Dr Salifou Diallo a tiré sa révérence, ce samedi, 19 août 2017. Jadis craint par certains, adulé ou même vénéré par d’autres, l’homme que le Burkina pleure aujourd’hui aura marqué la vie politique de son pays pendant trois décennies. Très jeune, il ne se voyait pourtant pas faire la politique. Mais, le destin en a décidé autrement …

« Je suis allé faire du journalisme et on m’a renvoyé, mais pas pour insuffisance scolaire. Je ne voulais pas faire de la politique, ni être juriste ; mon ambition première était d’être journaliste. C’est un métier que j’adore, mais on m’en a éloigné. C’est même pour cela que j’ai beaucoup de sympathie pour les journalistes ». Confiait-il au quotidien d’Etat, Sidwaya, dans une interview accordée le 15 août 2005.

Comme quoi, l’homme propose et Dieu dispose. Ainsi, sur les 60 ans passés sur terre, Salifou Diallo a consacré 42 au combat politique ! Autrement dit, si on se fie à la vocation de la politique, l’homme a offert 42 ans de sa vie à sa communauté nationale, aux autres. Depuis sa majorité ! « Je suis un militant, je lutte pour un idéal. Je suis dans le milieu politique depuis l’âge de 18 ans. J’ai toujours défendu des idées, que ce soit dans le cadre des syndicats ou des partis politiques. Je n’ai pas toujours été au pouvoir, j’ai souvent eu à subir ses contre-coups », dévoilait-il dans la même interview.

Nous sommes dans une période pré-campagne et Blaise Compaoré venait, cinq jours seulement, d’annoncer son intention pour la course à l’élection présidentielle du 13 novembre 2005. Alors ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, de l’hydraulique et des ressources halieutiques, Salifou Diallo était également le vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti au pouvoir) et Roch Kaboré (actuel président du Faso), son président de parti. Bras-droit, homme de confiance, « homme des missions secrètes » de Blaise Compaoré, Salifou Diallo sera d’ailleurs son directeur de campagne. Donc, l’artisan principal de la victoire de Blaise Compaoré avec 80,30% des voix contre 4,94% et 2,61% pour ses poursuivants immédiats, Me Bénéwendé Sankara et Laurent Bado.

En 2008, il tombe en disgrâce avec son parti, le CDP, suite à son analyse sur la situation nationale, mal perçue par ses camarades d’alors. C’est la traversée du désert. Le 6 janvier 2014, il va rendre sa démission du CDP, avec 74 autres militants dont Roch Kaboré et Simon Compaoré, démission suivie le 25 janvier 2014, de la création de leur nouvelle organisation politique : le Mouvement du Peuple pour le progrès (MPP). Roch Kaboré occupe la présidence et Salifou Diallo est le vice-président, chargé de l’orientation politique (il est président depuis le dernier congrès de mars 2017).

Dès lors, ces leaders politiques, désormais « ex-camarades » et opposants au CDP, vont en rangs serrés avec l’opposition. Ce qui va aboutir à la chute du régime Compaoré. Dans la lancée de l’élection présidentielle post-transition, Dr Salifou Diallo va encore, comme au temps de son ancien mentor, dire à qui veut l’entendre que son candidat, Roch Kaboré, sera le président du Faso…. Il réussit également à doter son parti d’une majorité relativement confortable à l’Assemblée nationale (55 députés sur 127). En tête sur la liste nationale du MPP, il est porté à la tête de la VIIème Législature. Mais, il n’aura fait qu’un an et huit mois.

Dr Salifou Diallo ou la force de caractère !

La vie politique de Salifou Diallo ? C’est un sujet inépuisable. « Bête politique ». « Dinosaure politique ». « L’intelligent politique ». « Le monstre politique ». « Le gros bras de la politique ». Bref ! S.D, Gorba…, comme on aime à le nommer ! Connu pour son franc-parler, l’homme savait bien manier le bâton et la carotte !

‘’ On doit être honnête dans tout ce qu’on fait ; de même, il faut avoir le courage de dire ce qu’on pense devant n’importe quelle personne, y compris devant son supérieur hiérarchique.(…). Je ne suis pas, comme diraient les jeunes, un « yes man  » qui passe le temps à dire oui, oui, c’est bon, c’est bon, même quand ce n’est pas bon. .. (…). Je le répète souvent : ce ne sont pas les héros qui font l’histoire, mais c’est l’histoire qui fait les héros. Cela veut dire que je ne crois pas à l’individualisme triomphant ‘’, avait-il lâché.

Tous semblent également admettre que l’homme a été le maître du jeu politique burkinabè, ces dernières décennies. Tout comme sa vie politique n’a pas aussi été un long fleuve tranquille. Bien présent dans les arcanes de la vie nationale à travers ses maillons (organisations politiques, organisations de la société civile, syndicats, monde des affaires, monde paysan, etc.), Salifou Diallo s’est donné les moyens de sa vie politique. Il disposait des leviers essentiels. Il pouvait donc, et faisait monter le mercure politique et le casser, quand il voulait. Par respect ou par crainte, ses adversaires comme collaborateurs politiques lui rendaient bien cette ‘’allégeance ». « S’il décide de t’avoir, il t’aura. Tôt ou tard », confession d’un leader politique burkinabè. Ce ne sont pas le fondateur du PAREN, Laurent Kilachu Bado et son « acolyte » Emile Parguy Paré qui diront le contraire. Eux qui verront leur OBU (Opposition burkinabè unie) voler en éclats dans l’affaire dite des 30 millions FCFA de Salifou Diallo. Le faiseur et le défaiseur !

Pour notre part, on va résumer Salifou Diallo à ses propres propos : « Quand on veut attraper le lièvre, on ne le poursuit pas avec le sourire ». Car, c’est le caractère qui fait l’homme, dit-on. Ce caractère, il s’en est bien servi ! Pas seulement sur le plan politique, mais également dans ses missions directes de construction nationale et en tant que commis de l’Etat. Ce n’est certainement pas pour rien qu’on reconnaît en lui, le « grand bossard ». C’est-à-dire le grand travailleur, l’infatigable.

Dr Salifou Diallo, en quelques propos … !

On ne peut parler de l’homme dont tout le Burkina pleure depuis quelques heures la disparition, sans ses propos qui ont fait l’actualité ces derniers temps et qui resteront certainement gravés dans la mémoire des Burkinabè. Bien volontiers ! « Nous, on s’en fout d’où ça vient. C’est le ministère de l’économie numérique qui nous a remis les tablettes … Point barre », martelait-il le 3 décembre 2016 au cours d’une conférence de presse de l’Alliance des partis et formations politiques de la Majorité présidentielle, (APMP), en réaction à la polémique sur le don de tablettes « aux députés », intervenu quelques jours.

Puis, le 14 avril 2017, à la faveur du discours sur la situation de la nation, le président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo recadrait le Premier ministre sur certains de ses propos à l’endroit de l’opposition :« Nous sommes des adversaires politiques. Si le Premier ministre a dit ennemis, c’est un lapsus. Nous sommes tous des citoyens d’un même pays… ». Au Premier ministre qui venait, dans son discours, de « peindre en rose » la situation nationale, il avait ensuite précisé : « Vous avez fait un discours d’espérance et d’espoir… Si vous revenez l’année prochaine sans pouvoir nous dire où sont passés les 18 000 milliards, je crois que l’hémicycle sera très étroit pour nous ».

Dimanche, 2 juillet 2017, l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle (APMP) tenait une conférence de presse avec un sujet crucial à l’ordre du jour : le projet de loi portant allègement des conditions d’exécution du programme de projets Partenariat Public-Privé (PPP). Ce jour-là, et face à l’hostilité de l’opposition et d’une certaine opinion audit projet, Salifou Diallo mâtait : « Les députés voteront demain cette loi. Advienne que pourra ! Nous allons construire des routes pour nos parents, des écoles techniques, centres d’études et de formation professionnels pour nos étudiants et nos enfants. Personne ne va nous empêcher de voter cette loi-là. Personne non plus n’a le monopole de la rue. C’est maintenant que notre programme de développement va se matérialiser. Si on construit les routes, celui qui ne veut pas rouler dessus, qu’il roule à côté du goudron. Si on apporte l’électricité, celui qui ne veut pas, peut allumer une bougie… Certains responsables de l’opposition s’agitent et tentent comme d’habitude de travestir les faits. Des mots d’ordre sont même lancés pour, disent-ils, empêcher le vote de cette loi ».

Mais, résume un de ses collaborateurs, tout cela se veut « du Salif, ce n’est pas méchant. C’est comme cela qu’il aime taquiner les gens ».

Adieu, Gorba !

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net