Le 24 janvier 2014, dans une lettre publiée sur Lefaso.net, il appelait Blaise Compaoré à voter pour la paix en organisant une transition démocratique pacifique. Las ! Tout au long de 2014, comme beaucoup d’autres Burkinabè, Sibiri Nestor Samné, depuis les Etats-Unis où il réside a, par la plume, activement participé au combat ayant conduit à l’insurrection populaire.
Deux ans après, que pensez-vous de l’insurrection populaire ?
Avant tout mot, qu’il me soit permis de rendre un vibrant hommage aux véritables intrépides artisans de l’Insurrection populaire que sont les victimes tombées lors des manifestations d’octobre 2014. Héroïquement sortis pour réclamer plus de justice, ils ont été emportées par les balles de l’égoïsme de leurs concitoyens pour finir par être victimes des incohérences de notre justice humaine. Puissent-ils jouir de la félicité de Dieu, le Juste ! Que leur sang versé et leurs soupirs libérés contribuent à laver le Burkina de ses souillures et à convertir les cœurs des Burkinabè pour les rendre plus fraternels entre eux, plus intègres aux yeux du monde.
Sur la base de mes convictions, j’ai contribué à ma manière à lutter contre la modification de l’article 37 et du projet du Sénat, voulu par Blaise Compaoré et ses anciens collaborateurs. Pour moi, l’insurrection symbolise la fatigue d’une partie du peuple qui se voyait abusé par un groupe de dirigeants depuis 27 ans. L’Insurrection a été la cristallisation des frustrations diverses et diversifiées vécues par une partie du peuple, ceux qui étaient victimes d’un système qui ne profitait qu’aux élus de la bénédiction de Blaise Compaoré. L’insurrection populaire a été le symbole de la soif de voir de nouveaux visages à la tête du pays et d’autres manières de diriger la Nation. Ce sursaut du peuple a été la conséquence brutale du refus de Blaise d’écouter ceux qui lui tiraient la sonnette d’alarme. L’insurrection populaire, c’est le cri du peuple Burkinabè réclamant plus de justice, de partage équitable des biens du pays. De ce fait, elle a été l’expression d’une grande envie de vivre et de bien vivre.
L’insurrection populaire, c’est l’expression de la bravoure de nos chères mamans et sœurs qui sont sorties le 28 octobre 2014 pour interpeler leur époux, fils et frère, Blaise Compaoré à faire marche arrière. L’insurrection c’est l’intrépide engagement et le dynamisme indomptable d’une jeunesse brimée, oppressée pendant des années ; une jeunesse qui ne pouvait plus contenir sa colère légitime face à la politique de son exclusion de la gestion de la chose publique sur des bases de fallacieuses raisons de son manque d’expérience. L’insurrection populaire c’est aussi en partie la frustration exprimée des anciens complices devenus mécontents de Compaoré parce qu’ils ont été simplement expulsés du « banquet ». L’insurrection populaire a été le point de ralliement d’une portion du peuple Burkinabè, fatiguée de la routine d’un vieux système qui devenait de plus en plus insensible aux aspirations légitimes.
L’Insurrection populaire des 30 et 31 octobre demeurera un sursaut national poussé par un peuple en quête d’une vraie démocratie et d’un mieux-vivre. Et c’est pour ça qu’il faudra que des groupes arrêtent de réclamer jalousement sa paternité. Sans être d’un parti donné, je puis affirmer que certains parmi ces personnes ou groupes, devraient plutôt réclamer la paternité des causes de l’insurrection. Deux ans après, des éléments d’appréciation sur le degré de satisfaction sont disponibles et peuvent être interprétés par chacun selon son angle de vue.
L’insurrection a-t-elle tenu ses promesses ?
L’insurrection populaire n’a pas été inutile mais il serait prétentieux d’affirmer qu’elle a tenu toutes ses promesses. Si on en juge sur la base de sa cause immédiate, à savoir le projet d’institution du Sénat et de la révision de l’Article 37, l’Insurrection populaire a atteint son but. Le projet a été bloqué. Mais comme évoqué plus haut, c’est fondamentalement la mal gouvernance avec son escorte de conséquences dont l’impunité de tout genre, les crimes économiques et de sang qui ont discrédité le pouvoir de Blaise Compaoré pour enfin le jeter en pâture à la rage populaire. A qui veut l’entendre, je répète que les problèmes dont souffre le Burkina, n’émanent pas seulement de la tentative de la révision de l’article 37. C’est plutôt parce qu’il y avait des insatisfactions générales qu’il a échoué à son coup.
L’insurrection populaire a fait naître le Gouvernement de la Transition. J’exprime mes hommages à tous les acteurs de la Transition pour avoir répondu promptement à l’appel de la Nation pour aider à remettre les choses sur les rails. Une occasion en or leur avait été donnée pour tracer de véritables chemins authentiques en vue d’une bonne assise de la démocratie au Burkina. Il lui avait été demandé de démolir les montagnes d’ordures qui pourrissaient la démocratie. Mais je me permets de lui attribuer des notes mineures aussi. Il m’a tout l’air que la Transition n’a pas résisté à la séduction des « intelligences perfides des politiques » qui les ont poussés à entamer une politique de vengeances par des décisions extrajudiciaires. Par plusieurs écrits, j’avais attiré l’attention de la Transition à ne pas faire de l’émotion et du populisme, des sources d’inspiration des grandes décisions concernant la vie de la Nation. La transition n’a pas évité la politique de règlement de comptes. Comme on le dit, « si tu construis par la salive, ce sont des larmes qui finiront par démolir l’édifice ». L’acteur principal de la transition, l’ex-premier ministre, Isaac Zida, me donne aujourd’hui l’image d’un lionceau de la savane exploité puis abandonné. Ovationné au départ, récupéré par des acteurs politiques cachés, il aurait trahi sa famille, ses amis pour finir victime de ses partenaires d’hier.
Les zones d’ombres de la Transition ne sauraient cependant nous faire tarir d’éloges vis-à-vis de ses acquis et prouesses. Traumatisée par les tentatives de coup d’Etat, elle a tenu à l’organisation et à la réussite des élections libres au Burkina en décembre 2015. Le Président de la Transition, Michel Kafando (M, Ba Michel) et toute son équipe méritent des ovations pour ces points.
Que pensez-vous du Burkina post insurrection deux ans après ?
Le Burkina post insurrection deux ans après n’est pas aussi séduisant. La situation économique, les fractures sociales, l’insécurité grandissante dans le pays ces derniers temps, sont une preuve que le pays va mal. Je constate avec amertume que le changement a consisté principalement à déloger Blaise de Kossyam. Des anciennes méthodes sont toujours en vigueur. Les dirigeants actuels, résistent moins à l’esprit de vengeance politique au lieu de s’attaquer aux réelles causes de l’Insurrection. Les vieux dossiers en justice s’enlisent davantage. Pourquoi le dossier Thomas Sankara, celui de Dabo Boukary, de Norbert Zongo etc, sont toujours bloqués malgré des discours politiques. Tous avaient été gagnés à l’idée que c’était Blaise seul qui obstruait ces dossiers. Mais on devient plus confus qu’après deux ans d’absence du pays, ces dossiers restent au statu quo. Allons- y comprendre !
Dans ce Burkina post-insurrection, certains citoyens se voient confisquer leurs droits civils et politiques. Des personnes soupçonnées d’implication dans le putsch manqué de septembre 2015 ne sont pas encore jugées, toute chose qui inspire qu’on exploiterait politiquement les faiblesses des textes de la justice burkinabè, soit pour punir les autres, soit pour se couvrir. Comme quoi, il est difficile d’être juge et partie ! L’esprit de l’insurrection qui a exigé une justice équitable pour tout Burkinabè aurait voulu que l’on les juge dans les délais requis. Que les coupables soient punis conformément à la loi et que les blanchis retrouvent la liberté. Mais nous constatons qu’ils restent illégalement emprisonnés.
La logique de la justice du plus fort, en mode active après le coup d’état de 1987 semble refaire surface dans un Burkina post-insurrection. La politique de la chasse aux sorcières est l’arme de vengeance de certains leaders du moment. On stigmatise, on nous sert des discours de haine, de rejet de l’autre au lieu de s’attaquer aux vrais défis. Les nouveaux leaders, en tant que seuls capitaines du bateau national, devraient se départir de l’esprit de la politique politicienne, souvent instigateur de haine, pour soigner de façon patriotique, les plaies de l’éducation, de la santé et de la sécurité en vue d’un Burkina émergeant. La meilleure façon de déshabiller l’ennemi ne consiste pas à se victimiser médiatiquement mais à s’engager avec sérénité à l’accomplissement de ses engagements politiques vis-vis du peuple, de qui on a reçu le mandant de gouverner. Toute autre agitation ne serait que de la distraction aux seules fins d’enivrer le peuple et le rendre aveugle face à l’éclat sombre de ses incompétences. L’efficacité ne fait pas de bruit alors que l’arbre qui chute casse les tympans de par le bruit assourdissant de son écroulement.
Si c’était à refaire ?
« Les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions ». Il en découle que si les mêmes obstacles se dressent encore sur le chemin de la démocratie naissante dans notre pays, je n’hésiterai pas à contribuer aux possibles redressements de la situation. Dans une démocratie, il y a un minimum de fidélité aux principes directeurs indiqués dans les textes de la loi fondamentale qu’est la Constitution. Je regrette l’usurpation et la trahison qu’on a faites de l’insurrection, mais je ne regrette pas d’avoir donné de la voix pour interpeler Blaise Compaoré à respecter sa parole donnée. Je me rappelle lui avoir suggéré de faire de telle sorte que quand il ne serait plus Président, qu’il jouisse des fruits de la maxime de chez nous : « Etre un vieux sage adossé à un mur, ceux qui y vont profiteront de sa sagesse et ceux qui s’en éloignent mériteront une perte indicible ». Malheureusement, les choses ont fini autrement. C’est l’occasion pour moi de le féliciter d’avoir compris en dernière position son peuple. « J’ai compris le message de mon peuple » avait-il lancé tardivement avant de rendre sa démission.
Le type d’insurrection que j’aurais souhaité pour le futur, n’est plus celle qui consistera à conduire les jeunes, torches nues, à affronter les machines de la mort dans la rue. Où est la justice pour ses disparus tragiques ? Celle à laquelle je participerai désormais, c’est l’insurrection individuelle dans les esprits.
Au regard des manquements de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, je souhaite que chaque Burkinabè fasse désormais sa propre insurrection qui doit substantiellement consister à un changement de mentalité, une révolution d’esprit qui nous amènera à refuser de voter pour quelqu’un contre un tee-shirt ou un sac de riz. Une conversion qui nous éloignera d’accompagner un politicien parce qu’il nous a promis une promotion. Bref, j’appelle de tous mes vœux, cette insurrection dans les esprits qui nous rendra plus préoccupés et plus engagés pour le bien commun. C’est une telle insurrection qui forcera les politiciens à changer réellement pour le bien des citoyens. Autrement, ils continueront à utiliser le peuple en salade ou en d’autres ingrédients pour meubler leur sandwich.
Seule une prise de conscience réelle, des sacrifices personnels et collectifs peuvent aider à bâtir un Burkina meilleur pour les générations à venir. Que cette insurrection des esprits individuels nous engage résolument sur le chemin d’une réconciliation nationale en vue de l’union des fils et filles du pays des Hommes intègres. Que Dieu bénisse le Burkina Faso.
Propos recueillis par c ; PARE
Lefaso.net
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Source: LeFaso.net
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