On croirait d’entrée de jeu, que se plaindre d’un pouvoir qui n’a même pas un an d’exercice, c’est tomber dans le piège de « l’oppositionisme ». Nous sommes de ceux qui se sont toujours refusés de juger l’action d’un gouvernement à peine installé. Mais nous croyons que si l’inertie manifeste dont fait preuve cette équipe gouvernementale n’aurait pu nous émouvoir outre mesure, son agitation à l’étranger, signe d’un amateurisme notoire, oblige une sortie du citoyen que nous sommes.
Comme si parce que l’on est journaliste, il faut communiquer à tout bout de champ, même avec le faux et le ridicule. La diplomatie burkinabé fait écrire sciemment à « Jeune Afrique » ceci : « Kaboré invité par le Pape François pour parler de son pays, exemple de tolérance religieuse ». On sait que selon les principes de la diplomatie vaticane, le Pape n’invite jamais. Et tous les chefs d’État qui vont et viennent au Vatican introduisent d’eux-mêmes la demande, mais pas de l’initiative du Saint-Siège. Mais là n’est même pas le problème.
Que veut-on nous faire croire, monsieur le Premier Ministre ? Que le Président Kaboré n’est pas sensible aux plaintes persistantes et parfois justifiées de ses compatriotes quant à l’inertie du gouvernement, ou qu’il n’en est même pas au courant ? Que la recherche de solutions idoines à toutes ces récriminations ne l’empêche pas de dormir pour qu’il fasse du dialogue religieux la marque déposée du Burkina ? La coexistence religieuse pacifique est-elle en passe d’être l’image de marque que nous voulons vendre à l’international ? Nous voudrions savoir ce que cela rapporterait à un pays dont le véritable problème repose sur la précarité de son tissu économique. Peut-être attirer les investisseurs ; mais qu’a-t-on vu depuis lors ?
Au demeurant, nous pensons que le gouvernement Thiéba devait avoir une double lecture de ce rapport de « International crisis group » sur le Burkina de l’ère Kaboré, du point de vue de son mobile et de ses conclusions. Cela vaut également pour l’action de ces groupes dits ONG internationales de défense des droits de l’homme. De mémoire d’homme, nous n’avons jamais entendu ou enregistré une plainte fondée sur la religion au sujet d’une quelconque exclusion. Cette ONG a servi de tribune à une telle fin. Attendons de voir si elle ne va pas entretenir et attiser une haine sur cette fibre. Si l’autocratie de Blaise, la gabegie des dirigeants de la transition, l’idiotie du coup d’État maté (et non manqué), n’ont pas pu mettre à terre le Burkina, nous craignons fort que le débat religieux n’y parvienne. Ne banalisons pas ce fait car, ailleurs c’est ainsi que l’on a entretenu les mobiles de guerre.
Si c’est dans ce sens que le gouvernement agit à l’international, il devra fournir plus d’efforts pour convaincre que la solution se trouve à l’international et pire au Vatican, si l’on en croit les conclusions dudit rapport. Mais puisque les écritures saintes nous enseignent que « Dieu écrit droit sur des lignes courbes » espérons que le Vatican saura en faire autant : parler de la grogne sociale au lieu d’une quelconque exemplarité supposée.
S’il y a encore un chef de gouvernement, nous pensons qu’il lui faut écouter les populations. Ces plaintes ne sont pas des jérémiades, prêtez y attention et vous verrez que l’on peut bel et bien structurer une action gouvernementale autour de celles-ci. Nous vous paraitrons sévère, loin s’en faut, le réalisme nous y oblige. Dans la situation actuelle du pays, toute action gouvernementale devrait comporter une puissance de soulagement des peines des populations, mais il nous semble que ce n’est pas le cas. Nous en voulons pour preuve les multiples tournées du ministre de l’agriculture dans les champs choisis de quelques rarissimes entrepreneurs agricoles, celles du premier ministre pour expliquer le Plan national de développement économique et social (PNDES) dans toutes les régions alors qu’il existe des Directeurs régionaux de l’économie et de la planification (DREP) qui ont été associés sur toute la ligne, au processus d’élaboration du PNDES.
Au rang de ces sorties de prestige, souffrez que l’on classe le voyage du Chef de l’État au Vatican, quoique pouvant être justifiée au regard des réalisations de l’Église Catholique au Burkina. Mais ce déplacement pourrait être vidé de son sens par le tapage médiatique maladroit du chef de la diplomatie. Blaise et son équipe n’en faisaient-ils pas autant !
Monsieur le Premier ministre, n’allez pas méprendre les plaintes des populations ; elles sont simples et têtues. Ce sont les cris de ces travailleurs qui demandent à juste titre de meilleures conditions de vie et de travail. Ce sont ceux des populations périurbaines et rurales qui manquent cruellement de service d’hygiène, d’assainissement et d’eau potable. Ce sont ces mères dont les nouveau-nés meurent du paludisme, de ces femmes enceintes incertaines de s’en sortir la vie sauve, de ces élèves qui en cette rentrée scolaire devront se contenter de paillottes comme salles de classes. Ce sont des burkinabé de l’étranger qui ne bénéficient d’aucune mesure d’accompagnement pour assurer leur part de combat en étant dehors ; bref, ne sont-ce pas des causes légitimes ?
Voulez-vous un exemple de sortie bénéfique pour les burkinabè, voyez la dernière sortie de la première dame à Addis Abeba, elle a ramené un pactole de 4 milliards pour lutter contre les mutilations génitales féminines. « C’est du concret » (comme on le dit chez nous).
Ceux qui verraient en cet article de « l’oppositionisme » rétorqueraient que tous ces cris sont bien antérieurs au pouvoir en place. Il nous semble que c’est vrai ; mais il est vrai également que c’est pour mettre fin à cela que le peuple (entendre par « peuple » ceux sur qui s’est exercé le pouvoir pendant ces décennies (Michel Onfray)) s’est insurgé. C’est dans l’espoir d’un jour nouveau qu’il est parti aux urnes et en attendant de s’aviser à la prochaine présidentielle, ce peuple a espéré voir en vous, celui qui lui fera voir les signes du changement. Oui le peuple mesure le prix à payer pour qu’advienne ce changement, il voudrait juste d’un guide, d’un maitre d’orchestre.
Le premier ministre est en principe le maitre d’orchestre ; qu’il le soit pleinement. Ainsi on éviterait la persistance de fausses notes ou la cacophonie quelquefois indiscrète au sommet de l’État et surtout la quasi absence de l’effet de l’action gouvernementale.
Célestin Badolo, activiste de la démocratie et des droits de l’homme
Source: LeFaso.net
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