venger ! Aucun pays ouest-africain n’a été attaqué aussi massivement comme aujourd’hui pendant que le Burkina de Blaise était à l’abri. Le développement explosif des mouvements terroristes a donc eu lieu sans Blaise Compaoré et sa diplomatie, et sans lien causal avec eux.
En clair, c’est le tout diplomatique qui a affaibli les forces burkinabè, ce n’est pas lui qui a créé ni contenu, freiné et empêché le terrorisme au sahel et au Burkina. L’explication donnée à réciter à l’opinion, selon laquelle c’est parce que Compaoré et ses généraux diplomates ne sont plus là que les forces burkinabè se sont désorganisées et affaiblies pour faciliter les attaques terroristes est un mythe et une pure ineptie. De 2012 à aujourd’hui, c’est davantage depuis l’intervention de la France qui les a défaits au Mali que les groupes terroristes se sont énervés, déchaînés par-delà les frontières , pas l’absence ou la présence de Blaise Compaoré : de toutes façons la France de Hollande n’aurait jamais accepté que Compaoré Blaise négocie avec les jihadistes qui répandent la terreur aujourd’hui, tout comme elle a refusé que Bamako négocie avec Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine…
La terreur sonne la fin de l’indolence et de l’assoupissement. C’est le glas de la seule diplomatie qui exclut toutes guerre et violence qui viennent de l’extérieur des frontières. L’ère des Bisounours de la négociation et des renseignements entre amis est close. Le général Diendéré n’aurait fait aucun miracle contre la déferlante terroriste aujourd’hui, précisément parce qu’il appartient à un autre temps qui n’est pas celui actuel de la guerre sans pitié ni bons sentiments : les renseignements entre amis sont devenus impossibles et délicats dans ce contexte où personne ne sait plus qui est son ami ou son ennemi, et les négociations vaines avec des ennemis invisibles qui ne perdent pas de temps à parler diplomatie…
2/ Sur le plan de la politique intérieure du Burkina Faso, allons de ce même pas signaler une autre mort, une autre fin : celles du CODERisme, c’est-à-dire cette politique de partis qui font alliance pour la démocratie et la réconciliation (CODER), politique qui, obsédée par la peur d’un ressentiment imaginaire, fait du ressassement de la réconciliation le tout de la politique d’opposition au Faso. Mort symbolique j’entends, sur l’avenue Kwamé Nkrumah de Ouaga où la terreur vient à chaque fois prouver la vanité, l’inutilité d’une politique de la réconciliation au Burkina, en unissant malgré elle des Burkinabè qui ont d’autres attentes et urgences que celle de leur réconciliation :
s’ils n’étaient pas réconciliés ils ne pourraient pas ainsi s’unir ; de la même manière que s’il n’y avait pas de réconciliation au Burkina Faso il n’y aurait pas pu y avoir le CODER ni donc une politique pour la réconciliation, puisque sans réconciliation il n’y pas de politique tout court. Autrement dit, le CODERisme perd du temps à rechercher comme fin (la réconciliation) cela même dont pourtant il se sert comme moyen de sa recherche et de sa politique (cette même réconciliation).
Cette politique de la réconciliation explique donc aussi pourquoi l’opposition politique côté CODER n’est pas assez forte et efficace : puisque cette opposition pose la communion nationale et fraternelle (une sorte de promiscuité politique) comme sa fin poursuivie, tout désaccord tranchant et tranché avec la politique du gouvernement peut par elle être considéré comme une atteinte et un obstacle à la réconciliation (mais laquelle justement, si elle n’était pas déjà là ?).
Sa quête d’une réconciliation communielle sans désaccords (ce qui trahit aussi l’idée de démocratie contenue dans la coalition CODER) rend cette opposition-là frileuse, et peut l’amener à s’auto-censurer, ce qui ne rend guère service ni au progrès ni à la démocratie. La terreur nous réunit parce qu’elle nous rappelle immédiatement, sans la politique, que nous sommes ensemble, un pays, une nation, et pourquoi nous sommes ensemble, pendant que le CODER nous exhorte à être ensemble sans (trop) nous dire au juste ce que nous ferons une fois ensemble et réconciliés, ou ce que nous ferons ensemble qu’ils (les CODERés) n’ont pas fait avant, et que la politique du gouvernement actuel ne fait pas. Or c’est cela qui est la priorité, pas le ressassement paranoïaque de la réconciliation contre un ressentiment imaginaire, alors que les ennemis réels tuent à répétition sur Kwame Nkrumah…
L’avenir
Ce n’est pas une critique mais une vérité à rappeler et reconnaître : l’état actuel de nos forces de guerre est entretenu plus ou moins directement par tous les hommes politiques burkinabè qui ont servi, parfois comme diplomates (les mêmes qui aujourd’hui s’aperçoivent enfin aujourd’hui qu’il y a des failles dans notre système de défense, comme s’il n’y en avait pas avant !), dans la politique du tout diplomatique de Blaise Compaoré. Tous ces hommes politiques et responsables militaires ont leur part de responsabilité, qu’ils soient dans l’opposition ou dans la majorité actuelle.
Mais nous ne cherchons pas sorcières et sorciers, des coupables, mais à seulement rappeler ce que tout le monde sait, pour aller de l’avant : les deux principaux responsables du parti MPP qui dirige le Burkina aujourd’hui (MM le président Kaboré et Simon Compaoré. Paix à l’âme de Salif Diallo qui, comme Arba, nous quitte et nous « abandonne » au moment précisément où le pays a besoin de combattants comme lui, comme pour marquer justement la fin d’une époque, et nous laisser nous « débrouiller » seuls pour mieux nous aguerrir…) ont suivi et fait la politique de Blaise Compaoré pendant de longues années. Aujourd’hui premiers dirigeants du pays ils expérimentent en un an et demi de vraies situations de guerre qu’ils n’ont jamais (heureusement) connues en plus de trente ans de responsabilités politiques, depuis 1985. Même l’armée de Moussa Traoré ne s’était pas aventurée jusqu’à Ouaga pendant la « guerre de Noël » en 1985.
Les » vieux briscards » de la politique burkinabè que sont ces…deux têtes politiques redeviennent comme de jeunes novices en politique. Ils ont été très fraîchement accueillis au pouvoir en 2016 par les attaques terroristes à Ouaga et au nord du pays, lesquelles récidivent en un peu plus d’un an et demi de leur anniversaire au pouvoir. Même Blaise Compaoré n’avait connu quelque chose de comparable. Évidemment. De fait, comme un juste retour de bâton (et quel bâton !), ils ont à gérer aussi ce qu’ils ont précisément négligé de gérer avec B.Compaoré. Suite à l’attaque d’Ansarul Islam du Burkinabè Dicko Malam (qui rime à dessein avec Boko Haram mais ne lui ressemble pas), qui a fait douze victimes dans les forces burkinabè à Nassoumbou en décembre 2016, M.Simon Compaoré, alors ministre de la Défense, reconnaissait publiquement que « la puissance de feu » des jihadistes « est supérieure à la nôtre ». Eh bien, cette faiblesse qu’il a reconnue est celle qui était déjà là, mais non perçue, quand lui et le président Kaboré dirigeaient le pays aux côtés de Blaise.
Alors, qui mieux que les deux nouveaux ex-dirigeants du Burkina pourrait rattraper et « réparer » l’état de nos forces de défense qu’ils ont, avec Blaise, marginalisées, en n’ayant pas suffisamment investi en elles pour que leur puissance de feu se retrouve aujourd’hui fort insuffisante ? En même temps, nos plus jeunes politiques et députés ne peuvent manquer d’acquérir, par ces attaques brutales, une expérience de « vieux briscards » de la politique et de ses dures situations, en l’espace d’un petit an et demi…
Voilà donc notre chance et ses conditions violemment réunies par les attaques : les plus anciens politiciens en redeviennent rajeunis et novices, pendant que les plus jeunes débutants en aprennent plus que leurs aînés. Et les jeunes Burkinabè qui s’engageront à porter les uniformes de nos armées sauront, non plus mus par la cupidité et l’argent facile, qu’ils peuvent désormais, plus que par le passé, mourir à tout moment pour défendre et sauver la patrie ; de même l’argent des corruptions deviendra bien dérisoire par rapport au danger réel de perdre sa vie en le dépensant dans les endroits les plus confortables et luxueux :
C’est tout cela qui constitue le patriotisme qui vient, mais qui reste pour l’heure un voeu. Car toute chance est occasion de perdre ou de gagner. Nous perdrons sûrement si nous vendangeons ou gaspillons encore l’opportunité que la terreur nous offre, après la révolution de 2014, de rompre avec le passé et nos passés de facilités et d’inconscience, et si nous nous entêtons à éviter la rupture politique et patriotique à laquelle elle nous oblige et force. Ce voeu ne peut donc pas rester pieux, nous n’avons pas le droit de le laisser pieux, sinon nous sommes irresponsables et impardonnables
Le vrai patriotisme qui vient. Ou qui revient, sans nostalgie : « Burkina Faso » y est né, dans un patriotisme qui, pour nous galvaniser par l’adversité et faire ainsi progresser le pays, s’était donné et désigné un ennemi tout aussi dangereux, insaisissable et multiforme que le terrorisme d’aujourd’hui : l’impérialisme. Ce patriotisme s’appelait « la patrie ou la mort ». Nous sommes aujourd’hui exactement devant la même alternative de la patrie ou la mort, forcés et obligés par la terreur de, comme des serpents, muer ou crever…
Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE
Source: LeFaso.net
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