Il est à craindre que le Burkina Faso ne soit actuellement assis sur un volcan de crises sociales dont l’irruption commencerait à partir de ce mois d’octobre marquant la rentrée effective dans tous les cycles de l’éducation nationale : préscolaire, primaire, secondaire, supérieur. Une rentrée qui s’annonce comme un vrai cass-tête burkinabè avec déjà une bonne dizaine de préavis de grève sur la table du gouvernement.
La rentrée administrative a déjà montré sa face tumultueuse, étant donné que les acteurs ne parviennent toujours pas à accorder leurs violons. Le regroupement des segments des enseignements primaire et secondaire au sein d’un seul département ministériel exacerbe actuellement des difficultés et des contradictions structurelles qui ont longtemps couvé sous l’embellie de l’école burkinabè. Les encadreurs pédagogiques n’ont pas manqué de hausser le ton tandis que les partenaires sociaux des universités publiques tentent d’arracher un accord avec les autorités nationales. Les balbutiements dans la mise en place du continuum rendent encore coriaces les initiatives et les engagements de résolution de la litanie de traditionnels problèmes qui entravent chaque année le fonctionnement sérein du système éducatif.
A équidistance entre les exigences sans cesse remises sur la table par les enseignants et les besoins récurrents des apprenants, se dresse le fossé, devenue un abîme, entre l’offre et la demande. Les infrastructures se révèlent, d’année en année, en deçà des effectifs. En plus de cette réalité qui perdure, l’incivisme reste le terreau idéal de la perturbation des années scolaires et académiques. Les graves crises sociopolitiques, comme celles de 2011, ont résulté de quiproquos dans les écoles, les lycées et les universités qui ont été savamment et malicieusement récupérés par des corporations à des fins parfois inavouées. De la mort de Justin Zongo, l’on a abouti à une mutinerie d’une violence jamais égalée dans l’histoire récente du Burkina Faso.
Au moment où la rentrée judiciaire s’ouvre sous de nouveaux espoirs avec des magistrats promptement satisfaits, celle de l’éducation nationale pourrait sonner un dialogue social de plus en plus sourd entre le gouvernement et les autres acteurs de l’administration publique. La vie de la nation pourrait en pâtir.
L’accalmie relative voulue par la saison des pluies pourrait, très bientôt, voler bruyamment en éclats. Il y a une sorte de prémonition entretenue par des chants de cygne que la somnolence, due à l’insurrection populaire contre la modification de l’article 37 et la résistance générale contre le putsch manqué, va précéder le réveil brutal des mêmes démons qui ont hanté, sans le moindre répit, les dernières années de Blaise Compaoré. Les mesures sociales accordées çà et là n’ont pas pu éviter la débâcle.
A l’épreuve du pouvoir, les RSS ont beau clamer qu’ils n’ont jamais prétendu être “des faiseurs de miracles”, les attentes de compatriotes, de plus en plus impatients, se font pressantes. De tous les côtés, le nouveau régime est assailli et rattrapé par des préoccupations que ses figures de proue ont cru pouvoir “remettre à plus tard” ou “ranger aux oubliettes” quand elles étaient aux affaires. Dès l’an I de Roch Marc Christian Kaboré à la Présidence du Faso, toutes les catégories socioprofessionnelles entendent réclamer, ici et maintenant, leur part des promesses électorales et électoralistes formulées dans le Programme présidentiel ou dans les envolées “démagogiques et populistes” lors des meetings.
La fin des vacances scolaires et académiques semble aussi annoncée celle de la recréation sociale. Elle intervient dans un climat de tensions sociales marquées par un double retard constaté aussi bien dans la satisfaction des revendications des fonctionnaires que dans la relance économique. Le gouvernement traine le boulet d’un chapelet de révendications portées par des syndicats de plusieurs corps de l’administration publique. Ceux-ci sont encouragés et convaincus d’un bon droit mû par la prompte satisfaction des doléances des magistrats. La boite de Pandore a été, en grande partie, ouverte avec les faveurs accordées aux hommes en toge en un quart de tour de grogne sous le discutable prétexte que leur nouveau traitement salarial garantirait, un tant soit peu, la sécurité socioprofessionnelle notamment l’indépendance de magistrats que la nouvelle ère de l’Etat de droit met sur la sellette et interpelle plus que quiconque. Partant du postulat que “c’est l’action de l’ensemble des fonctionnaires, toutes catégories confondues, qui concourt à la création de richesses, à la stabilité et au progrès du pays”, toutes les sections de la Fonction publique se sont inscrites dans la même dynamique pour “exiger de meilleures conditions de salaire et de travail”.
Entre la quête de statuts particuliers, l’effectivité de décrets d’application ou l’attribution de fonds communs et la diversification ou l’augmentation d’indemnités, Paul Kaba Thiéba et ses ministres se trouvent, à juste titre, beaucoup acculés ces temps-ci. Tous les départements ministériels sont en ébullition. Le reversement de plus de cent mille fonctionnaires, selon les nouvelles dispositions de la loi 081, ne semble pas avoir atténué les grognes à venir. En attendant que les partenaires sociaux de l’éducation nationale rentrent en scène pour un oui ou pour un non, la rentrée scolaire et académique coincide avec la grève de soixante-douze heures du Syndicat national des travailleurs de l’Information et de la Culture (SYNATIC). Ce mouvement, au cours duquel “plume, micro et caméra” vont être rangés pour causer un silence revendicateur dans les journaux, sur les ondes et les écrans d’Etat, a lieu dans un tourment communicationnel causé depuis quelques jours par les travailleurs de l’Office national des télécommunications (ONATEL) sous la bannière du Syndicat national des télécommunications (SYNATEL). Le dysfonctionnement des communications et de la connexion Internet est ressenti avec acuité sur tout le territoire national.
L’élan de révendications dans l’administration publique réjoint alors celui pris, il y a quelques mois, dans certains pans du secteur privé, particulièrement dans les mines. Cette concomitance vient accroître la morosité actuelle de l’économie nationale dont les leviers se trouvent déjà éprouvés. En plus du contexte sécuritaire fragile, des mouvements sociaux récurrents et exagérés ne font qu’envenimer l’impact socioéconomique d’une situation sans cesse inquiétante.
Il appartient au gouvernement Thiéba d’éviter à tout prix de tomber dans l’embuscade de grognes sociales qui se dresse inéluctablement devant lui. Cela passe par des actions fortes et concrètes pour dissiper les craintes et les doutes de façon diligente. Car les neuf premiers mois du quinquennat semblent marqués par des hésitations et des tergiversations. Avant même sa mise sur orbite, le Plan national de développement économique et social (PNDES) court déjà le risque d’être pris dans un tourbillon dont les instigateurs et les pouvoirs publics auront du mal à contenir et à circonscrire les effets pervers sur un pays qui cherche péniblement sa voie sur tous les plans.
Filiga Anselme RAMDE
filiga.ramde@yahoo.fr
Pour lefaso.net
Source: LeFaso.net
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