Toute révolution est un monstre froid qui mange ses propres enfants.

Le test ADN de contre expertise n’a pas pu formellement attester si les restes présumés du Président Thomas SANKARA exhumés du cimetière de Dagnoen sont bel et bien ceux du leader de la révolution burkinabè assassiné avec 12 compagnons d’infortune un certain soir lugubre du 15 octobre 87. Selon les résultats de l’expertise livrés par l’un des avocats de la famille, « aucun profil génétique n’a été identifié pour ses marqueurs ». En langage facile, cela veut dire que l’analyse n’a pas pu identifier l’ADN.

Curieux tout de même qu’on aboutisse à ce résultat scientifique alambiqué qui soulève des interrogations plus qu’il n’apporte de réponse transparente et irréfutable. Comment a-t-on pu identifier l’ADN des Romanov, la famille impériale de russie plus de 80 ans après leur supplice (les membres de cette famille avaient été fusillés et enterrés dans une fosse commune par les bolcheviques en 1918) et ne pas être capable d’extraire l’ADN sur des restes d’à peine 30 ans ? Un halo de doute subsiste donc, ouvrant la porte au mystère et à des conjectures énigmatiques. Ainsi, jusqu’au bout, SANKARA n’échappera pas au destin propre aux héros mythiques de l’histoire.

Vous avez dit souveraineté nationale ; quelle idée de solliciter l’expertise des puissances occidentales dans ce dossier alors que ces mêmes puissances ne sont pas blanches comme neige dans cet assassinat politique !?

Bref, au-delà des aspects médico-légaux et scientifiques, la justice de notre pays se doit de dénouer les fils torsadés de l’écheveau complexe de ce crime politique qui colle à la peau de l’exprésident Blaise COMPAORE comme le péché originel de son régime déchu.

Les sbires, les bras armés, les seconds couteaux, les exécutants de cette tragédie fratricide sont tous presque morts enterrés, disparus, en prison ou… exilés.

Pour le ou les commanditaires locaux (ceux à qui le crime a profité)- certains diront les petits servants locaux du néocolonialisme selon la phraséologie de l’époque révolutionnaire -la justice va chercher lentement, surement et…trouver.

Pour les commanditaires internationaux, c’est à ce niveau que les gros mots ésotériques pour le commun des mortels pleuvent et brouillent les pistes : SECRET D’ETAT, archives classées, secret défense, Top secret.

Un langage opaque de barbouzes. Un flash back sur cette période trouble permet de s’y faire une opinion…

Octobre 1987, on naviguait toujours dans les eaux tourmentées de la guerre froide. Période où les régimes pro- marxisants ou supposés tels étaient à abattre par le bloc occidental avec comme gendarme la France dans le pré-carré africain de ses anciennes colonies.

1987 en France, c’était la cohabitation, François Mitterrand président et Jacques CHIRAC premier ministre. Et qui CHIRAC en bon gaulliste a appelé à ses côtés pour la cellule africaine de Matignon ? Eh bien, c’est l’âme damnée du Général De Gaulle pour les questions africaines du début des indépendances : Jacques FOCCART ! L’anti-communiste viscéral, le sulfureux homme-lige de la Françafrique, l’homme de l’ombre, le maître de tous les coups tordus et inavouables de la politique africaine occulte de la France.

Le moins qu’on puisse dire c’est que le président MITTERAND ne portait pas trop le « che africain » dans son cœur ; sa visite officielle au pays des hommes intègres en novembre 1986 avait été humiliante pour lui. Au cours de cette visite, SANKARA l’avait « tancé et titillé » selon ses propres termes.

En réaction, s’adressant à Thomas SANKARA à la troisième personne en lui tapotant l’épaule avec sans doute un paternalisme cynique, MITTERAND a eu ces propos prémonitoires lourds de menaces à peine voilées : « Il dit ce qu’il pense…Je trouve que dans certains de ses jugements il a le tranchant d’une belle jeunesse et le mérite d’un chef d’Etat totalement dévoué à son peuple…Mais il tranche trop aussi, il va plus loin qu’il ne faut à mon avis… » Pas besoin d’être clerc ni sémiologue pour conclure qu’écarter le jeune trublion révolutionnaire du pouvoir n’était pas pour déplaire au vieux MITTERAND.

Vu à travers ce paradigme, le pas de la théorie du complot international porté par la France est vite franchi…Ajoutez à cela l’hostilité des voisins comme la Côte d’Ivoire de Houphouet Boigny, le Togo de Gnassingbe EYADEMA , la liste de ceux qui avaient intérêt à l’extérieur au renversement du fougueux et dérangeant capitaine ne peut que s’allonger. Logiquement, ce coup d’état sanglant ne pouvait s’exécuter sans que les services secrets français, la CIA et autres ne soient impliqués ou au moins ne soient au parfum.

Sous tous les cieux, l’État a sa raison que le citoyen lambda ignore toujours. La raison d’Etat, qui est avant tout politique n’a cure de la morale.

On ne saura toute la vérité sur les implications internationales que lorsque tous les dossiers de ce drame fratricide seront déclassifiés par le gouvernement Français ; peut-être dans 50 ans au moins après les faits…comme pour l’assassinat de Patrice LUMUMBA au Congo avec la complicité des Belges.

En attendant, il est temps que les historiens s’invitent dans ce dossier pour restituer et analyser les faits historiques de cette affaire pour un devoir de mémoire.

Maintenant que la chape de plomb est fondue et que la parole est libérée, il est grand temps que les historiens de notre pays recueillent pour la postérité le témoignage des protagonistes encore vivants. Il faut que la lumière soit faite objectivement afin de restituer la vérité historique à même d’édifier les générations actuelles, futures, pour qu’enfin la violence en politique soit bannie à jamais de notre vie collective.C’est une nécessité aussi vitale que la justice car comme le disait Winston CHURCHILL, « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».

Puisse l’esprit de celui qui est déjà immortalisé comme icône dans le panthéon panafricain et qui voulait qu’on garde de lui « l’image d’un homme qui aura été utile à son peuple » éclairer les sentiers de l’histoire, de la justice et nous inspirer.


Une Contribution de TRAORE Karim de Labola ( BP 41 Banfora karimdelabola@yahoo.fr)



Source: LeFaso.net