Auteur de l’ouvrage « La Protection des droits fondamentaux dans le Cyberspace », Arnaud Nikiéma est juriste spécialisé en droit des technologies de l’information et de la communication (TIC) et en droit international des droits de l’Homme. Il est également le premier responsable du Centre d’études et de recherche sur les TIC et la cyber-activité (CERTIC), officiellement créé en mai 2015, et qui œuvre sur les questions de cybercriminalité, de droits fondamentaux sur Internet, notamment les questions relatives à la vie privée, aux données personnelles, à la gouvernance de l’Internet, etc. Sur l’ouvrage sus-cité, qui fait parler de lui plus à l’extérieur, notamment en France, qu’au plan national, Arnaud Nikiéma nous en dit un peu plus …
Lefaso.net : Vous avez récemment publié un ouvrage sur la protection des droits fondamentaux sur Internet. Pouvez-vous dire, en substance, de quoi est-il question dans cette publication ?
Arnaud Nikiéma : Effectivement, j’ai publié un ouvrage en novembre dernier (novembre 2016, ndlr) sur la protection des droits fondamentaux dans le cyberespace qui est paru chez un éditeur en France, à la Fnac ( Fédération nationale d’achats des cadres, une chaîne de magasins française spécialisée dans la distribution de produits culturels, ndlr) et dans plus de 300 librairies en France, en Suisse et en Belgique. C’est le fruit de recherche sur la violation des droits de l’homme sur Internet qui m’a poussé à publier cet ouvrage.
Dans l’ouvrage, j’ai abordé la question des droits et libertés fondamentaux constamment violés sur internet, notamment ceux liés à la vie privée, à la liberté d’opinion et d’expression sur Internet de façon générale et la problématique des données à caractère personnel et les atteintes qui leur sont portées. Les instruments juridiques de protection des droits de l’Homme sur Internet au plan national, régional et au plan international ont été abordés et fait l’objet d’analyse.
En outre, les rôles des institutions de veille et de protection des droits et libertés fondamentaux, tels que le parlement, le pouvoir judiciaire, la Commission de l’informatique et des Libertés, l’Agence de sécurisation des systèmes d’information au plan national ont été décryptés. Au plan universel, je me suis obligé à passer en revue les missions protectrices de certaines institutions telles que la Commission africaine des droits de l’Homme, le Conseil de l’Union européenne, l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Internet corporation for Assigned Names and Number en abrégé ICANN, le World Wide Web Consortium, etc. L’ouvrage analyse la parcelle de rôle de ces institutions dans la protection des droits et libertés fondamentaux des cybernautes.
Lefaso.net : L’on constate que la cybercriminalité prend de l’ampleur au Burkina. Quels remèdes appropriés pensez-vous qu’il faille apporter pour faire face au fléau ?
Arnaud Nikiéma : Je voudrais relever d’abord que la lutte a deux dimensions : la dimension juridique et la dimension sécurité informatique. Les spécialistes relèvent qu’en Afrique de façon générale, il y a une vulnérabilité des outils et des infrastructures ; ce qui facilitent le hacking, le piratage des données et les intrusions dans les systèmes. Il nous faut donc des spécialistes en sécurité informatique, autrement appelés des cybersoldats, pour être en veille pour constamment corriger les failles, toutes les fois que les hackers tenteront de profiter des vulnérabilités.
Pour ce qui est de la première dimension, il faut sensibiliser et expliquer aux citoyens du net, ce qu’est la cybercriminalité, ses manifestations et les actions à mettre en œuvre pour se mettre à l’abri. Et de façon cumulative, il faut que notre pays se dote d’une législation spécifique répressive et naturellement d’un code de procédure pénale sur la matière. La législation est déterminante pour prévenir et combattre la criminalité cybernétique ; une législation qui couvre l’incrimination, la procédure, la compétence, la coopération internationale et la responsabilité des fournisseurs de services internet.
En 2012, l’Union internationale des télécommunications a publié un excellent document sur la compréhension de la cybercriminalité dans lequel, elle ne préconise, en priorité, que des réponses juridiques pour faire face au phénomène.
Vous savez, les juristes pénalistes aiment bien l’adage « nullum crimen nulla poena sine lege » qui veut dire en substance qu’il n’est pas possible de poursuivre et punir quelqu’un pour une infraction qui n’a pas été préalablement prévue. Lorsqu’un cyber délinquant fait des victimes, vous pouvez mettre la main sur le délinquant, mais si l’infraction ou la faute commise n’est pas prévue, vous ne pouvez que le relâcher et il viendra ensuite vous narguer. Si la procédure pénale n’est pas adéquate, vous ne pouvez même pas boucler l’enquête.
Je reste convaincu que c’est une législation répressive exemplaire doublée de la formation des acteurs et de la sensibilisation du public qui pourra réduire de façon significative le phénomène.
Lors d’une rencontre l’an dernier avec l’ARCEP (Autorité de régulation des Communications électroniques et des Postes), nous avons appris que le code pénal en relecture prévoit des dispositions de répression des actes de cybercriminalité. Ce serait tant mieux. Mais, je reste convaincu que quelques articles noyés dans le Code pénal ne suffiront pas à faire face au phénomène.
Lefaso.net : Comment appréhendez-vous la gouvernance électronique au Burkina ?
Arnaud Nikiéma : J’ai une appréciation mitigée. Aujourd’hui, tous les jeunes, enfants et adolescents disposent, pour beaucoup, d’appareils connectés aux réseaux numériques. De plus en plus, les paiements, les achats et les transactions financières se dématérialisent. Curieusement, aucun encadrement ne suit cette cyberconsommation excessive. Nous sommes tous laissés non seulement à la merci des réseaux numériques et de leurs contenus quelquefois très pervers, mais aussi à la merci des prédateurs du net.
La règlementation des pratiques ne s’adapte pas à l’évolution du monde numérique. Les institutions ne sont pas dotées de ressources conséquentes. A l’ère du numérique, il n’est pas compréhensible que les étudiants quittent des provinces parfois très éloignées pour venir s’inscrire dans les universités, alors que cela aurait pu se faire en ligne.
L’administration publique ou des cabinets privés lancent des recrutements et les postulants doivent aller veiller sur les sites ou se piétiner sous ce chaud soleil pour les dépôts, alors que cela aurait pu se faire en ligne. Il faut développer la culture du numérique, sinon, nous risquons de rater la révolution numérique.
En matière de protection des communications électroniques, notamment l’interception des sms, des conversations, des mails,…et la lutte contre la délinquance en ligne, il y a une porosité législative assez inquiétante.
Par la même occasion, il faut aussi saluer le fait que, de plus en plus, les textes de lois, des décrets, des arrêtés, certains documents importants mis à la consommation du public soient tous mis en ligne. L’administration fait quelques fois des efforts pour dématérialiser certaines procédures et cela est salutaire.
Lefaso.net : Le ministère en charge de la Communication a organisé, récemment, un panel sur les réseaux sociaux où il est ressorti la nécessité de règlementer les libertés sur ces réseaux, qu’en-pensez-vous ?
Arnaud Nikiéma : Vous savez, la liberté d’expression s’entend de la liberté pour toute personne d’exprimer ses opinions et la liberté de recevoir des informations ou de communiquer des informations et idées sans être inquiétée quant à la jouissance de ses droits.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux, notamment Facebook, Tweeter et Youtube sont de véritables cadres de libération de l’opinion et de la parole. Ils sont même un indicateur de la liberté d’opinion et le thermomètre d’une opinion plurielle dans un pays.
A ce tire, il faut savoir que le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU (Organisation des Nations-Unies) a récemment reconnu par une résolution que l’accès à Internet et la liberté d’expression qui l’accompagne sont un droit fondamental au même titre que les autres droits fondamentaux. Il serait donc malheureux de tenter, de quelque manière que ce soit, de restreindre ces libertés sur les réseaux.
A l’inverse, j’invite toute personne victime de propos injurieux, racistes, xénophobes, de messages de haine et d’incitation à la violence sur Internet, à saisir les juridictions compétentes. C’est par ce mécanisme de plaintes devant les tribunaux que la discipline va s’installer dans les propos sur les réseaux sociaux.
Je voudrais, au passage, souligner qu’on se plaint des propos sur les réseaux sociaux et on oublie que les forums de discussions et les modules de commentaires des articles de presse en ligne sont quelques fois pires. Vous pouvez prendre connaissance du récent fameux arrêt Delfi de la Cour européenne des droits de l’Homme sur la problématique des forums de presse en ligne pour vous en convaincre.
Lefaso.net : Pour clore vos propos…
Arnaud Nikiéma : Je vais paraphraser un auteur qui disait en substance que l’Afrique a raté la révolution industrielle et la révolution agricole. Faisons en sorte qu’elle ne rate pas la révolution numérique.
J’exhorte les populations à la prudence dans l’utilisation du Net (Internet, ndlr). Il faut utiliser Internet comme étant un espace de droit où chacun doit respecter les règles de gestion de ces réseaux sociaux.
Propos recueillis par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net
Lire aussi : http://lefaso.net/spip.php?article76277
Source: LeFaso.net
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