Les dernières opérations de recrutements d’enseignants dans les universités publiques du Burkina continuent de faire jaser. Cet autre témoignage soutient qu’il faut connaître les « bonnes personnes » pour espérer être recruté, quels que soient la qualité de ses diplômes et l’adéquation de son profil au poste.

Mon témoignage et mon opinion pour une Université Nouvelle au Burkina Faso

Avant tout propos…

Je remercie lefaso.net qui permet à des citoyens (comme moi) de s’exprimer. Ce n’est pas anodin dans l’histoire même du Burkina Faso. Merci d’être un espace d’informations pour tous et d’échanges pour les « forumistes ». Je souhaite que le forum (où j’interviens avec plaisir de temps à autre) continue à être un lieu de courtoisie, d’arguments et de convictions plurielles. C’est important pour notre jeunesse pleine de ressources et pour nous qui ne sommes que de simples citoyens de l’ère post-insurrection.

Ces derniers jours, il y a eu deux publications sur le recrutement d’assistants et de chercheurs au profit des institutions publiques d’enseignement supérieur et de recherche. Je les ai lues avec attention, et (bien sûr) j’ai lu les interventions des « forumistes ». Ces publications ont été assez critiques vis-à-vis de ce recrutement en rapportant à les lire des « manquements ». Pour ma part, je ne l’ai pas suivi de très près et je n’ai pas assez d’éléments pour apporter un jugement assez objectif.

Des docteurs/chercheurs ont été recrutés. Je les félicite et leur souhaite beaucoup de succès. Cependant, il est important qu’il n’y ait pas de suspicion sur leur recrutement. Cela serait injuste envers ces fils et filles de notre chère patrie. Il convient que les autorités compétentes se saisissent rapidement de cette affaire afin qu’il n’y ait aucune zone d’ombre. En lisant les commentaires des uns et des autres, on peut constater des éléments plutôt porteurs de doutes. Cela était inacceptable même avant l’insurrection et l’est d’autant plus de nos jours. En plus, ne dit-on pas qu’il n’y a pas de fumée sans feu ?

Malgré tout, je tiens à souligner que le recrutement a évolué dans le sens de l’amélioration même si l’on peut toujours faire mieux. Il me semble que les choses sont sur le chemin du changement encore embryonnaire à mon sens. Cela est certainement attribuable à de nombreuses sentinelles qui dénoncent les problèmes et c’est tant mieux. Il y a une jeunesse qui veille, surveille, scrute, analyse, parle, dénonce … Veillons, surveillons, scrutons, analysons, parlons, dénonçons … Soyons des acteurs actifs dans la construction de notre Faso. Et c’est tant mieux ! Souvent, les choses ne changent que si nous crions et dénonçons (haut et fort) tout en veillant néanmoins à être constructifs.

Mon témoignage, l’histoire d’un fils

Vous l’aurez compris, il s’agit pour moi d’évoquer indirectement ce recrutement. Je n’aurais pas pu postuler. Je suis à la retraite depuis 9 ans. Je suis juste un Burkinabè qui se sent concerné et qui est concerné. J’ai décidé de témoigner suite à l’appel de Monsieur Bassirou Ouédraogo sur lefaso.net ; et même si je ne partage pas toute son analyse, je le félicite pour la qualité de son texte et notamment de sa conclusion.

Voici donc mon témoignage. J’ai encouragé mes enfants à faire de longues études, à aller le plus loin possible selon leurs capacités et ambitions. Il y a près de 8 ans, un de mes fils a obtenu le doctorat en sciences de gestion en Amérique du Nord. Je précise qu’il a bénéficié d’une bourse de son université nord-américaine pour faire sa thèse. Je vous épargne certains détails puisqu’il ne veut guère être mêlé (de près ou de loin) à mon témoignage.

Avant même sa soutenance, son directeur de thèse lui avait proposé un post-doc au regard de la qualité de son travail doctoral. D’une part, il y avait cette proposition. Et d’autre part, il y avait moi : je tenais à ce qu’il revienne servir (comme moi) son pays. Je l’ai encouragé dans ce sens. Nous en avons longuement discuté et il a fini par accepter. Il voulait continuer dans l’enseignement et la recherche, c’était donc normal qu’il veuille intégrer l’université Burkinabè. Il a commencé, dans la perspective de son retour, à contacter les universités, etc.

Mon fils est rentré après sa soutenance et j’étais très content. Un an plus tard (le recrutement était décentralisé), il était toujours un chômeur. Pourtant, il avait déjà enseigné (cours magistraux et TD), publié 3 articles. Pourtant, il avait fait d’importantes démarches, déposer son dossier, rencontrer des enseignants, … Mais rien et rien sinon rien du tout ! Une de nos connaissances qui était dans la même situation (depuis plus longtemps que mon fils) avait été clair sur le sujet. Il faut connaître quelqu’un, pas n’importe qui mais la bonne personne. Dans chaque UFR, il y a une bonne personne et c’est cette personne qu’il faut connaître. C’est ce qu’il nous avait dit. Autrement, il fallait (selon cette connaissance) se « prostituer » (excusez-moi du terme), disposer d’un parrain ou d’un mentor pour avoir un poste à l’université, pour servir son pays. Je n’en revenais pas. J’ai moi-même, grâce à un ami, approché une secrétaire de l’université pour mieux comprendre. Elle m’avait presque dit la même chose : sauf quand il y a un gros besoin et que les grands patrons n’ont pas le choix, il faut connaître quelqu’un. Elle m’a même dit qu’il y avait quelques fois des postes faits sur mesure pour une personne qui connaissait la bonne personne. J’ai eu plein de témoignages allant dans le même sens. Cela m’a profondément déçu.

Mon fils a pu heureusement repartir en Amérique du Nord grâce à son directeur de thèse qui a pu lui trouver un autre post-doc. Aujourd’hui, il enseigne dans son ancienne université et est consultant auprès d’organisations d’envergure internationale. Il n’a plus jamais essayé de se faire recruter dans une université Burkinabè. Lors du dernier recrutement (et parce que je pense qu’il peut et doit servir son pays), je lui ai envoyé le communiqué. Je lui ai dit que la procédure avait changé, que les postes étaient ouverts à tous, que l’insurrection avait changé les choses. Il a catégoriquement refusé de déposer son dossier. Il était sûr et certain que les choses n’avaient pas changé, que ce n’était qu’une illusion pour mieux camoufler les mauvaises et veilles habitudes. Mon fils a eu beaucoup de chance. Ce n’est pas le cas de nombreux docteurs locaux et de la diaspora.

Les différentes dénonciations (à l’endroit du dernier recrutement) lui donnent-elles raisons ? Je ne sais pas mais je sais qu’ils n’ont pas pu recruter dans la discipline de mon fils : sciences de gestion (voir le procès-verbal de délibération). Je sais que s’il n’avait pas été aussi déçu par le passé, il aurait cette fois déposé son dossier et peut-être aurait-il été recruté. Je sais aussi qu’il y a eu à l’époque tout un système nauséabond qui l’a éloigné de son pays. Ce système, existe-il encore alors que plus rien ne doit être comme avant ? Pour de nombreux « forumistes », il existe bel et bien encore.

Des docteurs locaux et de la diaspora, pour une synergie gagnante

Des « forumistes » ont abordé la question des docteurs locaux et de la diaspora à l’occasion des deux publications évoquées. Le sujet est plutôt récurrent quand on lie les commentaires dans le cadre de nombreuses publications associant la diaspora en général. Mon avis est le suivant. Les Burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur sont des Burkinabè, des frères et des sœurs. Il n’y a aucune nécessité ou obligation à les comparer, à stigmatiser les uns, à critiquer les autres. Partir ou rester est un choix individuel que chacun fait et doit donc assumer. Les uns ne doivent pas reprocher à aux autres d’être partis ou restés. Au Burkina Faso comme dans la diaspora, nous avons des compétences considérables. C’est de la rencontre de toutes ces compétences que nous construirons un Burkina meilleur.

Une réalité peut être pertinemment constatée. Un docteur Burkinabè (mon fils par exemple) ayant fait ses études à l’extérieur, dans les grandes universités africaines, américaines, asiatiques ou européennes a appris des choses, une autre manière de faire pouvant aider notre pays, améliorer son enseignement supérieur. Ce n’est pas pour rien que ces universités sont des références. Elles le sont par leurs résultats fondés sur de bonnes pratiques reconnues au Burkina et ailleurs. Il n’y a aucun mal à les copier dans la mesure du possible. Je dis bien dans la mesure du possible. En effet, ce docteur de la diaspora va avoir au moins une limite. Il s’est plus ou moins éloigné d’une certaine réalité Burkinabè. Il ne pourra pas mettre tout en œuvre et immédiatement parce qu’il y a un contexte qu’il ne connait pas aussi bien qu’un docteur local. Ce dernier connait bien la culture de notre université et c’est là que les choses deviennent encore plus intéressantes. Les deux peuvent travailler ensemble et trouver un juste milieu, un bon équilibre au service de nos étudiants et de notre université. C’est une synergie tout simplement gagnante.

Les politiques et le ministère de l’enseignement supérieur doivent travailler dans ce sens. Les enseignants qui seront bientôt à la retraite doivent travailler dans ce sens. C’est leur devoir selon moi et c’est le nôtre, à nous, simples citoyens. C’est aussi celui de quelques « forumistes » qui comparent et stigmatisent. Nous avons besoin du docteur local et de celui de la diaspora. Ne les opposons pas. Il n’y a pas de meilleur et de mauvais. Au Burkina et partout ailleurs, il y a des bonnes thèses de doctorat. Certains diront qu’il y a également de moins bonnes thèses. Je leur dirais alors que cela ne veut pas dire que les moins bonnes sont mauvaises. Les thèses ne sont pas toujours comparables. Dans le même esprit, ceux qui n’ont pas de doctorat (comme moi) doivent respecter ceux qui l’ont obtenu et vice versa. Ils ne sont pas meilleurs que nous qu’ils soit locaux ou de la diaspora. C’est une certitude. Une chose est certaine aussi : le pays a besoin de tous ses enfants de l’intérieur et de l’extérieur. Le Burkina est comme une maison que nous devons perpétuellement construire ensemble. Chacun doit apporter selon ses moyens une pierre pour la construction de l’édifice.

Il y a une forte tendance à dire que des étudiants de la diaspora sont des « enfants de voleurs ». Leurs parents sont donc des voleurs qui ont pillé le pays. Cela me révolte. En ce qui me concerne, il n’y a aucun centime volé ou du contribuable Burkinabè dans l’aventure académique en Amérique du Nord de mon fils (qui a juste rencontré de bonnes personnes qui l’ont beaucoup aidé). Ni de moi d’ailleurs car je n’en aurais pas eu les moyens. Le Burkina y aura contribué par son école primaire et son lycée. Moi aussi dans ce cas puisque j’ai payé les frais de scolarité. Arrêtons donc d’insulter à tort et à travers. Nous devons, dans l’intérêt supérieur de la nation, nous reconcilier avec notre diaspora en général qui a toute sa place dans son pays. Pour l’instant, je perçois beaucoup de colère et ce n’est pas du tout sain. J’invite à l’apaisement des cœurs.

Pour une Université nouvelle au Burkina Faso

Les problèmes (manque d’enseignants et d’infrastructures, retard académique, …) et les solutions sont connus. Je ne vais pas réinventer la roue de la brouette. Pour ma part, le rapport de synthèse de la commission d’enquête parlementaire sur le système d’enseignement au Burkina Faso (Juillet 2017) fait l’affaire. Il met entre autres en évidence les problèmes suivants : chevauchement et retards des années académiques, difficultés de contrôle de l’effectivité des heures supplémentaires et de vacation, non-respect de la programmation des cours par les enseignants, faible capacité d’accueil des cités et restaurants universitaires, … Ce sont là des problèmes connus depuis belle lurette. Je constate que s’il y a des heures supplémentaires à l’université, c’est qu’il y a un manque d’enseignants. Pour le chevauchement, des recommandations sont faites : mise en place d’une commission nationale d’orientation en vue d’une répartition équitable des nouveaux étudiants entre les universités publiques, réquisition des bâtiments publics et privés de grande capacité, recrutement des enseignants en nombre suffisant, poursuite des constructions des infrastructures prévues dans les universités publiques en vue d’augmenter leur capacité d’accueil, …

Depuis l’insurrection populaire, nous avons eu deux ministres de l’enseignement supérieur. L’actuel comme le précédent sont des universitaires. Ils connaissaient et connaissent très bien tous les problèmes de notre université. L’un était à même de les résoudre mais il ne l’a pas fait, à moins de n’avoir pas su ou pu le faire. L’autre ne l’a pas encore fait et on attend de voir où mèneront ses actions. Le nécessaire n’a pas été fait et (il me semble) qu’il n’est pas encore fait au regard de la situation actuelle. Au-delà donc du règne de l’ancien régime déchu, je me pose sérieusement la question de la volonté politique face aux obstacles qui minent le rayonnement de notre université. Au lendemain de l’insurrection, j’ai rêvé d’une université nouvelle mais le constat reste encore triste.

Si nous voulons une université nouvelle, le président et son gouvernement doivent avoir une vision, une politique concrète. Par exemple, il faut reconsidérer la formation académique parce qu’il faut former selon des besoins à court, moyen et long termes. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire montre qu’il y a un décalage entre les profils des étudiants et la structure de notre économie. C’est dommage pour un pays de former juste pour former. Au-delà, il faut recruter des enseignants. De nombreux enseignants vont devoir partir bientôt à la retraite. C’est le moment de recruter pour qu’ils puissent former les nouvelles recrues avant leurs départs. Il faut recruter en pensant (là encore) aux court, moyen et long termes.

Le ratio étudiants/enseignant du supérieur est encore trop élevé dans nos universités. La norme est de 25 étudiants/enseignant (25/1 donc). Le rapport de la commission parlementaire indique que ce ration est (en 2015/2016) de 37/1 à Koudougou, 42/1 à l’IDS, 45/1 à Ouaga 1, 54/1 à Ouaga 2, 60/1 à Bobo. Ces chiffres se sont peut-être dégradés car Monsieur Bassirou Ouédraogo parle de 92/1 en 2016 à Ouaga 2. La situation est critique et nous ne pouvons pas attendre 2044 pour atteindre la norme. Il faut donc recruter. Ce n’est pas parce qu’un enseignant arrive à donner des cours à 1000 ou 2000 étudiants qu’il n’y a pas une pénurie d’enseignants ou qu’il n’y a pas de problème. Il y a même plusieurs gros problèmes. Est-ce que tous les étudiants arrivent à entendre ce que dit l’enseignant et à prendre des notes (à condition qu’il y ait un micro et pas de coupure d’électricité) ? Est-ce l’enseignant qui corrige lui-même les copies ? 1000 et 2000 copies à corriger, ce n’est certainement pas évident. Des témoignages montrent que les copies sont corrigées par des étudiants. Cela est inacceptable du moment surtout où ce n’est pas un QCM (Questionnaire à Choix Multiples).

Le dernier recrutement montre que des postes n’ont pas été pourvus. Est-ce un manque de candidats ? Je ne pense pas. Il y a des Burkinabè quelque part (au Faso et ailleurs) qui pourraient occuper ces postes avec toutes les compétences requises. Le ministère de l’enseignement supérieur devrait commencer par faire un grand recensement de nos docteurs locaux et de la diaspora. Il connaitrait alors le potentiel global par discipline avant de nous dire (à nous et à qui veut l’entendre) qu’il n’y a pas de candidature pour tel ou tel poste. Il devrait ensuite faire appel au patriotisme des uns et des autres au regard des besoins urgents. S’il y a des postes non pourvus alors qu’un besoin a été exprimé, cela signifie que certains de nos enfants seront enseignés dans des conditions déplorables. Concernant les postes non pourvus de la gestion, je constate qu’il y a des candidats en économie. Pourquoi ne pas négocier avec ces docteurs afin qu’ils assurent les cours/TD en gestion quitte à les former ? Ce n’est pas la même chose, me diront les connaisseurs. Dans tous les cas, je pense qu’ils sont les plus à même de répondre à l’urgence. Après tout, l’économie et la gestion ne sont pas très éloignées.

Pour conclure…

J’ai donné mon avis au regard de mon expérience, de ma modeste connaissance de la question, de mes limites intellectuelles. Comme tout être humain, je vaux peut-être même pas 9, à plus forte raison 10.

À mon tour, j’appelle toute bonne volonté qui peut compléter mon témoignage à le faire. J’appelle tous les citoyens à s’intéresser à notre université et au-delà à tous les sujets (éducation nationale, santé, …). Notre université va mal. À mon humble avis, c’est une sorte de bombe à retardement et il faut la désamorcer. Pour nos enfants et notre cher Faso, il est encore temps de construire une université Burkinabè et nouvelle. Nous devons pouvoir garder nos enfants près de nous. N’abandonnons pas notre université !

Salam Kaboré

Retraité, Ouagadougou

s_kabore@outlook.fr

Source: LeFaso.net