Pour l’économiste Bruno Bernard, professeur d’économie à l’université Paris-XII et à l’école de commerce ICN de Nancy, et également lobbyiste sur les questions commerciales au Parlement européen, « un pays africain qui quitterait la zone franc CFA verrait les prix d’importation exploser aux dépens des plus pauvres ».

Soixante-dix pour cent des échanges de la zone franc CFA se font avec l’Europe. Une sortie de cette zone des quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et centrale qui en bénéficie appauvrirait leurs consommateurs de produits indisponibles sur le continent : médicaments, carburant, machines agricoles, téléphones, ordinateurs, semences agricoles… Les billets d’avion vers l’étranger seront de plus en plus inaccessibles, rendant le commerce difficile ou trop onéreux, faute de trouver des nouveaux produits sur des salons à l’étranger ou de négocier les contrats sur place avec des tarifs avantageux.

Les pays de la zone CFA se trouvent déjà dans une spirale économique négative due à la baisse des exportations de matières premières. En raison de la chute des cours du pétrole, les investissements des pays du Golfe sont en baisse, les Américains sont en retrait pour cause de politique trumpienne « America first », les Européens, sortis à peine de la crise, restent frileux, les cours des minerais exportés vers la Chine sont en baisse, tout comme ceux des produits alimentaires étant donné la compétition entre pays exportateurs. Avec, en bonus, les tensions terroristes au Sahel.

Exemple criant, le cours du cacao a dégringolé de 40 % sur le marché mondial depuis début 2017. Les producteurs, situés principalement dans la zone franc, subiraient de plein fouet une dévaluation du franc CFA. Les pays de la région situés hors CFA ont déjà une inflation à deux chiffres. La monnaie nigériane, le naira, a perdu 30 % de sa valeur face au dollar depuis 2015. Le franc congolais de la République démocratique du Congo (RDC) a chuté de 30 % cette année, et les réserves de change plafonnent à un mois. Le pays a dû fermer ses frontières au ciment angolais, qui est plus compétitif grâce aux dévaluations… Le Ghana, en principe élève économique modèle, subit une inflation de 12 % par an.

Un signal fort de stabilité

En à peine cinq ans, le pouvoir d’achat de produits étrangers indispensables tomberait de 50 % dans les pays qui quitteraient la zone CFA. La donne économique serait bouleversée pour des pays à forte natalité aux énormes besoins d’importations. Certains économistes affirment qu’une nouvelle monnaie dévaluée permettrait aux entrepreneurs d’emprunter à des taux inférieurs aux 10 % actuels. Mais avec une inflation de 12 %, aucun banquier ne prêterait à moins de 10 % !

Une nouvelle banque centrale indépendante ne serait pas à l’abri des spéculations des traders, alors que le franc CFA, lié à l’euro, est protégé par l’Allemagne via la Banque centrale européenne… Ceux qui poussent à sortir du franc CFA sont des industriels situés hors de la zone euro, que ce soit en Suisse (cacao), en Chine (cuivre) ou dans les pays anglo-saxons (pétrole et coton) : ils pourront ainsi payer des salaires plus faibles aux ouvriers et aux paysans qui travaillent pour eux et pourront spéculer sur la nouvelle monnaie.

Ce sont aussi certaines entreprises qui souffrent de la chute des cours des matières premières et des hydrocarbures et qui, pendant deux ou trois ans de transition, sauveront leurs têtes ou s’enrichiront. Notons aussi au passage que les hauts fonctionnaires africains qui travaillent en Europe verraient la valeur de leur salaire versé en euros bondir par rapport à la monnaie locale… Mais, dans tous les cas de figure, le petit peuple payera certainement le prix fort.

Actuellement, le franc CFA lié à l’euro est un bouclier de stabilité pour les populations locales. Il est un signal fort de stabilité pour la zone et un outil économique inestimable que beaucoup de pays de la région peuvent envier.

Source: LeFaso.net