La fin des vifs débats sur le nouveau code électoral n’est visiblement pas pour demain. Après la sortie de l’institution Chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso (CFOP-BF), celle de l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle (APMP), suivies du parti au pouvoir (et même d’organisations de la société civile), c’est au tour de la première force politique de l’opposition, l’UPC, de donner son avis sur le code électoral. Ce samedi, 11 août 2018 à son siège national sis au quartier Gounghin de Ouagadougou, les responsables du « parti du lion » ont haussé le ton contre ce nouvel instrument électoral.
Décor ainsi campé, les conférenciers n’ont pas fait dans la dentelle ; tant dans la déclaration liminaire que dans les réactions aux questions des journalistes. « L’UPC rejette ce texte (code électoral, ndlr) tripatouillé par le pouvoir du MPP et alliés, pour quatre principales raisons », ont-ils circonscrit dans la déclaration liminaire avant de s’attarder sur lesdites raisons.
Il s’agit, primo, de l’arrimage du fichier électoral de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) au fichier de l’ONI (Office national d’identification). « En termes simples, la modification du Code électoral supprime les cartes l’électeur, et impose que le document servant d’enrôlement et de vote soit la CNIB ou le passeport. Ensuite, il n’y aura plus d’enrôlement physiquement dans les villages et secteurs, mais des envois de SMS et des appels téléphoniques à partir d’une liste annuelle que va fournir l’ONI et comportant de soi-disant nouveaux électeurs », ont exposé les conférenciers.
Forts de cela, ils estiment que le MPP peut donner deux, trois, cinq, et même dix CNIB à la même personne, avec des noms différents, pour qu’elle vote plusieurs fois dans des bureaux différents. Selon leurs explications, l’ONI étant sous contrôle du ministère de la Sécurité, « donc du MPP », le processus est susceptible de toutes les manipulations. « Ces derniers temps, le pouvoir en place a même provoqué une crise à l’ONI, pour pouvoir enlever ceux qui étaient-là et placer ses hommes fidèles », informent-ils, avant de s’interroger : « que cache cette situation ? ».
Toujours dans cette parenthèse, les conférenciers indiquent que la liste que l’ONI fournira à la CENI pour les envois de SMS peut compter des centaines de milliers de faux noms et de fausses adresses. « Personne ne sera là pour contrôler quoi que ce soit. L’ONI, contrôlé par le gouvernement et le MPP, peut aussi faire en sorte que les SMS soient envoyés à telles catégories de nouveaux électeurs favorables au MPP, et n’envoyer qu’à quelques personnes dans les milieux où le MPP est défavorisé », sondent les responsables du parti. Ces derniers rappellent au passage que la création de la CENI et l’organisation des élections par elle ont été le fruit d’une longue lutte de la classe politique pour retirer le processus électoral des mains de l’administration publique.
Tout en soulignant que leur parti ne remet nullement en cause la crédibilité du personnel de l’institution (ONI), les mandataires de l’UPC disent dénoncer ici « avec juste raison » la main politicienne qui y est derrière et qui peut tout faire dans le « noir total ».
En illustrations, le parti relève que « tous les Burkinabè n’ont pas forcément des téléphones portables » ; le taux d’analphabétisme étant évalué à plus de 70% (recensement général en 2006), l’envoi du SMS est à la fois inopportun et suspect ; les gens changent le plus souvent de numéros de téléphones ; le réseau téléphonique n’est pas de qualité dans plusieurs localités du pays. Toujours au titre des insuffisances liées à l’arrimage du fichier électoral de la CENI à celui de l’ONI, les conférenciers se sont adossés à l’article 53 du code électoral qui stipule que « la carte nationale d’identité du Burkina Faso ou le passeport ordinaire en cours de validité tient lieu de carte d’électeur.
La Commission électorale nationale indépendante prend les dispositions pratiques et techniques pour le recensement des majeurs détenteurs de la carte nationale d’identité du Burkina Faso ou du passeport. Il est délivré à l’électeur un document tenant lieu de récépissé identifiant son bureau de vote ». Le « parti du lion » s’interroge donc de savoir comment des récépissés, dont on parle, parviendront aux intéressés. « Ni l’opposition, ni la société civile, ne pourront avoir la preuve que les messages ont été envoyés ou pas à tels citoyens, et selon tel critère. On le voit bien, tout sera contrôlé par le MPP à travers le ministère de la Sécurité, et la CENI ne fera plus qu’accompagner les choses », perçoivent les animateurs de la conférence de presse.
Pour l’UPC donc, et avec ce qu’elle qualifie de « tripatouillage du code électoral », c’est le parti au pouvoir qui va décider des pourcentages respectifs. « C’est la fraude électronique qui se prépare », anticipent les responsables.
La deuxième raison qu’ils ont soulevée pour justifier l’hostilité au code électoral, tient au vote des Burkinabè de la diaspora. Ils ont ici indiqué que dans l’ancien instrument électoral, adopté sous la Transition, il était admis que parmi les documents de vote figurent la CNIB, le passeport et la carte consulaire biométrique et que les représentants du MPP, de l’UNIR/PS, du RDS, du PDS/Metba, et bien d’autres partis qui soutiennent aujourd’hui le pouvoir, « ont applaudi et voté cette réforme ». Ils ont également déclaré que « rien que l’année passée », les représentants du MPP et de la majorité présidentielle à la CENI ont proposé que la diaspora burkinabè puisse prendre part au vote avec l’un des trois documents que sont la CNIB, le passeport et la carte consulaire biométrique.
Ils ont en outre « rappelé aux dignitaires du MPP », que lorsqu’ils étaient encore du CDP, le rapport adopté en Conseil des ministres le 31 juillet 2013 sur l’opérationnalisation de la carte consulaire biométrique, ajouté aux différents rapports de la CENI, indique que cette dernière est conçue non seulement pour servir de CNIB, mais aussi pour servir au fichier électoral. « Donc, le mensonge gouvernemental consistant à dire que la carte consulaire n’est pas faite pour voter, tombe à l’eau. L’UPC rappelle au MPP et à ses griots, que nos compatriotes vivant en Côte d’Ivoire ont payé assez de tribut pour leur nationalité », ont-ils relevé. Tout en démontrant la fiabilité de la carte consulaire biométrique, l’UPC considère qu’en remettant en cause la nationalité de ces Burkinabè pour des intérêts électoralistes, c’est les livrer à des dangers incalculables.
L’UPC se dit également intrigué par les « contradictions flagrantes » relevées dans les sorties médiatiques des ministres du gouvernement. « Tels des enfants, les ministres eux-mêmes ne savent pas ce qu’ils racontent. On leur a ordonné de sortir défendre l’indéfendable, et chacun est allé juste dire ce qui lui vient à la tête », scandent-ils dans la déclaration liminaire. De leur avis, quand on est ministre, il faut prendre le soin de réfléchir sur les sujets « et quand on ne connaît pas, il faut se taire ».
« Nous causons également avec des camarades sincères du MPP, je le dis. Au niveau du MPP, il y a des gens qui sont sincères, avec qui nous causons et qui reconnaissent que, véritablement, il y a problème. Mais, malheureusement, ils sont dans un système où si tu dis que ce n’est pas bon, ils viendront dire que tu es avec l’opposition », confie le deuxième vice-président du parti, Adama Sosso.
Le troisième motif est relatif aux lieux de vote retenus par le nouveau code électoral.
« Dans le texte amendé en 2015, il était dit que le vote devait avoir lieu dans les ambassades et consulats, ou dans tout autre lieu en accord avec le pays hôte. Le MPP revient couper la dernière partie, pour dire que c’est seulement dans les ambassades et consulats. (…). Le Mali avait négocié par exemple en Côte d’Ivoire, plus de 300 bureaux de vote pour que ses ressortissants puissent voter cette année. Au Burkina, à la faveur du second tour de ce scrutin, prévu pour demain dimanche (12 août 2018, ndlr), les Maliens vivant ici bénéficient d’écoles gracieusement prêtées par les autorités burkinabè pour voter. Sauf cas de mauvaise foi, pourquoi notre gouvernement ne pourrait pas en faire autant ? », appuient les animateurs de la conférence.
Jaugeant la distance à parcourir par les Burkinabè dans certains pays pour pouvoir voter (si la loi restait en l’état), l’UPC est arrivé à la conclusion, sur ce point, que le parti au pouvoir multiplie les pièges pour empêcher la diaspora de pouvoir voter.
La quatrième raison tient à l’article 265 du code électoral qui indique que les cartes d’électeur obtenues après inscription sur présentation d’une pièce autre que la carte d’identité, demeurent jusqu’en 2021. Pour l’UPC, cette disposition implique que les Burkinabè de l’intérieur utiliseront des actes de naissance, des permis de conduire, des carnets de famille, des cartes de vaccination…, pour voter jusqu’en 2021. « Où se trouve donc l’équité entre Burkinabè (dont parle le gouvernement) dans le processus électoral ? », poursuivent Moussa Zerbo et ses camarades.
À en croire les responsables de l’UPC, la majorité a fait un « forcing », tout en sachant que ça ne passera pas. « On ne peut pas se permettre encore de gérer le pays comme avant l’insurrection… Les gens n’ont pas encore compris qu’il faut changer », avertit Adama Sosso. Pour ce dernier, le nouveau code électoral a été voté de manière calamiteuse. « Renseignez-vous, pas plus du tiers des députés du MPP ont lu le texte avant son adoption à l’Assemblée nationale », affirme le député Sosso.
Hamadou Diemdoda Dicko soutient dans le même élan qu’il faut un consensus, sinon il y aura des mécontentements ; le fichier électoral étant, selon lui, une question sensible. « On gagne une élection par quoi ? Par le fichier électoral », dit-il.
Même perception pour Rabi Yaméogo, qui pense que le « forcing » peut conduire le Burkina dans une situation qu’il n’a jamais connue en matière d’élections.
L’UPC dit donc soutenir pleinement la lutte que vient d’engager le CFOP-BF, à la fois contre le nouveau code électoral et la gouvernance du MPP de manière générale. « À cet effet, le parti appelle ses structures de l’intérieur et de la diaspora, ses militants et sympathisants, à respecter les directives du CFOP, et à se tenir prêts pour les manifestations qui auront lieu bientôt », ont-ils annoncé.
En regard de tous ces développements, l’UPC dit espérer que le président du Faso ne promulgue pas le nouveau code électoral, s’il est soucieux de la cohésion sociale.
Cette sortie a aussi servi de cadre aux conférenciers pour réagir aux propos du président par intérim du MPP qui qualifiait, lors de sa conférence du 7 août 2018, la position de l’opposition de ‘’film Western de mauvaise qualité ».
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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