L’affaire fait bruit depuis un moment à travers des médias. Elle oppose, à l’origine, le directeur de la SACOM (Société africaine de commerce), Ousmane Ilboudo à Alidou Ilboudo, précédemment gestionnaire-caissier dans ladite Société. Ce dernier est accusé de « détournement de fonds ou abus de confiance ». Par un communiqué en date du 10 octobre 2016, la Fédération Nationale des Associations du Secteur Informel (FENASI) traduisait sa consternation sur le sort réservé au dossier par la justice burkinabè et « condamnait avec fermeté le comportement de la justice vis-à-vis de ce dossier ». Le premier concerné, le directeur de la SACOM, Ousmane Ilboudo, lui, ne décolère pas vis-à-vis de la justice. Du moins, de certains acteurs dont il cite ouvertement les noms. Il promet dévoiler publiquement les jours à venir, des « pratiques graves » au sein de la justice. En‘’attendant », nous l’avons approché et voici comment il reconstitue les faits.

Lefaso.net : Depuis quelques jours, on note des sorties publiques de votre part pour dénoncer des actes dont vous dites être victime de la part de la justice. Du moins, de certains de ses acteurs, singulièrement de magistrats au sujet d’une affaire qui vous oppose à votre neveu. Pouvez-vous nous retracer le problème ?

Ousmane Ilboudo : Ilboudo Alidou est un des enfants de mon grand-frère. En 1998, je suis rentré au village à Pouytenga, pour le faire venir à Ouaga afin qu’il m’aide dans mes affaires. J’ai créé une petite entreprise pour qu’il puisse gérer. En 2003, j’ai fermé cette entreprise et je l’ai envoyé dans mon magasin pour qu’il gère. Nous vendons au moins douze produits(vente de tomate, lait, huile, spaghetti, des pagnes, etc.). Alidou (Ilboudo) était en charge de délivrer les factures et de faire des dépôts en banque (gestionnaire-caissier). C’est lui également qui faisait les dépenses dans le cadre de mes affaires. En 2007, j’ai eu des problèmes de santé qui m’ont obligé à quitter le pays pour des soins. De retour, j’ai constaté des problèmes dans les comptes. En 2009, j’ai fait une rechute qui m’a immobilisé pendant trois mois à l’extérieur. J’y ai passé deux mois et quand je suis rentré au pays, j’ai eu un moment de convalescence qui a duré encore deux mois à la maison, je ne venais pas au travail. Il (Alidou) pensait certainement que je n’allais pas survivre.

Donc, il a ramassé tous les fonds. Le 10 janvier 2013, l’affaire a finalement éclaté au grand jour et a été portée à la Brigade de gendarmerie de Boulmiougou. Je l’ai conduit là-bas pour des besoins d’enquête. Il a déclaré là-bas que la somme qu’il a priseétait de 115 millions alors qu’il avait lui-même reconnu auparavant avoir détourné plus de 160 millions. Au terme de sa détention, la gendarmerie l’a déféré à la MACO (Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou). Mais, quand on l’a conduit à la Gendarmerie, j’ai dit que pour des besoins de l’enquête, c’est mieux que la clé du coffre-fort reste avec lui et que moi, j’avais seulement besoin de la clé de la porte (magasin). Le jour où la Gendarmerie devait venir pour les vérifications, Alidou (Ilboudo) a pris les clés du coffre-fort pour jeter dans les toilettes à la Gendarmerie. Pour cela, la Gendarmerie était obligée de chercher une autre clé (faire fabriquer) pour ouvrir le coffre-fort mais elle n’a trouvé qu’environ un million dans le coffre-fort.

Lefaso.net :…et l’affaire est maintenant partie en justice ; où en êtes-vous ?

Ousmane L. Ilboudo : A partir de la justice, c’est le juge … (un juge d’instructions dont nous tairons le nom) qui s’est saisi du dossier et il m’a délivré des convocations pour remettre aux créanciers de Alidou (puisqu’il avait dit que la somme qui manque, c’était en réalité des crédits qu’il avait accordés à des clients). Le lendemain, le juge m’a appelé pour me dire qu’il y a un avocat qui lui a adressé une correspondance et qu’il voudrait savoir si c’est mon avocat. J’ai répondu par l’affirmatif.

Il m’a ensuite dit qu’il n’aime pas cet avocat, parce qu’il ne connaît pas d’arrangements. Il m’a dit que si c’est Me Proposer Farama qui est dans ce dossier, lui, il ne peut pas m’aider. Je lui ai dit qu’il n’y a pas de problème. J’ai alors compris que ça n’allait pas bien se passer. Deux jours après, il m’a encore rappelé pour m’informer que le procureur (du TGI Ouagadougou) dit que Alidou a ouvert un compte pour y mettre l’argent. J’ai neuf comptes, pour les besoins de l’enquête, j’ai dit de tirer l’état pour voir s’il y a effectivement eu des mouvements sur mes comptes. Mais jusqu’à ce jour, rien n’a été tiré comme états. J’ai en plus dit : il y a un registre où passent tous les mouvements, je l’ai envoyé chez le juge (juge d’instructions, ndlr) mais ça a fait deux mois là-bas et sans suite. Un jour, la banque (une des banques de la place) m’a appelé pour m’informer que la justice demande mon relevé. J’ai rappelé le juge (d’instructions) qui m’a dit que c’est lui qui a demandé parce que Alidou (Ilboudo) a dit qu’il a versé l’argent dans trois comptes. Il a tiré, je suis réparti avec mon registre pour comparer. Mais rien n’a été trouvé. Après, le juge me fait savoir par la suite que le procureur dit que la personne sous le nom de laquelle Alidou a ouvert le compte est son beau-frère, de le relâcher donc. Il (ami à Alidou) avait fait quelques jours à la MACO. Sur les comptes de cet ami, il a versé deux milliards 630 millions. L’affaire a eu d’autres implications au niveau de la justice parce que des juges ont voulu gérer des questions d’argent directement alors que ça ne relevait pas de leurs compétences. Ils ont commencé en quelque sorte des affaires…

Lefaso.net : Et votre avocat, Me Farama, s’est-il effectivement retiré ?

Ousmane L. Ilboudo : Non, parce que je savais que ces juges-là voulaient m’escroquer. L’avocat a même appelé le juge pour lui demander pourquoi il ne voudrait pas qu’il gère ce dossier. Il lui a dit que c’est plutôt moi qui ne l’avais pas bien compris…Finalement, l’affaire a abouti à un non-lieu. Me Farama a dit qu’il n’était pas d’accord. Donc, il a interjeté un appel devant la Cour d’appel.

Lefaso.net : C’est à quel moment l’appel a été interjeté ?

Ousmane L. Ilboudo : C’est vers juillet 2013. Je suis allé voir le procureur général pour lui expliquer et lui apporter mes preuves. Il m’a accompagné à la Brigade de Gendarmerie de Kosyam pour que là-bas, l’on puisse l’aideravec les enquêtes. Quand ils ont arrêté Alidou, ils ont trouvé plus de 40 millions en liquidité, un camion remorque qu’il a acheté, une maison bien construite avec lui et un numéro téléphone qu’il utilisait pour escroquer les clients. Trois jours après l’arrestation de Alidou (Ilboudo), le procureur (TGI) a ordonné à la Gendarmerie de mettre le petit (Alidou) en liberté provisoire. C’est là que la Gendarmerie lui a fait savoir qu’elle répond que des ordres du Procureur général et qu’en plus, il ne s’agit pas de la même affaire. Alidou avait reconnu avoir pris 115 millions FCFA alors qu’on a retrouvé plus de 40 millions de francs en espèces sur lui, une remorque, une maison etc. Alidou a lui-même expliqué que lorsqu’il est sorti de la prison, c’est le juge (d’instruction) et un autre magistrat qui lui ont dit de changer les papiers du camion-remorque pour mettre le nom de son grand-frère. La gendarmerie a appelé ce dernier qui a confirmé et il a même dit le jour où ça a été fait. Avec les preuves, la gendarmerie a envoyé Alidou (Ilboudo) au palais. Mais, le même soir, les mêmes juges l’ont libéré et il est venu à ma boutique ici pour partager de l’argent aux employés.

Lefaso.net : … Il est venu distribuer de l’argent à vos employés, c’était devant vous ?

Ousmane L. Ilboudo : Oui et c’était devant moi.

Lefaso.net : Vous avez donc interjeté appel ?

Ousmane L. Ilboudo :Entre temps, on m’a fait savoir au niveau du tribunal (de grande instance) que comme le dossier a été envoyé à la Cour d’Appel, eux, ils ne retrouvaient pas les traces. Je suis allé 22 fois à la Cour d’Appel en vain, je n’ai pas retrouvé le dossier (parce que le dossier n’a pas été transféré). J’ai expliqué ça au ministre de la justice (sous la transition, ndlr) qui avait confié le dossier à un de ses conseillers. Comme le dossier n’avançait pas, j‘ai menacé d’aller parler de l’affaire dans la presse. C’est-là qu’ils m’ont dit que je vais gâter leur travail, si je faisais ça. Par la suite, ils ont retrouvé le dossier qui a été transmis à la Cour d’Appel. Et un jour, je me présente à la Cour d’Appel pour avoir des nouvelles de l’avancement, et on me dit que le verdict a été rendu la semaine dernière. Sans m’informer et sans informer mon avocat. C’était en mars 2016. Mon avocat a alors écrit au Parquet pour demander qu’on ressorte le dossier pour faire des enquêtes propres. Mais notre demande n’a pas été acceptée.Après ça, j’ai saisi l’ASCE-LC en avril (2016)avec les preuves. L’ASCE-LC a saisi la gendarmerie et la section de recherche m’a appelé pour me montrer d’autres actes encore plus graves. Le petit (Alidou Ilboudo) a, par des pratiques, ruiné plusieurs gros clients à qui je suis obligé actuellement de venir en aide pour assurer leurs besoins quotidiens. Le nouveau dossier de 135 entre les mains de la brigade de gendarmerie de Kosyam est introuvable, on ne sait pas où ça se trouve. Au niveau de la Cour d’Appel, c’est un non-lieu aussi. Depuis mars (2016), j’ai soumis mon dossier au ministre de la justice mais jusqu’à ce jour, pas de réponse. Je ne sais donc pas ce qui se passe.

Lefaso.net : Que dit votre avocat ?

Ousmane L. Ilboudo : Le juge a tenté plusieurs fois de corrompre mon avocat qui a dit que lui, il n’est pas dans ce genre de pratiques. Le petit Alidou (Ilboudo) est même en train de construire pour le juge. Il y a trois juges dont je peux dire qu’ils ont eu,en tout cas, pour eux dans ce dossier. Je n’ai pas peur de le dire ouvertement. J’en ai parlé sur des radios et j’ai entendu que la justice dit qu’elle va m’appeler. J’attends seulement cet appel, parce que j’ai beaucoup d’éléments accablants à révéler. J’ai même expliqué que Madame Lopez (Safiétou Lopez/Zongo, présidente d’honneur du CCNOSC, ndlr) a totalement raison sur les pratiques qu’elle dénonce au sein de la justice. Moi-même, j’attends cet appel de la justice. En tout cas, si on m’appelle, je vais tout dire.

Lefaso.net : Que devient donc votre neveu, Alidou Ilboudo ?

Ousmane L. Ilboudo : Il est devenu un grossiste, il commande avec un de mes fournisseurs, il fait de grosses commandes. Il vend les mêmes marchandises que moi maintenant. Il fait des commandes de centaines de millions. En tout cas, il y a des choses si je vous dis, vous allez être très déçus. En tout cas, les jours à venir, je vais révéler des choses (sur la justice), même s’ils veulent ils n’ont qu’à m’emmener à la MACO.

Propos recueillis par Oumar L. OUEDRAOGO

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Source: LeFaso.net