Après la rupture des relations diplomatiques entre le Burkina et Taiwan, l’une des questions préoccupantes qui se posent est le sort des étudiants burkinabè à Taïwan. Les dispositions ont été prises à leur sujet, a annoncé le chef de la diplomatie burkinabè. Pour en savoir un peu plus, nous avons joint, par Internet, Mahamady Sangla, président de l’Association des Burkinabè de Taïwan. Il exprime une demi surprise car plusieurs rumeurs sur le sujet ont circulé, dont une sur le refus d’une grosse somme d’argent proposée par la Chine.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ? Quelles études faites-vous et depuis quand êtes-vous à Taiwan ?

Sangla Mahamady (SM) : Je me nomme Sangla Mahamady, ingénieur informaticien à Google LLC, je travaille dans l’un des Datacenters de la multinationale américaine basée à Taïwan. Je suis également président de l’Association des Burkinabè de Taïwan, en abrégée « ABT ». Il faut dire que je suis à Taïwan depuis 2011. J’ai obtenu mon master en génie informatique et électrique en 2014 à National Chiao Tung University, une université taïwanaise qui se trouve dans la ville de Hsinchu. Je suis également titulaire d’une maitrise en physique appliquée de l’Université de Ouagadougou (devenue Université Joseph Ki-Zerbo).

Lefaso.net : Combien d’étudiants Burkinabè y a-t-il à Taïwan actuellement et dans quelles filières sont-ils essentiellement ?

SM : La communauté burkinabè à Taïwan compte à peu près 200 personnes dont la majorité est faite d’étudiants et stagiaires, tous bénéficiant de la bourse taïwanaise. Ils sont essentiellement dans les filières telles que l’Informatique, le Génie Civil, le Génie Mécanique et Energétique, l’Architecture, la Santé (Médecine- Biologie-Nutrition), l’Economie (Economie Agricole- Business Administration-Finances), Diplomatie et Relations Internationales, l’Agriculture et l’Environnement.

Lefaso.net : Comment accueillez-vous la rupture des relations entre le Burkina et Taïwan ?

SM : Nous avons accueilli cette rupture avec une grande inquiétude, vu que c’est grâce à cette coopération que nous sommes ici à Taïwan pour notre formation. Nous avons surtout des inquiétudes et incertitudes concernant l’avenir de nos compatriotes étudiants. Nous espérons que notre gouvernement prendra les mesures nécessaires pour leur permettre de continuer leurs études et obtenir leurs diplômes en toute quiétude.

Lefaso.net : Cela vous a-t-il surpris ?

SM : Nous n’avons pas totalement été surpris par cette rupture. Il y avait une rumeur qui circulait en début d’année et selon laquelle le Ministre Alpha Barry aurait fait une déclaration dans laquelle le Burkina avait refusé une énorme somme d’argent de la part de la Chine Populaire au profit de l’amitié avec Taiwan. Il y a seulement deux semaines, une deuxième rumeur avait également fait état d’une éventuelle rupture avec Taïwan. La presse locale en parlait. Il y a également les récentes sorties répétées de l’ambassadeur de la République de Chine Taiwan dans la presse pour parler des réalisations de Taiwan au Burkina Faso durant les 24 ans de coopération. A cela il faut ajouter le fait que la visite annoncée au Burkina de la présidente de Taïwan, Tsai Ying-Wen, n’a pas non plus eu lieu pour des raisons qui ont été portées à la connaissance du public. Même si nous n’avions pas de preuves tangibles, tous ces éléments étaient des signes annonciateurs d’un changement dans la direction du vent des relations entre nos deux pays. Comme le dit l’adage il n’y a pas de fumée sans feu.

Lefaso.net : Quelles sont les conséquences possibles sur vos études ?

SM : Les conséquences de cette rupture sur les étudiants et les stagiaires sont visibles et déjà là. L’expérience que nous avons des autres pays qui ont rompu les relations avec Taiwan est la première conséquence est un arrêt immédiat de l’allocation mensuelle de la bourse aux étudiants. Nous sommes déjà à la fin de l’année académique 2017-2018, qui s’achèvera en fin juin après les examens. Et beaucoup d’étudiants (Bachelor, Master et PhD) sont presque ou déjà en fin de formation. Il y assez d’inquiétudes au sein de notre communauté estudiantine : aurons-ils la bourse du mois de juin pour terminer l’année académique en toute quiétude ? Ceux qui sont en fin de formation pourront-ils bénéficier du billet retour comme prévu lors de l’octroi de la bourse ?

Pour ce qui est du transfert des étudiants en Chine Populaire, des inquiétudes se posent également : Les crédits déjà validés seront-ils conservés ? Auront-ils à recommencer à zéro ? Pourront-ils choisir les universités d’accueil qui leur conviendraient ? Nous avons eu écho de l’expérience des étudiants de Sao Tomé et autres pays qui ont été transférés en Chine Populaire ; les informations révèlent que les universités chinoises sont assignées aux étudiants sans aucun choix possible de ces derniers.

Une fois en Chine Populaire, nos étudiants pourront-ils s’inscrire dans les mêmes filières et programmes qu’ils faisaient ici à Taïwan ou au pire des cas dans des filières similaires de leur libre choix ? Parce que là aussi l’expérience des étudiants d’autres pays transférés en Chine Populaire fait cas de certains étudiants qui ont eu à recommencer à zéro ou changer carrément de filière. Et aussi d’autres qui avaient leurs programmes en anglais à Taïwan ont été contraints d’étudier en chinois malgré eux, tous simplement parce que l’université d’accueil ne possède pas la filière de l’étudiant en anglais.

Pour ceux qui doivent finir l’année prochaine qui n’ont plus assez de cours comme Bachelor 3ème année), ou les étudiants de Master et de PhD qui travaillent déjà sur leurs mémoires et thèses pour soutenir courant année académique 2018-2019, pourront-ils bénéficier de leur bourse et rester à Taiwan finir leur dernière année ? Etant donné qu’il y a souvent des différences entre le système éducatif taïwanais et celui chinois, le risque de recommencer certaines choses à zéro (alors que l’étudiant est déjà presqu’à la fin de sa dernière année) est là et inquiète beaucoup de nos compatriotes.

Pour ceux qui sont en année de langue (les étudiants boursiers arrivés en septembre 2017) auront-ils à recommencer l’apprentissage du Chinois ? Nous espérons vraiment que notre gouvernement prendra ces inquiétudes en compte dans leur plan de négociations et dispositions se rapportant aux étudiants en vue de garantir des conditions d’études acceptables à l’ensemble de nos compatriotes.

Lefaso.net : Comment envisagez-vous la suite des événements ?

SM : Nous sommes en contact avec l’ambassade du Burkina ici et nous attendons les instructions et les dispositions mises en place par nos autorités pour garantir nos études. Nous attendons également les détails sur le processus de transition. Et nous espérons vraiment que nos autorités prendront nos inquiétudes en compte lors de leurs négociations afin de minimiser les impacts négatifs de cette rupture sur nos études et notre avenir en général.

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Source: LeFaso.net