Ceci est une tribune de l’écrivain et poète Emile Lalsaga, sur « plausible présence des génies » habitant le siège du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Selon l’auteur, l’on peut croire ou ne pas croire à la présence des génies mais il souhaiterait que l’on se garde, sous le couvert de la raison moderne, de vilipender « ces présences invisibles » qui cohabitent en toute harmonie avec les vivants.
Affaire du siège de Fespaco la, est-ce qu’on a proposé aux génies un site de relogement avec indemnisation ?
Génie demande poulets et whisky. On achète pigeon et kimapouss. C’est normal qu’il s’énerve.
J’ai un oncle au village, il n’a pas de numéro IFU, mais si on lui donne le marché il va déguerpir les génies du FESPACO. Je suis son manageur !
Le cinéma est le 7e art. Pour faire de l’art il faut du génie ! Donc il faut être un sorcier génial pour faire un festival de cinéma sans génies !
Il est vrai qu’à l’heure de la libération de la parole, de la pluralité des opinions souvent « confuses » et de la manifestation de la mal-gouvernance, les gens, bien qu’ayant le droit de poser le débat sous plusieurs angles, doivent impérativement se garder de sortir du contexte. Le contexte ici, c’est bien notre africanité qui est mise à rudes épreuves.
Les religions révélées et le « cogito ergo sum » tentent de saper nos réalités ancestrales et profondément culturelles. L’on se laisse téléguider par les prouesses du modernisme et de la technique qui savent dompter la nature. C’est bien beau mais il ne faut pas occulter souvent notre « histoire commune », nos traditions et nos coutumes.
C’est un secret de Polichinelle, Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, est bâti sur les rives de la rivière Kadiogo. Avec l’urbanisation, un long canal traverse la ville canalisant les eaux pluviales jusqu’aux portes des barrages de Tanghin et dans le bassin de Bangr-weogo, poumon d’oxygène de la capitale. Or, il se trouve que des édifices ont été bâtis le long du canal. C’est le cas du siège du Fespaco qui jouxte le pont Kadiogo à Gounghin.
Cette infrastructure qui se veut imposante a du mal à tenir sur les lieux. Il nous revient que des forces mystiques et invisibles habitent ce site. Un doyen affirme : « le long de la rivière Kadiogo, surtout de la chapelle Jean XXIII à l’immeuble Boaghin, était un lieu de sacrifices rituels. Avant la construction du canal beaucoup de gens tombaient du haut du pont Kadiogo.
Dans la zone les boas sacrés du Mogho Naba visitaient les cours mais ne s’attaquaient pas aux gens. On leur donnait du zoom-koom (boisson faite à base de farine de petit mil) et on allait informer sa Majesté qu’on avait reçu des étrangers. Ainsi, il envoyait faire les sacrifices et les boas se retiraient. »
Au regard de ces propos, l’on entrevoit un pan de notre histoire qui nous invite à poser les bonnes questions. Dans l’univers moaga, il y a le moogho (territoire) et le weogo (brousse, forces surnaturelles). Le weogo a la primauté sur le moogho, le weogo est secret et sacré du moogho. Voici pourquoi il est toujours vénéré et bénéficie de rituels périodiques.
Dans la typologie des interdits mossé, il en ressort clairement qu’il est défendu de se coucher dans une clairière, un bosquet, un site de rituels ou d’occuper ces lieux. Ce sont des endroits dangereux et le lieu de passage des ziin-damba (djinn) et le séjour des kinkirsi (génies), en même temps qu’ils sont les carrefours de plusieurs forces invisibles où se retrouvent régulièrement les sorciers pour leurs sabbats. Malheureusement, l’homme moderne fait fi de ces considérations et ne respecte pas souvent certains rituels préalables avant toute action (occupation des lieux par des vivants. Cela peut frustrer ces esprits invisibles.
Pourtant, avec les génies, il y a toujours une porte de sortie pour peu qu’on respecte leur esprit. Nous devrions prendre de la hauteur sans moquerie sur ce qui est dit. Je peux me tromper. D’ailleurs, je n’ai pas la prétention de tenir les rênes de la vérité. Ma démarche, bien qu’elle ne soit pas scientifique, se veut compréhensive, contextuelle et n’en demeure pas ex nihilo.
Il ne s’agit pas non plus d’apporter de l’eau au moulin du ministre Sango et je n’occulte pas aussi l’idée des conséquences de la mal-gouvernance sur la construction de ce siège. On peut croire ou ne pas croire à la présence des génies mais je souhaiterais que l’on se garde, sous le couvert de la raison moderne, de vilipender « ces présences invisibles » qui cohabitent en toute harmonie avec les vivants.
Ces génies attaquent toujours quand ils sont offensés. Et c’est le lieu pour moi de rappeler que le monde invisible est fait de mystère de toute sorte. Il appartient donc aux vivants du moment d’en tirer toutes les conséquences. L’on se rappelle encore que dans la soirée du 15 janvier 2013 et vers 16h30, des flammes se sont emparées de la cinémathèque du Fespaco.
En pareilles circonstances, une enquête commanditée par la police a été ouverte en bonne et due forme pour permettre de connaitre les vraies causes du sinistre. Quelles ont été les conclusions de cette enquête ? Mystère et boule de gomme ! Le flou autour de cet incendie laisse libre cours aux rumeurs qui attribuent les causes à la présence des forces surnaturelles sur les lieux.
Au-delà de ces considérations, certains scientifiques pensent que la qualité de certains sols pose problème pour l’érection de certains bâtiments. Les données sur l’environnement doivent être prises en compte au cours des études de faisabilité. Personnellement, je pense que nos autorités pouvaient trouver un site plus approprié et vaste pour une grande manifestation africaine qu’est le Fespaco.
Sa proximité avec le pont Kadiogo et son érection au bord d’un canal « à problème » posent la question même de son existence et de la vision que nous portons sur la grandeur de nos institutions et les projets futuristes gages d’un développement durable pour notre pays. En 2019, le Fespaco aura 50 ans. Faut-il laisser le cinéma africain sous « l’emprise des génies » ou le noyer le dans les eaux du Kadiogo ?
Emile Lalsaga
De Wend bulug lal saaga ta ko bùnum tont saabo
Ecrivain / Poète
Email : wendguuda2000@gmail.com
Source: LeFaso.net
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