La série de conférences publiques sur les réformes constitutionnelles en cours se poursuivent avec le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). Pour les responsables de cet organisme qui vise à promouvoir la culture de la démocratie, le contenu de la Constitution doit être approprié par les Burkinabè qui doivent définir, ensemble, les valeurs et aspirations à ‘’sacraliser ». C’est pourquoi, depuis le top départ des travaux de la Commission constitutionnelle, et dans la perspective d’une éventuelle tournée dans les régions de ladite Commission, le CGD a entrepris d’outiller les forces-vives afin qu’elles puissent prendre part activement à l’avant-projet qui leur sera présenté. Ce samedi, 26 novembre 2016, c’est Koudougou, capitale de région du Centre-ouest, qui a sonné la mobilisation pour écouter à cet effet, le constitutionnaliste, Pr Augustin Loada.

Là également (Koudougou), comme à Kaya dans le Centre-nord et Ouahigouya dans la région du nord, le Constitutionnaliste, ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale sous la Transition, Pr Augustin Loada, a misé sur les enjeux de l’élaboration de la nouvelle Constitution, synonyme d’un passage à une Vème République. Pour mettre en exergue son sujet, l’enseignant de droit constitutionnel à l’Université Ouaga II va reconstituer le fil de l’histoire de la vie constitutionnelle au Burkina (à partir de l’indépendance). Retient-on ainsi que la Ière République (fondée sur la constitution du 9 novembre 1960, qui a duré de 1960 à 1966) a consacré une sorte de « régime présidentialiste » (qui n’est pas à confondre avec le ‘’régime présidentiel » fondé, lui, sur une séparation rigide des pouvoirs et où chaque organe a la plénitude de sa compétence). La Ière Constitution consacrait donc un régime qui octroie au Président Maurice Yaméogo, un pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale et d’introduction de projets de lois à l’Assemblée nationale. ‘’ C’était donc un régime présidentialiste avec un Président qui monopolise le pouvoir. Evidemment, dans un tel régime, la porte est vite ouverte sur les dérives et c’est ce qui s’est passé et le 3 janvier 1966 ; le peuple en avait marre et c’est le premier soulèvement populaire », a étayé le conférencier. Le régime est ainsi renversé et les militaires sont appelés au pouvoir. Pendant quatre ans, ils vont exercer le pouvoir avant de décider finalement de revenir à une vie constitutionnelle normale.


L’on tire leçons de l’échec de la Ière République et décide de mettre en place, un régime parlementaire où le pouvoir sera distribué entre les différents pôles. Le général Sangoulé Lamizana va rester pendant quatre ans (la Constitution de la IIème République stipulait que, pendant quatre ans, la charge de Président de la République sera assumée par le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé, qui n’était, par hasard, que le général Lamizana). Une partie du pouvoir exécutif est donc confiée au gouvernement dont le Premier ministre sera issu de la majorité au Parlement. Un régime parlementaire se met donc en place (dans ce régime, le gouvernement doit bénéficier à tout moment de la confiance du Parlement).

Ce régime (parlementaire), caractérisé par plusieurs centres de pouvoirs (Président du Faso, Premier ministre et un Président de l’Assemblée nationale qui a aussi son mot à dire), va aussi montrer ses limites dans la IIème République. « Naturellement, quand il y a trop de centres de pouvoir, ça crée des conflits. C’est ce qui va se passer et les militaires ont prétexté des divisions, notamment entre le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale (ils étaient tous issus du même parti) pour mettre tout le monde d’accord. Donc, en 1974, Lamizana met fin à la II ème République qui n’a vécu que de 1970 à 1974 », poursuit Pr Loada. Ici également, les militaires se sont proposé de gérer le pouvoir pendant un certain temps avant de le remettre aux civils. Mais, chemin faisant, ils commencent à se demander s’ils ne vont pas, finalement, rester au pouvoir. Aidés dans leur état d’esprit, réfère le conférencier, par le contexte sous-régional marqué à l’époque par la traite du parti unique ; le Burkina était une exception (avec le multipartisme, le pluralisme syndical et médiatique, etc.). Le général Sangoulé Lamizana entreprend donc de concocter un projet de mise en place d’une sorte de parti unique qui ne dit pas son nom. « Evidemment, les partis politiques, la société civile… vont s’insurger contre le projet de mise en place d’un mouvement qui ressemblait à un parti unique. Il y a des grèves qui sont donc déclenchées et qui finissent par convaincre les militaires de remettre le pouvoir aux civils », révèle le constitutionnaliste.

En décembre 1977, une nouvelle Constitution est soumise au référendum et adoptée. Elle essaie de s’inspirer des leçons de la II ème République (de manière à éviter les dérives de celle-ci).

Des expériences jusque-là difficiles à capitaliser ?


Forte de cette précédente expérience, la III ème République sera un régime de « parlementarisme rationnalisé », affirme Augustin Loada, précisant que ce modèle repose sur un certain nombre de mécanismes qui permettent d’encadrer les rapports réciproques entre l’exécutif et le législatif. Une expérience qui n’a malheureusement pas duré. Ce fut même la plus courte puisque, malgré des élections en 1978 qualifiées par la communauté internationale comme une « réussite singulière » dans un environnement où il n’y a que le parti unique avec son « coup K.O », le régime avait beaucoup de disfonctionnements (division de la classe politique, l’impact de la famine due à la sécheresse, la corruption, etc.). Ce qui va donner encore prétexte aux militaires pour intervenir, une fois de plus, dans la gestion du pouvoir politique. C’est la fin du régime de la III ème République, qui ouvre également la parenthèse la plus longue des régimes d’exception au Burkina.

Une « cascade de coups d’Etat militaires » se succèdent au Burkina. En effet, en 1980, le CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) qui met fin au régime de la III ème République est, lui-même, renversé en 1982 par le CSP (Conseil de salut du peuple). Ce dernier sera renversé à son tour en 1983 par le CNR (Conseil national de la Révolution). En 1987, la série se poursuit avec le renversement du CNR par le Front populaire. Blaise Compaoré accède au pouvoir. Au bout de trois ans, commence à germer l’idée d’un régime constitutionnel au Burkina, retrace l’ex-directeur exécutif du CGD. En 1990, une Commission constitutionnelle est mise en place, « contrôlée évidemment par le régime du Front populaire » puisque, sur environ 114 membres, 78 étaient des représentants du Front populaire. Ce qui a permis au pouvoir de « se tailler » une Constitution sur mesure (même si des amendements ont pu être arrachés). Selon Pr Augustin Loada, la Constitution consacrait de ce fait, des « pouvoirs exorbitants » au Président Compaoré. Malgré cela, il va, au fil des ans, la manipuler pour essayer de renforcer encore son pouvoir. D’où les multiples révisions avec en sus, les atteintes à la clause limitative du nombre de mandats présidentiels. « On a même entendu que la limitation du nombre de mandat présidentiel est anti-démocratique », rappelle le constitutionnaliste. Cet épisode ouvre une période de lutte pour le respect de la Constitution et la mobilisation des différentes forces va aboutir à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ; c’est la chute du régime Compaoré.

La Transition, une aubaine manquée … ?


S’ouvre une période de transition où, durant douze mois, dit le ministre de la Fonction publique sous ladite période, « les Burkinabè ont espéré que tous leurs rêves seraient réalisés ; parce qu’ils voulaient que plus rien ne soit comme avant. Qu’il faut qu’en douze mois, on puisse faire le changement qu’on n’a pas pu faire, ici et maintenant ». Sans s’adonner aux commentaires sur cette période, le communicateur dit cependant refuser que des acteurs se bornent à ne voir que du noir dans la Transition. Pour lui, s’il y a eu des insuffisances, il faut aussi reconnaître les acquis engrangés. Il rappelle d’ailleurs que sous la transition, des initiatives avaient été prises pour élaborer une nouvelle Constitution mais elles se sont heurtées aux partis politiques qui ont estimé que l’organe dirigeant n’avait pas de légitimité pour opérer une telle réforme. Une perception que le professeur dit ne pas du tout partager. Malgré les difficultés, la transition a pu également organiser les élections (le 29 novembre 2015).

Le nouveau pouvoir élu a engagé la rédaction d’une nouvelle Constitution, une de ses promesses de campagne. D’où la mise en place de la Commission constitutionnelle dont l’avant-projet sera, vraisemblablement, présenté aux forces-vives des treize régions du pays avant d’être soumis au référendum. C’est-là, tout l’intérêt de ces exercices initiés par le CGD avec les populations des régions. Ils visent à préparer les acteurs à prendre part conséquemment à cette étape d’amendements dans les régions.

Ainsi planté le décor, le communicateur va présenter les différentes modalités d’élaboration d’une Constitution (des procédés les plus démocratiques à ceux les moins démocratiques) avant de relever que le premier enjeu est de faire en sorte que le peuple ait la maîtrise de l’élaboration de sa propre Constitution. Il est important, de son point de vue, qu’après la Commission constitutionnelle, le peuple puisse amender l’avant-projet avant le référendum. « Si tel n’est pas le cas, ça pose problème du point de vue démocratique », avertit-il. En dehors de celui lié à la modalité son élaboration, d’autres enjeux sont liés au contenu même de la Constitution. « On peut mettre beaucoup de choses dans une Constitution mais, une Constitution n’est pas un réservoir qui peut contenir toutes sortes de choses », souligne Pr Augustin Loada pour qui, une chose est de consacrer des valeurs dans la loi fondamentale mais une autre est de mettre en place une politique efficace à même de les incarner au profit du peuple. A titre illustratif, il explique que ce n’est pas parce que les droits à l’alimentation, à l’eau potable ou à un emploi … seront consacrés par la Constitution, que ces préoccupations seront résolues ; elles le seront par des politiques concrètes. Pour lui, cela est d’autant vrai qu’une démocratie qui ne travaille pas à satisfaire les besoins du peuple n’est pas viable.

Les autres enjeux de l’élaboration de la Constitution sont les droits fondamentaux des citoyens. ‘’ Quand vous prenez le titre 1er de notre Constitution, il porte sur les droits et devoirs fondamentaux des citoyens. Même s’il est vrai qu’au Burkina, on n’aime pas trop les devoirs ; les gens connaissent leurs droits, pas leurs devoirs. Pourtant, c’est la conception africaine même des droits de l’homme où il y a le droit des individus mais aussi le droit du groupe. C’est pourquoi en Afrique, les mariages n’unissent pas seulement deux individus, ils unissent aussi des familles (même si l’individualisme est en train de gagner du terrain) », soutient l’enseignant.

Aux Burkinabè de définir les valeurs de la société et de dessiner leur avenir !


Un autre enjeu également énuméré est qu’on peut préciser, renforcer, élargir davantage les droits de l’homme (droit à l’alimentation, droit d’accès à l’eau potable, etc.) dans la nouvelle Constitution.

Un autre point important, c’est l’interprétation et la mise en œuvre de la Constitution. Ce qui implique la nécessité d’un Conseil constitutionnel fort et capable de contrôler toutes les initiatives en matière de lois et de garantir le respect des droits.

Sur les contours, le conférencier a rappelé qu’à partir du moment où la Constitution porte sur la société, elle ne doit pas se limiter à organiser le pouvoir d’Etat ; elle doit tenir compte de tous les pouvoirs qui existent (la presse, le pouvoir traditionnel, le pouvoir d’argent, les organisations de la société civile, etc.).

La réaction du public, constitué en majeure partie d’étudiants, a porté sur plusieurs aspects de la communication notamment sur l’opportunité même d’un passage à une Vème République, les insuffisances de la Constitution en vigueur, les changements auxquels on peut s’attendre avec la nouvelle Constitution, la « remise en cause de certains acquis » de la transition (notamment la loi portant régime militaire), les différents types de régimes, la constitutionnalisation ou non de l’insurrection populaire, etc. De nombreux intervenants ayant également martelé qu’avoir de beaux textes n’est pas une fin en soi ; au Burkina, les textes n’ont jamais fait défaut, ils souffrent plutôt d’application effective.

Sur l’opportunité même d’élaboration d’une nouvelle Constitution, le conférencier avoue qu’il y a matières à être réservé. D’abord, note-t-il, si la Constitution (actuelle) comporte des insuffisances, il faut aussi reconnaître qu’elle a subie de nombreuses révisions dont la dernière sous la Transition qui a consacré entre autres le verrouillage de l’article 37. Ensuite, de l’avis de Pr Loada, la Constitution de la IVème République incarne symboliquement le sacrifice des gens qui sont tombés sur le front de lutte contre la modification de la Constitution. ‘’Mettre donc de côté cette Constitution pour rédiger une nouvelle ne paraît pas comme le plus bel hommage qu’on puisse rendre aux martyrs », justifie l’activiste pour qui, l’on pouvait simplement faire un diagnostic de la Constitution actuelle et opérer des améliorations. Ce, d’autant plus que, ce n’est pas l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui va régler le problème des Burkinabè. ‘’Il y a combien de Burkinabè qui vont au travail à l’heure et qui descendent à l’heure ? Et on veut que le pays avance ! C’est à chacun sa partition, pas seulement aux gouvernants. Le gouvernement ne peut pas tout faire. (…) », a, enfin, interpellé Pr Augustin Lodada.

Oumar L. OUEDRAOGO

Lefaso.net

Source: LeFaso.net