Dans la langue mooré, comme dans bien de nos langues africaines, beaucoup d’expressions (mots et termes) conventionnelles ou pas, sont usitées par des hauts parleurs que par le citoyen lambda pour décrire le déplacement d’une personne notamment sa démarche. Une flopée d’idéophones et d’onomatopées illustrent la beauté langagière.
Ces expressions, aux fonctions verbales et nominales, parfois dramaturgiques, n’ont souvent pas de définition systématique. Mais elles offrent assez d’indices circonstanciels pour rendre visibles, presque physiquement, des perceptions, des sensations, des impressions et des sentiments de la marche ou du marcheur.
Véritables peintures sonores, ces expressions, dont la musicalité n’a d’égale que la fertilité de l’imagination créatrice, sont des marques du dynamisme d’une langue. Ces derniers mois l’on a constaté l’utilisation devenue populaire de l’expression »yada yada ». Usages pas toujours précis mais qui ont inspiré ce petit exercice qui consiste à répertorier quelques expressions sur la marche en mooré (dont nous sommes locuteurs !). En dioula, fulfuldé, samo, gulmachéma, zerma et autres, le même exercice aboutira tout autant à si grande et riche variété. Nos langues sont vivantes et emplies de nuances et de subtilités. Du reste, certains idéophones transcendent les frontières d’une langue, tel le fameux »bling-bling » qui désigne le look clinquant des rappeurs… ou autres.
Faisons le tour de quelques expressions conventionnelles chez les mossés qui peuvent permettre, selon les cas, de deviner la taille du marcheur, sa corpulence, sa façon de marcher, ses intentions voire son état d’esprit de même que le point de vue du narrateur… :
Bime-soum bime-soum / Pime-soum pime-soum : Marche d’une personne de forte corpulence, peut-être avec un postérieur imposant, visiblement non appréciée par le narrateur qui décrit la marche.
Cas d’utilisation : Dez Altino dans sa chanson Lampoko, laisse supposer que certaines des tantes pacificatrices ont du surpoids.
Guylime guylime : Marche indécise qui s’apparente au rodage ou au tournoiement dans un espace limité, restreint. On n’est pas rassuré par le marcheur et l’on a un œil sur lui car on ne lit pas ses intentions.
Cas d’utilisation : On le voit en train de guylim guylim. (il rode.)
Cas d’utilisation au figuré : Son guylim guylim est beaucoup ! (Quelqu’un qui change trop de positions. Instable dans ses relations sociales ou de travail).
Kangsa kangsa/ Kroussa kroussa : Marcheur qui traîne sur les semelles. Irrespectueux et signe de paresse notoire.
Kioude kioude / Kiou kiou : Marche bruyante remplie d’assurance voire d’arrogance.
Cas d’utilisation : « quand tu marches Kioude kioude souviens-toi de Souwaa souwaa »
Kouudin : Marcher courbé.
Cas d’utilisation : Il vaut mieux kou pour arranger plutôt que kou pour gâter. (Démarcher)
Kou kouû : Marche d’une personne courte ou de taille moyenne en posture courbée (au figuré) avec des intentions douteuses et une tendance à la calomnie ou à créer une discorde entre des personnes. Démarchage dans les coulisses.
Cas d’utilisation : Georges Ouedraogo dans le chant d’anthologie « Naab kobo » dit que « Silkoaga a fait kou kou kouû ». En fait, Silkoaga s’est chargé de mélanger tout le règne animal pour faire du Naab koobo (corvée champêtre du roi) un massacre car il a invité chacun puis a invité le prédateur du précédent invité… le ver, le poulet, le chat, … le lion, l’éléphant, le chasseur, …
Lagasse-din : Marche ressemblant à une suite de trébuchements donc inélégante.
Cas d’utilisation : Il vient en Lagasse-din.
Lama lama : Marche suspecte, non désirée et jugée inappropriée.
Cas d’utilisation : Gare à celui que l’on verra lama lama chez le député !
(Et non yada yada car tous les marcheurs ne sont pas censés être tous de petite taille avec de petits pas.)
Lâms-din : Marche discrète avec une volonté de ne pas être vu.
Cas d’utilisation : Il a lâmsamin parti. (Il est parti en catimini.)
Cas d’utilisation au figuré : Il lâmsdamin. (Il vole. C’est un voleur.)
Langue-din : Marcher en balançant au gré du vent. Marche inopportune.
Cas d’utilisation : Il vient en langue-din.
Loungue loungué : Marcheur porte un habit très ample donnant l’impression qu’il y flotte.
Pangnes-soum pangnes-soum : Marche avec force et détermination pour résoudre un problème malgré des obstacles ou difficultés supposés.
Cas d’utilisation : Dez Altino dans sa chanson Lampoko : « après que Lampoko eut molesté son mari, elle a laissé ses tantes dans du Pangnes-soum pangnes-soum mais c’est devenu trop tard ! » Pour essayer de recoller les morceaux d’un foyer qui a explosé…
Pouygn-soum Pouygn-soum : Marche déterminée d’un ventripotent.
Cas d’utilisation : Dez Altino dans sa chanson Lampoko.
Rangue rangué / Ré-ngue ré-ngué : Exprime la marche inappropriée d’un individu de grande taille et mince.
Cas d’utilisation : On l’a aperçu là en train de rangue rangué !
Rougsoum rougsoum : Marche déterminée d’une personne portant un habit ample ; un boubou ou généralement un pagne. Car ce type de marche est davantage associé à une femme.
Cas d’utilisation : Dez Altino dans sa chanson Lampoko : « après que Lampoko eut molesté son mari elle a laissé les tantes dans du Rougsoum Rougsoum ». On entend le bruit des pagnes que provoque l’empressement de la marche.
Sii sii : Marche silencieuse, paisible et exprimant la fuite des problèmes !
Cas d’utilisation : Il est reparti sii sii. (Il est parti calmement, sans problème.)
Siisdin : Marcher presque sur la pointe des pieds en élevant vaillamment le talon comme si le marcheur voulait voir beaucoup plus loin.
Cas d’utilisation : Il marche N’siisdin.
Soossid-din ou solesdin : Marche discrète avec une volonté de ne pas être vu.
Cas d’utilisation : Il a soossamin/solsamin parti. (Il est parti discrètement.)
Cas d’utilisation au figuré : Il ou elle soos-damin/solsdamin. (Il ou elle a une liaison, une relation extra-conjugale.)
Souara souara : Marche sans élégance qui fait du bruit par le frottement des pieds avec la surface de marche.
Cas d’utilisation : Il marche souara souara !
Souwaa souwaa : Marche discrète, à pas feutrés et empreints de prudence.
Cas d’utilisation : Souviens-toi à propos de Souwaa souwaa. (Sois prudent, n’oublie pas les difficultés éventuelles.)
Soyii soyi : Exprime la marche inappropriée d’un individu de grande taille.
Cas d’utilisation : Il est apparu soyii soyi.
Tabg-din : Marche calme, majestueuse avec fierté et visiblement apprécié par le narrateur.
Cas d’utilisation : On le voit ta tabg-din !
Touûme-din : Marche inélégante, supposément en zig-zag et tout cas malvenue.
Tima tima : Marcher sans fléchir. Marcher droit dans ses bottes.
Wennega wennega : décrit la marche d’une jeune femme de poids et de corpulence moyens, probablement coquette, qui marche avec fierté avec un brin de volonté d’être vue voire de séduire.
Cas d’utilisation : Surprise, qui voit-on ? Poko Wennega wennega.
Yada yada / Yondi yondi : Décrit la marche à petits pas d’un enfant ou une personne de petite taille. Marche inappropriée dans ce dernier cas.
Cas d’utilisation : Il a apparu yada yada / yondi yondi.
Zaba zaba : Marche détestable exprimant la fatigue ou la corpulence amorphe du marcheur.
Cas d’utilisation : Il est arrivé zaba zaba !
Zok zok / zek zeké : Marche légère presque courue exprimant la vitalité et l’engagement du marcheur à régler efficacement ce pourquoi il bouge.
Cas d’utilisation : Va zok zok pour me régler ça.
Cas d’utilisation au figuré : Merci pour votre zok zok d’hier ! (Merci pour les efforts sans ménagement… aux lendemains d’un événement social tel mariage, baptême, funérailles, …)
Moussa SINON
Avec la contribution fort appréciée de Denis OUEDRAOGO (Québec).
Janvier 2018.
Définition : Un idéophone est un mot visant à rendre compte d’une sensation, comme une odeur, une couleur, une forme ou un son, voire un mouvement. Il ne tente pas de reproduire le son, comme l’onomatopée. Wikipedia.org
Source: LeFaso.net
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