Le 29 mars 2017, cela fera un an qu’était lancé mon défi au constituant de 2016. À la lecture de l’avant-projet de constitution, le défi n’a pas été relevé. Il est inutile de développer encore ici les arguments de ce défi disponible en ligne. À quel courant la faute : régime parlementaire, régime présidentiel ou les deux à la fois ?
Toujours est-il que, à l’examen, la constitution à venir traduit la volonté des hommes forts du moment de continuer à abrutir le peuple à travers les mêmes discours insensés qui justifient que les politiques des années 1990 soient régulièrement dépoussiérées et servies sans esprit d’initiative et de nouveauté. On a vu ce que cela a donné avec le projet de société du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, parti au pouvoir, ndlr), la déclaration de politique générale (DPG) du Premier ministre, la difficulté de conception du PNDES (Plan national de développement économique et social, ndlr) et celle de sa traduction en politiques sectorielles crédibles, après presqu’un an et demi de règne sur cinq ans.
Les traces de l’hégémonie des hommes forts du moment
Le premier reflexe à été de parcourir sommairement la constitution afin de déceler, derrière les articles, le poids de l’hégémonie des inspirateurs de ce texte. Il n’y a pas à fournir trop d’effort pour déceler la première trace à l’article 8. Au sein d’un peuple majoritairement analphabète, paresseux en lecture, à qui on peut tout cacher dans les lignes intérieures du livre, les premiers articles sont des positions privilégiées.
On sent ici la puissance de Me Halidou Ouédraogo qui semble avoir usé de tout son poids pour mettre sa corporation devant. Ce qui est déjà un mauvais signe pour la suite du texte. À partir de là, il est difficile de convaincre sur l’existence de dispositions pour garantir une rédaction neutre de la constitution, autour de l’esprit de l’intérêt général, de la volonté de respecter les aspirations du peuple, de sacraliser l’unité nationale et la Nation.
On pourrait se demander pourquoi l’on constitutionnalise la profession d’avocat alors que dans le même temps l’éducation et la santé qui sont reconnues comme des droits universels et constitutionnels ne voient pas leurs professions constitutionnalisées ? Derrière cet acte se cache toujours la guerre des privilèges entamée depuis l’affaire des droits accordés aux magistrats. Bien d’autres traces de l’hégémonie des hommes forts du moment peuvent y être décelées, comme le silence sur les conditions d’éligibilité du Chef de l’État renvoyées à la loi et surtout à la merci des majorités parlementaires et de leurs agendas politiques !
La constitutionnalisation de la fuite des responsabilités politiques
Une autre insuffisance majeure est l’illogisme de la redevabilité de l’action politique et administrative imputée au Premier ministre qui n’est pas le porteur du projet de société, mais qui se retrouve à défendre la politique générale, sa traduction en politiques publiques et à en être responsable devant l’Assemblée nationale. Pour des populations qui ont suivi attentivement la Déclaration de Politique générale (DPG) du Premier ministre et qui commencent à comprendre la portée de ce type d’engagement, il y a lieu de mesurer l’ampleur de la trahison qu’il y a eu à ce niveau.
Néanmoins, cela aurait été un moindre mal si le constituant n’avait pas choisi de soustraire le discours sur la situation de la Nation (DSN), qui traduit le compte rendu de la mise en œuvre de la DPG, à un examen minutieux de l’Assemblée nationale, suivi de vote, pour que le responsable subisse la sanction politique correspondante. Hélas ! Là encore, il y a eu trahison du peuple insurgé. Le simple fait d’exiger cela aurait produit l’effet épée de Damoclès et contraint les gouvernants à une obligation de résultat et à la culture de l’excellence dans la mise en œuvre de l’action politique et administrative.
En reconduisant cette insuffisance de la constitution taillée sur mesure de la 4ème République, le constituant n’a rien compris du message du peuple et de sa jeunesse qui exigent que chacun soit responsable et assume ce qu’il dit, promet et fait ou ne fait pas. Si la constitution consacre la fuite de responsabilité du Chef de l’État, comment exiger que les responsables des structures administratives et l’Administration endossent les leurs devant le peuple ? Comment redressera-t-on l’administration dans de telles conditions ?
Tout cela contribue à renforcer le mépris de l’administration publique vis-à-vis du citoyen et du peuple, sans compter le risque de blocage institutionnel pour des questions de majorité non réunie ! La preuve se trouve dans l’impuissance du constituant, traduit dans une disposition piège à l’article 56 ou encore le danger de dispositions comme celles de l’article 66, qui parle vaguement d’un « intérêt supérieur de la Nation » non défini ou celles de l’article 67 qui, à l’étape actuelle, augure de la poursuite de la supposée guerre de leadership entre les numéros 1 et 2 du régime.
On est tenté de s’indigner et de se demander pourquoi faut-il toujours que ce soit au citoyen ou au peuple de continuellement fournir des efforts pour garantir aux gouvernants les meilleures conditions de se faire arnaquer sans contrepartie de garantie de reddition de comptes sincère ?
Le paradoxe d’une constitution qui consacre le bâillonnement d’un peuple d’insurgés
La situation sociopolitique du Burkina Faso en 2017, il faut avoir le courage de le dire, n’est pas des plus rassurantes. Et pour qui connaît ce peuple, c’est de sagesse et d’habileté qu’on a besoin pour mieux le gouverner. Ainsi, on ne saurait parler de l’article 49 de l’avant-projet de constitution, dont l’alinéa 2 cache mal sa volonté d’interdire l’insurrection comme mode de réappropriation du pouvoir en dernier recours par le peuple, sans faire un bref rappel historique.
Dans presque les mêmes conditions sociopolitiques, Blaise Compaoré, que nous avons chassé du pouvoir, avait été très prudent de reconnaître, dans les années 1990, qu’ « il n’y a ni grandeur, ni sureté à gouverner des pauvres muselés ». Comprenne qui pourra ! Il nous a certes réprimés, mais sans nous museler. Une répression dans laquelle certains ont été blessés, torturés ou rasés, d’autres ont perdu la vie, sans qu’il n’ose jamais franchir le pas du musèlement jusqu’en fin octobre 2014.
L’article 49, pour un peuple qui n’est toujours pas sorti des griffes du diable de la « patrimonialisation », de la cupidité des gouvernants, et qui interdit malicieusement l’insurrection sans donner des gages d’une saine gouvernance et d’une sanction exemplaire des gouvernants non vertueux, ressemble au plan de Machiavel pour conserver le pouvoir. Entre désobéissance civile et insurrection, le fossé est très énorme !
Comment peut-on demander à un peuple d’insurgés de s’auto-museler en l’absence de toute garantie contre la violation de ses droits absolus par le gouvernement, en allant voter « oui » au référendum à venir ? Ce qui a permis à ce pouvoir de s’assoir sereinement les six premiers mois de 2016, c’est bien ce droit à l’insurrection, garanti par l’article 35 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont a usé le peuple en 2014 et 2015 pour lui confier, sans coup férir et peut-être sans plus de mérite que les perdants, toutes les rênes du pouvoir.
Et pourtant : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Cet article 35 doit être un vrai bouclier pour les peuples africains en lutte contre tout type d’asservissement, y compris l’asservissement économique comme celui du franc CFA.
La proclamation de droits dont l’effectivité reste difficilement réalisable
Dans un contexte de désengagement de plus en plus croissant de l’État et de réduction de ses possibilités d’intervention et/ou d’influence sur les secteurs d’activités, la constitution ouvre un certain nombre de droits sans proposer les pistes de leur effectivité à l’exécutif.
En l’absence de réformes sociales conséquentes, dont aucun signe n’est jusque-là perceptible avec ce pouvoir, il est évident que c’est une bombe sociale qui se prépare avec toutes ces surenchères de privilèges !
On est tenté de se demander « tout ça pour ça » ? Voilà autant de raisons qui m’incitent à préférer par défaut l’ancienne constitution à la nouvelle. Alors, je voterai donc contre cette trahison, surtout que le Président de la commission constitutionnelle n’est pas dans une posture rassurante !
Contrairement au Président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante, ndlr) qui a eu le courage d’avancer des chiffres et de se laisser piéger, le vieux sage Halidou Ouédraogo a été très prudent, le mercredi 15 mars 2017, en se gardant de répondre à la question des journalistes sur le coût de son jamborée touristique ! Dans un contexte de forte exigence de transparence, il refuse de nous dire combien il nous demande, à nous contribuables, pour assurer les missions de ses tournées d’explication d’une constitution au goût d’inachevé !
Cela ne rassure point et fait penser qu’il y a lieu d’avoir des réserves sur le fait que cette constitution cacherait peut-être plein de pièges, vacillant entre le régime parlementaire de Salifou Diallo et le régime présidentiel de Roch Marc Christian Kaboré, qui ne peuvent s’apercevoir sous le regard d’un profane du droit constitutionnel. Il faudrait vraiment être naïf pour croire que chacun n’a pas mis la pression nécessaire pour piper les dés en sa faveur !
Politiquement Votre !
Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr
Source: LeFaso.net
Commentaires récents