Cet écrit est une tribune de Boukary Tarnagda, artiste comédien et écrivain, qui, à l’approche de la saison hivernale, interpelle le premier responsable de l’autorité communale de la ville de Ouagadougou sur ses responsabilités à la survenue d’une éventuelle inondation.

Monsieur le maire,

Cette lettre n’est pas une lettre pour Laye. Cette lettre s’adresse d’abord à vous, vous le « premier » des gens de Ouaga. Je ne me suis jamais lancé dans un tel exercice, donc vous excuserez l’exubérance qui en transparaitra parfois. J’ai souhaité que cette lettre reste « fermée », mais la situation m’oblige à la garder « entr’ouverte ». La « fermer » n’arrangera personne, surtout pas nous, habitants de Ouagadougou dont certains habitent des « zones inondables mais habitées » (on ne sait toujours pas pourquoi plusieurs fois inondées, évacuées, « re-habitées », « re-inondées », « re-évacuées »… comme un serpent qui se mord la queue, ces zones sont toujours habitées !) Je l’ai voulue aussi « entr’ouverte » pour que les gens de Laye sachent ce que nous, gens de la capitale, nous traversons quand le ciel du Faso qui s’assombrit leur est principalement bénéfique.

Avant de continuer, je souhaite que vous ne pensiez pas un seul instant que je suis d’un quelconque bord politique qui veut vous chagriner. Je respecte les politiciens de métier, mais je n’en fait pas partie. Je remarque les faits et je les relate.

Monsieur le maire,

Plusieurs fois je me suis retenu, plusieurs fois, les faits têtus comme des mules yadsés ont l’habitude de l’être sous nos cieux ouagalais m’ont toujours ramenés à la réalité, au point de départ, en amplifiant davantage mes craintes des lendemains qui nous inonderont encore et encore. J’ai toujours en tête les images de la première grande inondation (2009) avec leurs corollaires. De ces images gravées pour des décennies et des décennies, il y a bien sûr l’eau elle-même qui a asphyxié plein d’espoir, mais il y a surtout une certaine déchéance humaine qui s’en est suivie : des pères, des mères et leurs progénitures, entassés dans des salles de classe avec d’autres pères et mères et leurs progénitures dans une promiscuité à vous couper l’envie de danser le zoblazo, walaï ! Des salles de classe que l’on a eu du mal à céder pour que les enfants reprennent les cours normalement, ajoutant davantage de la confusion et de la désolation.

Je passe ! Je passe rapidement sur certaines affres que l’eau a pu faire, depuis, dans notre chère capitale, car ce qui est passé n’était pas de votre fait (Zamin saaga loog’a n’a woodo). Je m’arrête sur celle de la saison 2016, quelques temps après votre arrivée à la tête de la mairie. L’on vous a aperçu en direct (via les médias aussi), les mains dans le cambouis (au sens propre comme au sens figuré), invitant les Ouagalais (Ouagavillois selon là où on se place et l’émotion qui nous habite) à faire de même. Vous avez aussi pris des mesures qui ont été saluées parfois par ceux-là mêmes à qui l’on pensait qu’elles seraient préjudiciables parce qu’au Faso, quand l’on est en faute, on essaie d’amadouer son interlocuteur en lui disant qu’on « cherche seulement à manger ».

Mais aucune des personnes concernées par vos mesures n’a osé tenter de trouver une échappatoire, tentative qui aurait pu la déshonorer.L’une de ces mesures fut le déguerpissement illico des occupants anarchiques qui ont poussé l’outrecuidance de s’installer sur les voies d’eau (les caniveaux), les bouchant avec les déchets produits par leurs différents commerces. Ils sont nombreux qui ont arraché leurs commerces et se sont pliés à vos directives, tout cela, sans doute parce que l’on sortait d’une longue période qui fut difficile pour tout le pays : l’insurrection, le coup d’Etat manqué, les attaques de Cappuccino et de Splendid Hôtel, tous faisant renaître un patriotisme qui avait longtemps foutu le camp.

Le curage des caniveaux avait pris son envol et tout le monde s’y était mis et l’effet de mode avait même gagné d’autres villes du pays. Mais souffrez, monsieur le maire, que je vous dise que tout cela est passé comme un feu follet. Je ne saurais dire si cela est dû au désenchantement des populations face à la politique actuelle du pouvoir en place (parce que les gens sont de plus en plus mécontents et ce n’est pas moi qui vais vous l’apprendre), mais, toujours est-il que ce qui était un « effet de mode » a complètement séché sous l’effet de l’harmattan. On feint tous d’oublier que la vie est un ensemble de cycles.

C’est comme si l’harmattan même nous desséchait les souvenirs (les miens aussi) et nous obligeait à vivre au jour le jour, sans autres prévisions que celles qui sont liées à notre quotidien. C’est comme si on se disait que, quand ça adviendra (les inondations), on verra bien. Pour l’instant, vivons, « ça va aller, yél kayé ! Mon avis est que les actions individuelles se sont estompées vu le fait que toutes les actions mises en place n’ont pas été suivies d’effets.

Combien de caniveaux sont restés tels sans avoir vu passer un seul coup de pelle ? Combien se sont rebouchés parce que les services municipaux ne sont pas passés récupérer les déchets qui y avaient été extraits ? Combien de caniveaux ont été ensuite réalisés en plus ? Combien sont-elles les personnes qui sont revenues s’installer à nouveau sur les caniveaux, les lieux d’où on les avait déboutés ? De quelles sanctions ont-ils fait l’objet ? Quelles sanctions existe-t-il en la matière pour les riverains qui remplissent les caniveaux de leurs déchets ménagers ? Oui, je dis bien « sanctions », parce que dans les colonnes d’un média en ligne, vous avez souligné, l’année dernière, ce qui suit, face aux commerçants réfractaires :

« Nous allons les sensibiliser à déplacer leurs commerces et si cette sensibilisation n’a pas de réponse positive, nous allons passer par la manière forte pour les déménager ». (http://lesechosdufaso.net/inondations-a-ouagadougou-le-maire-central-invite-les-populations-a-changer-de-comportement/)

Oui pour la sensibilisation, mais pourquoi les règlements et autres décisions ne sont pas respectés ? Qu’attend-t-on pour infliger des sanctions, de vraies sanctions qui marqueront les esprits (les bons comme les mauvais) ? Car, où a-t-on déjà vu des lois prises sans être convenablement appliquées et espérer que la société se porte bien ?

Monsieur le maire,

Ne laissez pas certaines langues dire (peut-être qu’elles l’ont déjà fait) que toutes vos actions, dans le domaine de l’assainissement, sont des effets d’annonce mais que vous ne briserez jamais une calebasse en tombant dessus, car, dans nos contrées, comme à Laye, quand une personne est incapable d’agir, on dit qu’elle ne peut même pas briser une calebasse, même si elle chute là-dessus. Vous voyant à la télévision et écoutant vos prises de position, j’ose croire que vous faites le poids (au sens propre comme au sens figuré).

Mais votre silence pourrait m’obliger à dire le contraire comme certaines langues qui ne sont pas aussi « mauvaises » que cela le font déjà. Je pourrais le penser car la météo m’en donne des arguments. En effet, au cours du mois de mars 2017, un technicien de la météorologie nationale a tiré la première sonnette d’alarme sur les canaux de la RTB, notre télé nationale. Selon lui, la forte chaleur (précoce) que l’on ressent en ce moment pourrait rapidement aboutir aussi à des pluies (précoces), qui, encore, selon lui, risquent d’être très abondante cette année.

A Laye, on jubilera peut-être, mais connaissant les nombreux caniveaux bouchés de la ville de Ouagadougou et les zones où ils n’en existent pas, il est quasi certains que des cœurs ont commencé à se serrer, parce que, comment comprendre que lors des inondations de 2016 que la Place des Nations Unies l’eau ait pu tout envahir et que jusque-là rien de concret n’ait été fait ? Que diront les habitants de Dapoya, de Tanghin, de Rimkieta, de Karpala, de Djikôfê, de Marcoussis, etc. lorsque le ciel ouagalais laissera tomber ses premières gouttes ?

A mon avis, les choses ne sauraient tarder en tout cas. Si l’on s’en tient aux prévisions météorologiques, ce que nous appelons communément « pluie des mangues » est dans les starting-blocks, comme un bon sprinteur. Ce sera peut-être l’épreuve test (si l’on peut toujours garder espoir) qui conduira à lancer les vraies hostilités tant au niveau de la prise de décisions salutaires que de l’application des autres, mais cela pourrait aussi raviver le mécontentement des populations qui vont se poser des questions qui resteront peut-être sans réponse :

combien de temps encore allons-nous continuer à commémorer ces tristes anniversaires en coulant des larmes invisibles sous nos pluies qui ne devraient qu’être que bienfaisantes ? Combien d’enfants encore éveilleront leurs traumatismes face au ciel qui s’assombrit sur leur quartier (de ceux-là, on parle peu, pourtant il en existe) ?

Monsieur le maire,

En m’adressant à vous, je m’adresse aussi à votre « patron », monsieur le président du Faso. Dites-lui de ne pas oublier ceci car ces propos sont de lui et prononcés, l’année dernière quand il s’est rendu au chevet des sinistrés de Polesgo. Tenant une torche à la main, il avait annoncé :

« Il ne suffit plus d’annoncer des mesures à chaque saison de pluie et les oublier lorsque la saison sèche s’installe, pour ensuite revivre les mêmes problèmes l’année suivante (…) Le changement majeur est que maintenant, il ne faut plus rester simplement sur la parole. Il faudra impérativement passer aux actes. »(http://koaci.com/burkina-faso-president-kabore-zones-inondees-ouagadougou-101146.html). Dites-lui de ne pas oublier cela. C’est une forme de promesse électorale. On dit parfois que les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient. Mais dans notre contexte, je suis tenté de dire que, vu tout ce que le pays a traversé, la non application des promesses électorales pourrait être diversement sanctionnée. La saison sèche tire à sa fin, n’oublions pas !

Monsieur le maire,

Pour ne pas abuser davantage de votre temps, je vais finir mes propos par ce dialogue que je qualifierai de sourd entre un ami comédien mais aussi étudiant-géologue, qui s’est adressé à un géologue-professionnel qui supervisait des travaux de réalisation de caniveaux entrant elle-même en compte dans la réalisation d’une grande infrastructure dans la ville de Ouagadougou. S’approchant du géologue-professionnel, notre comédien (mais aussi étudiant-géologue), s’adresse à lui en ces termes :

Etudiants-géologue-comédien : Bonjour Monsieur.

Géologue-professionnel (15 ans d’expérience) : (avec un air de suffisance) Bonjour.

Etudiants-géologue-comédien : Excusez-moi monsieur, mais je crois que la largeur de ce caniveau ne pourra pas contenir le débit de l’eau descendante.

Géologue-professionnel (15 ans d’expérience) : (comme savent bien le faire certains « connaisseurs » burkinabè) Vous êtes qui, vous ?

Etudiants-géologue-comédien : (se gardant bien d’exposer son métier de comédien pour que son argument fasse son effet) Je suis étudiant-géologue.

Géologue-professionnel (15 ans d’expérience) : Moi, je suis « géo-logue, quinze ans de métier », pas étudiant-géologue. Circulez !

Voilà ce qui manque parfois à ce pays, s’écouter, accorder du respect à l’autre, surtout aux populations. J’espère, pour ma part, avoir été entendu (ou lu) quel que soit l’endroit où l’on m’écoutera (ou me lira).
Monsieur le maire,
Donnons son chemin à l’eau pour rester à sec.

Recevez, monsieur le maire, mes respects.

Boukary TARNAGDA

(artiste-comédien, parfois écrivain)

Source: LeFaso.net